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No Man of God : Pour en finir sur les mythes entourant Ted Bundy
Il est de retour.
À peine deux ans après que le film Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile et la minisérie documentaire Conversations with a Killer : The Ted Bundy Tapes aient respectivement ressuscité et ré-enterré le tristement célèbre tueur en série dans nos mémoires, un nouveau film à propos de Ted Bundy émerge du néant comme un zombie impossible à tuer.
En effet, la proposition d’Amber Sealey No Man of God est apparue en location sur les plateformes de visionnement en ligne le 27 août dernier, un peu plus de deux mois après sa première mondiale au Festival de Tribeca. Il ne s’agit pas d’un mauvais film, mais on dirait qu’on a vraiment du mal à laisser le fantôme de cet être abject dans l’au-delà.
On a vraiment du mal à laisser le fantôme de cet être abject dans l’au-delà.
Depuis son exécution en janvier 1989, on visite et revisite la vie de Ted Bundy en essayant de comprendre les circonstances qui poussent un être humain à commettre des actes aussi immondes sans trouver de réponses satisfaisantes. Si No Man of God n’y arrive pas non plus, il réussit néanmoins à offrir (peut-être malgré lui ?) une perspective originale sur notre obsession à propos de Ted Bundy. On a devant nous un film hautement imparfait, qui soulève de bonnes questions.
Le mythe du génie du mal
Sur le plan technique, No Man of God est solide. Sobre et minimaliste, il explore la relation entre Bundy (un très convaincant Luke Kirby) et le légendaire profileur du FBI Bill Hagmeier (joué par Elijah Wood) à travers une série d’entrevues réalisées lorsque le tueur en série était dans le couloir de la mort. Presque entièrement situé dans une salle d’interrogatoire, il fait un excellent usage des espaces clos et des plans rapprochés pour établir un ton claustrophobe qui frôle l’horreur existentielle.
Si c’était de la fiction, j’aurais trouvé ça excellent. Sauf que…
Ted Bundy est passé à travers les filets des forces de l’ordre pendant autant d’années parce qu’elles n’avaient simplement pas encore les outils pour attraper quelqu’un comme lui.
No Man of God n’a pas l’air de savoir exactement quoi dire à propos de Ted Bundy. Parfois le script (brillamment interprété, je tiens à le souligner) déconstruit certains mythes à son propos, notamment l’idée qu’il était un maître du déguisement. Tantôt il en renforce d’autres, comme l’idée que Bundy était un manipulateur diabolique plus intelligent que la moyenne. C’est une histoire qu’on aime bien se raconter pour se féliciter de l’avoir attrapé et mis sur la chaise électrique. La vérité c’est que si Ted Bundy est passé à travers les filets des forces de l’ordre pendant autant d’années c’est parce qu’elles n’avaient simplement pas encore les outils pour attraper un criminel dans son genre.
C’est un peu d’ailleurs le sujet de No Man of God, les débuts du profilage criminel. Le protagoniste du film n’est pas Bundy, mais bien Bill Hagmaier. Ce n’est pas une mauvaise chose, mais l’absence de propos ou même d’explication sur la nature de son travail le fait paraitre comme détenant une forme de pouvoir surnaturel.
Voyez-vous, Hagmaier (du moins, le Hagmeier interprété par Elijah Wood) est un homme extrêmement pieux et c’est face à la mort que Ted Bundy se tournera vers lui afin de lui dire a vérité à propos de ses pulsions les plus sombres. Croyez-moi, avec un peu de musique dramatique et quelques changements subtils d’éclairage, cette scène aurait pu se retrouver facilement dans l’Exorciste. No Man of God humanise et démonise son sujet d’une scène à l’autre. Alors que le générique de fin déroule à l’écran, on ne sait pas trop quoi en penser.
Le vrai Ted Bundy
La version de Ted Bundy imaginée par No Man of God n’est peut-être pas inventée de toutes pièces, mais pas loin. Si les faits vous intéressent, vous pouvez vous tourner vers ces quelques suggestions :
Conversations with a Killer: The Ted Bundy Tapes
Basé sur des entrevues audio avec le vrai Ted Bundy et une série de témoignages de personnes l’ayant connu, on comprend à l’écoute de Conversations With a Killer que depuis sont plus jeune âge, tout le monde était au courant qu’il y avait quelque chose de malsain chez lui. Qu’il était brillant, mais pas SI brillant que ça et que les raisons pour lesquelles il a échappé au système judiciaire sont nombreuses… et pas si différentes des raisons pour lesquelles les autres tueurs en série échappent à la justice.
Ted Bundy: le film
Un peu le contraire de No Man of God. Un film brutal, qui met en lumière l’horreur des meurtres commis par Bundy. C’est profondément déplaisant à regarder, mais 1) il est disponible gratuitement sur YouTube et 2) on n’est jamais confus au sujet de ce que le film essaie de dire à propos du célèbre tueur.
L’analyse de tueurs en série fictifs, par le criminologue David Wilson
Une excellente ressource qui vous permettra de mieux comprendre les différences énormes entre les tueurs en série fictifs et les tueurs réels. Wilson explique, entre autres, que le tueur à l’intelligence supérieure est largement un mythe et que ce sont plutôt, et le plus souvent, des gens profondément dysfonctionnels. Il va même jusqu’à les qualifier de perdants. Il explique aussi quelles sont les méthodes utilisées par les tueurs en série pour éviter de se faire attraper. On comprend alors mieux à quel point le cas de Ted Bundy est moins spécial qu’on le pense.
Croyez-le ou non, No Man of God n’est pas le seul film à propos de Ted Bundy sorti en 2021. Il y a aussi l’exécrable Ted Bundy : American Boogeyman (débarqué deux semaines plus tôt, le 16 août) qui croupit sur RottenTomatoes avec la note de 14%. On n’arrêtera probablement jamais de romancer la vie de Ted Bundy. Il nous a tellement terrorisés qu’on aime se rappeler l’avoir puni « comme il se doit ». C’est un peu son enfer à lui.
Je vous conseille No Man of God. C’est un film tendu, intelligent et original, à regarder avec un peu de recul critique.