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Nia Dennis, nouveau visage de la gymnastique ?

« Beyoncé serait fière ! »

Par
Laïma A. Gérald
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Si vous êtes actifs sur les réseaux sociaux, il y a de fortes chances que vous ayez vu passer la vidéo de la gymnaste Nia Dennis, devenue virale depuis quelques jours.

Sa routine au sol, exécutée sur des musiques de Kendrick Lamar, Beyoncé et Missy Elliott, a été vue et partagée par plus de dix millions de personnes au moment d’écrire ces lignes. La jeune athlète américaine de 21 ans a même été félicitée par nul autre que Michelle Obama, Kamala Harris et Missy Eliott.

Nia Dennis est-elle le nouveau visage de la gymnastique ?

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UCLA goes viral… again!

Il y a quelques jours, je suis moi-même tombée sur la vidéo de Nia Dennis sur Instagram, à mon plus grand bonheur. J’adore la gymnastique, j’en ai fait étant plus jeune et ça continue de m’impressionner. Les choix musicaux, les mouvements, le swag pur de la jeune athlète : j’ai absolument tout aimé.

« ce n’est pas la première fois qu’une gymnaste de UCLA fait sensation »

Ce n’est pas la première fois qu’une gymnaste de UCLA (Université de Californie à Los Angeles) fait sensation sur les réseaux sociaux. Qu’est-ce qui explique l’engouement pour les Nia Dennis, Katelyn Ohashi et Sophina DeJesus de ce monde ?

J’en ai discuté avec Nora A. Gérald, une ancienne gymnaste nationale, ex-membre d’équipe Canada en tumbling et finissante au baccalauréat en enseignement de l’éducation physique et à la santé de l’UQAM (et avec qui, en toute transparence, j’ai un lien de parenté évident).

Du pain, des jeux et des stories

« Premièrement, je pense que les musiques populaires utilisées par Nia Dennis jouent pour beaucoup dans le succès de sa routine, croit Nora A. Gérald. Elle a choisi des extraits de chansons rap, hip-hop et R’n’B que les gens aiment et reconnaissent. Juste ça, ça contribue au succès de la vidéo et ça se partage vraiment bien en stories. »

« Le sol, c’est l’agrès où la gymnaste peut le plus exprimer sa personnalité, à travers la danse. Et Nia Dennis […] s’exprime de manière flamboyante! »

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Selon Nora, ce ne n’est donc pas à cause des prouesses acrobatiques de la gymnaste que la vidéo est devenue virale mais bien en raison de la chorégraphie. « C’est sûr que la gymnastique, c’est impressionnant en soi. Mais on voit des mouvements beaucoup plus difficiles et complexes dans des compétitions nationales ou internationales, et ça ne devient jamais vraiment viral, note-t-elle. Aussi, le fait que ce soit une performance au sol qui fasse le tour d’Instagram, plutôt qu’une routine aux barres ou à la poutre, c’est pas anodin. Le sol, c’est l’agrès où la gymnaste peut le plus exprimer sa personnalité, à travers la danse. Et Nia Dennis – et Katelyn Ohashi et Sophina DeJesus avant elles – s’expriment de manière flamboyante ! C’est vraiment l’aspect “spectacle” qui rejoint les gens, plus que les difficultés gymniques. »

Nora me fait également remarquer que certains mouvements de la chorégraphie de Nia Dennis rappellent presque certaines danses populaires sur TikTok. Comme quoi, l’athlète de UCLA sait comment emballer les juges… et les adeptes de la célèbre application qui s’empareront peut-être de ses moves.

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Au-delà des rondades, des vrilles et des doubles back, il ne faut pas oublier que dans ce cas-ci, il s’agit de gymnastique universitaire et non de championnats du monde ou de jeux olympiques. « La gym de la NCAA (National Collegiate Athletic Association), c’est vraiment parallèle au circuit international et olympique, où on ne pourrait jamais être si excentriques en compétition. Aux Olympiques, on ne verrait jamais une routine sur du hip-hop, une athlète avec des cheveux bleus comme Sophina DeJesus, ou une gymnaste avec des cheveux pas attachés et un maillot avec un dos échancré comme Katelyn Ohashi. La gym universitaire, particulièrement à UCLA, permet, voire encourage ça », ajoute l’étudiante en éducation physique.

Casser les clichés et briser les codes

Encore à ce jour, la figure de la gymnaste pâtit d’une image stéréotypée : très jeune, soumise, sans forme, qui sourit peu, blanche, qui se fait peser par son coach, bref qui est dans le contrôle et la recherche de perfection.

« Ce sont des femmes “empowered”, en pleine possession de leurs moyens. »

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De plus, il y a quelques années, le milieu de la gymnastique a été bouleversé par les dénonciations visant Larry Nassar, un des médecins de l’équipe nationale américaine de gymnastique féminine, qui a été reconnu coupable de pédophilie et d’abus pendant des décennies. De quoi entretenir le mythe de la gymnaste contrôlée, soumise, évoluant dans un milieu malsain et toxique.

« Quand on voit les performances de Nia Dennis, Katelyn Ohashi et Sophina DeJesus, c’est tout le contraire de cette image de contrôle qui se déploie devant nos yeux. On voit des femmes fortes – pas des filles, des femmes – avec des formes, qui rayonnent et qui s’amusent. En fait, on voit des femmes empowered, en pleine possession de leurs moyens. » affirme Nora, qui mentionne que Nia Dennis faisait partie de l’équipe nationale avant d’abonner son rêve olympique, à cause de blessures.

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Un autre élément attire mon attention: pendant la performance de Nia, on voit ses coéquipières et entraîneurs l’encourager vigoureusement et même danser avec elle, phénomène qu’on ne verrait jamais aux Olympiques. « C’est dans l’ADN du sport universitaire d’être plus dans le plaisir et moins dans la rigidité, m’explique Nora. Comme les gymnastes compétitionnent en équipe et non individuellement, elles sont moins dans une dynamique de rivalité que dans le circuit olympique. En plus, pour plusieurs d’entre elles, ce sont les dernières années où elles s’entraînent et compétitionnent, donc elles en profitent à fond et misent sur le plaisir et l’appartenance à leur université. ».

D’ailleurs, il est important de noter qu’une université comme UCLA, qui dispose de budgets importants pour recruter des athlètes de haut niveau, bénéficie de ce genre de phénomène. Les sportifs qui rayonnent autant que Nia Dennis, Katelyn Ohashi et Sophina DeJesus, deviennent ainsi des ambassadeurs de l’institution.

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« Beyoncé serait fière »

D’entrée de jeu, Nia Dennis a affirmé que sa chorégraphie au sol, exécutée sur la musique d’artistes afro-américains, célèbre la Black Excellence et constitue un clin d’œil au mouvement Black Lives Matter. En entrevue à la BBC, elle a affirmé qu’elle souhaitait rendre hommage à « Tout ce que les personnes noires peuvent faire, tout ce qu’ils peuvent surmonter. » Elle a également ajouté que pour aborder un sujet lourd, elle a plutôt choisi la fête.

« Chez Nia Dennis, il y a une intention claire de s’affirmer comme gymnaste afrodescendante. »

« C’est vrai que la gymnastique est un sport assez blanc, remarque Nora A. Gérald. Ça tend à changer, avec des athlètes influentes comme Simone Biles (qui a gagné les derniers olympiques et qui a même inventé des mouvements !), mais ça reste assez homogène. Chez Nia Dennis, il y a une intention claire de s’affirmer comme gymnaste afrodescendante, à travers la musique, mais aussi les mouvements de danse très associés à la culture afro-américaine. »

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Cette Black Excellence a d’ailleurs été félicitée par la nouvelle Vice-Présidente des États-Unis Kamala Harris et par Michelle Obama, qui valorisent encore et toujours la diversité et l’inclusion, dans différents domaines.

En février 2020, Nia Dennis s’était déjà démarquée lors d’une compétition, alors qu’elle présentait une routine sur une chanson de Beyoncé. Kamala Harris avait souligné la performance de la gymnaste: « Nia Dennis termine le Black History Month en beauté, en mettant en valeur son “excellence noire”. Beyoncé elle-même serait fière », avait-elle commenté.

Pour Nora A. Gérald, si Nia Dennis n’est pas « le » nouveau visage de la gymnastique, elle est certainement « un » nouveau visage de la gymnastique. « Il ne faut pas perdre de vue que ces performances virales sont réalisées dans un cadre universitaire beaucoup plus décontracté. Les Olympiques, qui sont l’instance sportive par excellence, ne sont pas encore prêts pour ce genre de révolution, affirme-t-elle. Dans tous les cas, si ça peut changer la perception du public en misant sur le plaisir et la beauté de la gym, c’est une excellente chose. Et tant mieux si ce changement est porté par des femmes au sommet de leur gloire. »

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