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Myspace Tom: Mark Zuckerberg avant Mark Zuckerberg (mais en plus gentil)

Chroniques du web 1.0

Par
Benoît Lelièvre
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Les réseaux sociaux n’ont pas toujours fait partie de nos vies. C’est une réalité difficile à comprendre si vous avez moins de 28 ans, mais l’internet a déjà été un endroit beaucoup plus simple où nos interactions se limitaient aux forums de discussions (principalement entouré d’étrangers), aux mails (avec les membres de votre famille) et aux longues sessions de clavardage sur MSN ou ICQ (avec la personne avec qui vous tentiez désespérément de coucher).

Le reste du temps, on y faisait ce qu’on voulait dans un anonymat quasi total. Tout le monde piratait de la musique, des films et de la porno à journée longue.

Si un phénomène vaut notre attention, il sera partagé sur les réseaux sociaux. Ceux qui tombent de nos fils d’actualité, on les oublie.

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Si cette époque nous semble si lointaine, c’est en partie à cause des réseaux sociaux. Non seulement ils ont changé nos vies, mais ils ont aussi changé notre façon de penser. Les Facebook, Instagram et TikTok de ce monde nous fournissent divertissement, information et réconfort par le truchement de leurs fils d’actualité. Ils ont transformé en quelques années notre rapport au monde: si un phénomène vaut notre attention, il sera partagé sur les réseaux sociaux. Ceux qui tombent de nos fils d’actualité, on les oublie. À moins qu’ils ne reviennent.

Je m’intéresse à ces personnages qui font intensément partie de notre vie pendant quelques semaines ou quelques mois avant de tomber dans le néant. Derrière les mèmes et la nostalgie, il y a des gens et des histoires incroyable. Comme Tom, l’ami Myspace de tout le monde.

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Tom qui? Tom Anderson

Tout être humain âgé aujourd’hui de 28 ans et plus a possédé un compte Myspace, quelque part entre 2003 et 2007. Myspace, c’était Facebook avant Facebook. Notre premier véritable contact avec les réseaux sociaux. C’était à Facebook, ce que la calèche était à Ford. Lorsqu’on créait un compte, la plateforme nous assignait automatiquement un weirdo nommé Tom comme ami:

Le weirdo en question était Tom Anderson, co-propriétaire de Myspace. Il avait programmé cet ajout automatique à la plateforme afin que vous vous sentiez le.la bienvenu.e. La plupart des utilisateurs n’en avaient rien à foutre de Tom. Il ne parlait pas. Il était beaucoup trop occupé pour mettre sa propre page à jour régulièrement. Tout ce qu’il faisait, c’était vous regarder avec ce drôle de sourire, comme s’il venait de vous prendre en pleine session de plaisirs solitaires.

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Forme d’expression naissante à l’époque, Tom est devenu l’une des premières personnalités du web à devenir un mème:

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En devenant l’ami de tout le monde, Tom aspirait à symboliser la bienveillance qu’il souhaitait voir régner sur Myspace, mais en n’apportant rien à la vie des usagers à part sa présence et son regard vaguement inquiétant, il est vite devenu un symbole bilatéral du désespoir social qui sévit trop souvent sur internet: d’un côté, il personnifiait la solitude des gens rejetés socialement et de l’autre, son insistance à devenir l’ami de tout le monde a mené les internautes les plus moqueurs à douter de ses motivations.

On avait tous un ami comme Tom au collège, qui voulait trop et qui n’avait pas grand-chose à offrir.

Tom était juste beaucoup trop occupé à devenir une histoire à succès typique de Silicon Valley pour se soucier de la dépréciation graduelle de son image. Moins de deux ans après avoir fondé sa compagnie, Tom et son partenaire Chris DeWolfe ont vendu Myspace à New Corps pour la coquette somme de 580 millions de dollars pour ensuite disparaître de la vie publique.

C’est là que son histoire devient carrément fascinante.

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Myspace Tom? Menschspace Tom!

On a bien ri de Tom entre 2003 et 2005, mais il était beaucoup plus cool que nous.

Il a continué à travailler pour Myspace pendant quelques années avant de se dire fuck that shit, de tout lâcher et, devenir photographe de voyage. Myspace lui a donné les moyens de vivre la vie que plusieurs d’entre nous (pas mal tout le monde, right?) aimeraient vivre. Tom parcourt le monde depuis, à la recherche du cliché parfait et partage de temps à autre ses créations sur Instagram.

«Je n’essaie pas nécessairement de transmettre l’essence de ce que je regarde. J’essaie juste de créer quelque chose de beau, comme un peintre le ferait.» – Myspace Tom

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Les mauvaises langues diront que Tom est devenu influenceur et que sa nouvelle carrière est la confirmation que la machine de Mark Zuckerberg l’a avalé ET digéré, mais je ne suis pas d’accord. Tom Anderson ne vend rien. Il ne mélange pas art, quotidien et commerce. Du moins pas dans le cadre de ses activités de photographe. Il partage des photos de voyages qu’il a lui-même payés de sa poche avec l’argent qu’il a lui-même gagné avec Myspace.

Curieusement, l’image de Tom s’est beaucoup améliorée depuis la révélation de sa deuxième vie. Ça se ressent même dans les mèmes:

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Le p’tit creep silencieux au regard moqueur qui nous faisait tant rire il y a quelques années a gagné au jeu de la vie. Non seulement il a assez d’argent pour faire juste des choses le fun pour le restant de sa vie, mais il est largement sorti des algorithmes de fils de nouvelles et peut vivre sa vie paisiblement, sans que 12 différents médias lui demandent son avis sur les dernières déclarations douteuses de Donald Trump à chaque deux jours.

La morale de cette histoire: les gens qui savent quand tirer leur révérence sont plus heureux. Qu’on se souvienne d’eux ou non.