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Muriel*, étudiante avec une diplégie spastique : « Mon établissement de formation me refuse les aménagements auxquels j’ai droit »
Muriel* nous a écrit pour nous faire part de son quotidien. On lui laisse donc la parole ici, en espérant que son témoignage fasse évoluer les moeurs à l’égard des personnes en situation de handicap.
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J’aimerais que les professionnels des écoles, des collèges, des lycées et des universités ne se voilent plus la face. Il ne faut plus stigmatiser les personnes en situation de handicap (pas les handicapés ! C’est un adjectif, pas un nom), comme il ne faut pas stigmatiser les étrangers, les personnes de forte corpulence, les femmes ou toutes les personnes qui ne rentrent pas dans les cases fabriquées par la société.
Je vais vous raconter mon expérience de femme en situation de handicap.
J’ai eu un souci de naissance et j’ai donc une IMC (ça veut dire Infirmité Motrice Cérébrale). J’ai eu un arrêt respiratoire à la naissance et une partie de mon cerveau n’a pas été oxygénée. C’est un handicap moteur qui, pour moi, touche principalement le côté gauche du corps. Ça s’appelle diplégie spastique ou syndrome de Little.
J’ai été scolarisée, comme beaucoup d’élèves, dès 3 ans à l’école maternelle à côté de chez moi, dans la Drôme. Peu de souvenirs mais je sais que je ne marchais pas beaucoup : on me portait.
A l’école primaire, j’étais dans la même école que mon petit frère (18 mois de moins). Il m’aidait beaucoup : comme ça m’énervait qu’il marche avant moi, je voulais le suivre et j’essayais aussi. Il s’adaptait beaucoup à moi et nous étions tout le temps ensemble. Après mon année de CP, je suis allée en classe de CE1-CE2 dans la même école. Je suis restée 3 ans de suite dans cette classe, toujours du côté des CE1, sans rien apprendre car l’enseignante disait ne pas avoir le temps et avoir déjà beaucoup d’élèves. De toute façon, l’objectif était seulement de me socialiser : ne pas rester chez moi et faire croire à mon intégration. J’ai été contente un an quand mon frère s’est retrouvé dans ma classe de CE1 mais quand il est passé au CE2, je suis resté où j’étais… J’ai vraiment compris plus tard que ce n’était absolument pas normal car comme mon frère n’avait pas autant de difficultés que moi, il se sentait plus grand que moi et moi je me sentais nulle.
J’étais souvent stressée à l’école car je savais que je n’étais pas comme les autres et j’avais honte de mon handicap. J’avais tout l’appareillage qui était très voyant : des attelles sur toutes les jambes, un corset par-dessus les vêtements, une attelle à la main gauche, un dérotateur sous les vêtements pour que les jambes ne soient pas vers l’intérieur, et des bas de contention pour la circulation sanguine. On aurait dit Robocop. Les seules fois où je me suis sentie bien à l’école avec les autres, c’est quand j’ai eu des plâtres de marche et les camarades venaient et étaient jaloux que l’on fasse attention à moi et que l’on me porte.
L’éducatrice AEMO qui suivait ma famille depuis la maternelle a dit à mes parents que ce n’était pas normal que je reste dans la même classe et qu’il existait des CLIS (Classes d’Intégration Scolaire à l’époque qui sont devenues des Unités Localisés pour l’Inclusion scolaire, ULIS). Je suis donc partie dans une autre école. J’y allais en taxi parce que c’était loin. J’étais en CLIS mais aussi en classe de CM2 mais je n’aimais pas y aller : comme je ne venais que de temps en temps, tout le monde me remarquait alors que je voulais rester discrète. Cette situation a continué à me stresser jusqu’au lycée, chaque matin et chaque midi où je ne voulais pas affronter le regard des autres. A la fin de l’école primaire, j’avais 11 ans et comme je ne savais ni lire ni écrire, il a été décidé que j’irai à Lyon à la Fondation Richard pour englober l’école et les soins du quotidien au même endroit. Difficile de quitter ses parents, ses sœurs et son petit frère quand on a 11 ans, et de ne les voir que du vendredi soir au dimanche après-midi.
C’était dur d’être loin de ma famille mais je me suis enfin sentie à ma place : on avait tous un handicap moteur et visible.
C’était dur d’être loin de ma famille mais je me suis enfin sentie à ma place : on avait tous un handicap moteur et visible. Je ne me sentais pas du tout différente donc moins stressée par le regard des autres. Au niveau scolaire, les apprentissages étaient à mon rythme et à mon niveau. Les méthodes d’apprentissage, le petit nombre d’élèves dans la classe et la solidarité entre nous m’ont permis de prendre confiance et d’apprendre à lire, écrire et accéder aux apprentissages. J’ai fait deux ans pour rattraper les bases de l’école primaire puis 3 ans d’apprentissages de niveau collège et j’ai présenté le CFG (Certification de Formation Générale).
Au bout de 5 ans, on m’a dit que j’avais les capacités d’aller en lycée professionnel. Sur le coup, j’ai refusé d’y aller parce que j’avais trop de stress lié à mon passé. Avec le recul, c’était une bonne idée parce que si j’étais restée scolarisée à l’école de la Fondation Richard, on m’aurait mise en classe d’atelier et on m’aurait orientée vers les ESAT à ma majorité. Une des professeures de la Fondation a convaincu ma mère et moi : même si je ne faisais pas la formation que je voulais, elle m’a dit qu’on y arriverait en passant par d’autres chemins. J’ai accepté et, après du temps pour trouver une formation adaptée à mon handicap, je me suis retrouvée en CAP APR (Agent Polyvalent de Restauration). Comme je voulais au départ faire un CAP Petite enfance, on m’a dit : « ne t’inquiètes pas, tu pourras servir à manger aux enfants », chose que je n’ai jamais faite durant mes 2 ans de CAP…
Le CAP s’est plutôt bien passé, sans aide humaine mais avec des aménagements aux épreuves (1/3 temps). J’ai découvert que cette formation était « réservée » aux élèves ayant soit un handicap, soit de grandes difficultés scolaires (SEGPA), soit ne parlant pas français. Ce n’était pas valorisant pour nous de savoir que cette formation était seulement pour les « cassos » parce que les tâches demandées étaient simples et répétitives. J’ai obtenu mon CAP et j’ai commencé à faire un dossier pour ENFIN intégrer la voix qui m’attirait : le Bac pro ASSP (Accompagnement Soin et Service à la Personne) pour devenir aide-soignante ou aide à domicile. Certains profs du CAP APR m’ont soutenue et d’autres ont douté (encore) de mes capacités.
Au bout de trois ans et de quelques remarques injustes de certains, j’ai obtenu mon baccalauréat avec mention Très bien et un CAP Petite enfance en candidat libre la même année !
J’ai été acceptée sur dossier à cette formation ASSP dans un autre lycée professionnel de Lyon. Le problème est apparu le jour où j’ai souhaité confirmer mon inscription au lycée. L’enseignante de la Fondation Richard, qui m’avait convaincue d’aller en CAP APR, est venue faire l’inscription au Bac pro ASSP avec moi. Quand la cheffe d’établissement a reconnu l’enseignante de la Fondation qu’elle connaissait pour avoir accompagné d’autres élèves dans d’autres formations, qu’elle a su que c’était pour le Bac pro d’aide à la personne, elle a convoqué cette enseignante dans son bureau, sans moi, et lui a dit que ce n’était pas possible d’avoir une élève en situation de handicap dans ce domaine. Et tout a commencé à coincer de partout : la cheffe a prévenu les enseignants et leur a demandé de me dissuader. On ne m’a pas laissé faire les gestes en atelier professionnel en disant que je n’étais pas apte. Cette aptitude au travail doit être décidée par un médecin et le lycée m’a fait attendre la visite médicale pour que je reste sur la sellette et que j’abandonne la formation. J’ai résisté malgré le stress important (qui me suit à l’école depuis la primaire) et j’ai attendu la visite médicale. L’infirmier du lycée me soutenait car il connaissait ce type de discrimination : il m’a confié être lui aussi en situation de handicap. La médecin scolaire me connaissait de ma formation en CAP APR et a déclaré que j’étais apte pour cette formation. Il n’était plus possible pour le lycée de me faire quitter la formation. Au bout de trois ans et de quelques remarques injustes de certains professeurs (il fallait que mon AVS soit malade ou que je sois confinée chez moi pour que certains enseignants arrêtent de dire que c’était l’AVS qui travaillait à ma place), j’ai obtenu mon baccalauréat avec mention Très bien et un CAP Petite enfance en candidat libre la même année ! J’avais envie de faire une formation complémentaire : Accompagnement Educatif et Social (AES).
Avec mon CAP petite enfance, je n’avais pas besoin de passer l’épreuve écrite pour accéder à une école de formation aux métiers de la santé. Il fallait juste un entretien oral. J’ai eu le résultat positif 3 jours après mon oral mais, comme d’habitude, ça n’allait pas être si simple.
Je savais très bien que si j’avais parlé de mon handicap au moment de l’entretien, ils ne m’auraient jamais prise.
J’étais inscrite et je les ai contactés en début d’été pour discuter des aménagements dont j’avais besoin à la rentrée (aménagement du temps de travail, 1/3 et aide humaine aux examens écrits). Ils m’ont reproché de ne pas avoir parlé de mon handicap au moment de l’entretien oral. Je savais très bien que si j’avais parlé handicap au moment de l’entretien, ils ne m’auraient jamais prise. J’avais même eu peur pendant l’épreuve qu’ils voient que mon adresse était celle de la Fondation Richard qui accueille des personnes handicapées motrices.
« Vous trouvez ça normal qu’une personne elle-même en situation de handicap veuille s’occuper d’autres personnes handicapées ? »
J’ai eu un contact téléphonique avec une professeure qui gérait le pôle Handiplus de l’école : « Mais attendez madame Combes, vous vous rendez compte que vous demandez des aménagements pour une formation dans le domaine de l’accompagnement des personnes en situation de handicap ? », « Vous trouvez ça normal qu’une personne elle-même en situation de handicap veuille s’occuper d’autres personnes handicapées ? ». Je n’ai rien trouvé à répondre à part : « Je vais réfléchir ». Mais je savais que je ne laisserai pas tomber. La professeure m’a demandé de venir faire un entretien avec ses deux collègues d’Handiplus pour m’expliquer la situation, « mettre les choses au clair » : en gros me remettre à ma place de personne handicapée. Je le sentais mal alors j’en ai parlé à un enseignant de mon lycée qui m’a proposé de venir avec moi. Quand j’ai dit que je viendrai avec cet enseignant à l’entretien, je n’ai plus eu aucun contact de l’école jusqu’à la rentrée de septembre où je me suis présentée à ma formation avec, encore, la boule au ventre.
Très stressée, la rentrée s’est plutôt bien passée. J’intégrais une formation avec des étudiants adultes et ça me rassurait plutôt d’être avec des personnes matures. J’avais fait un grand mail en juin au pôle Handiplus pour expliquer et justifier des aménagements dont j’avais besoin (temps de travail réduit en stage, aide humaine et 1/3 temps). J’avais même calculé comment rattraper mon temps partiel (maximum 5 heures/jour) sur les samedis ou les vacances si mon temps de travail posait problème. Je n’ai jamais eu de réponse avant que la responsable du Pôle Handiplus qui était enseignante et ma référente d’étude ne vienne me voir. Elle avait bien eu mon mail (mais n’y avait pas répondu) et m’a expliqué que mes aménagements ne pouvaient pas être mis en place. Elle m’a expliqué qu’une autre étudiante, elle mal voyante, n’avait pas eu droit à l’aménagement de ses heures de stage et que ce serait aussi refusé pour moi : « Comme je sais que ça va être refusé, je n’ai pas fait remonter votre dossier de demande. » La seule chose qui semblait possible était que je rattrape mes heures de stage manquantes à la session l’année suivante. Pour l’équivalent de 3 semaines manquantes dans mon parcours de stage, je pouvais perdre une année. Cette explication s’est faite en classe et les autres étudiants ont pu entendre notre échange et venir m’en parler après. Tout le monde m’a montré du soutien parmi mes collègues de formation.
Entre-temps, j’ai reçu une invitation de la région pour venir à une cérémonie récompensant les élèves ayant obtenu une mention au Bac. Fière, j’y suis allée avec mon copain qui m’a conseillé d’écrire une lettre au Président de Région, Laurent Wauquiez. Nous l’avons écrit ensemble : j’y expliquait ma situation à l’école, parlant de discrimination et exprimant mon besoin d’être soutenue. J’ai rencontré la vice-présidente de région, déléguée à l’action sociale et au handicap qui m’a pris à part pour comprendre ma situation et récupérer ma lettre. J’étais ravie d’annoncer à toute la classe pendant la cour avec la prof concernée : « ça y est ! J’ai donné la lettre à Wauquiez ! »
Je pensais que ces élus régionaux allaient tenir leur parole et je me suis trompée. Je vais m’en souvenir.
A partir de ce moment-là, j’ai eu l’impression que l’attitude et le ton avec moi changeaient. J’ai su que la Région avait appelé l’école. Il a fallu encore deux mois pour que la direction soit directement en contact avec la Région. Ma référente Handiplus m’a expliqué qu’ils attendaient un courrier de la région pour garantir que l’aménagement de mon temps de travail en stage était compatible avec la durée de formation attendue. La Région n’a finalement rien fait pour me venir en aide en convenant avec l’école que ce n’était pas dans leur compétence de faire respecter mes droits. Je pensais que ces élus régionaux allaient tenir leur parole et je me suis trompée. Je vais m’en souvenir.
J’ai débuté ma formation et j’ai effectué mon premier stage. C’était dans une association d’aide à domicile. Je devais me rendre au domicile des personnes, en transport en commun à plus d’heure de chez moi. Les heures de travail étaient aménagées mais les temps de trajet et les heures « en coupé » (3 à 4 heures d’attente entre deux accompagnements) pesaient sur ma fatigue. Ma kiné m’a conseillé d’arrêter le stage mais impossible car l’école aurait saisi l’occasion pour me renvoyer de la formation ou m’inciter à démissionner. C’est le dernier moment où j’ai failli baisser les bras, pensant que ce n’était pas fait pour moi. Les remarques de ma tutrice envers moi (« t’as pas de force. », « je ne sais pas comment faire avec toi. », « dans ce travail, on ne peut pas être assistée tout le temps ») et auprès de mes collègues ont fini par m’atteindre et j’en avais marre de me battre. C’est un collègue dans cette association, qui semblait avoir un handicap visuel, qui m’a dit en fin de stage que si ce n’était pas adapté ici pour moi, il pouvait tout à fait y avoir des postes plus adaptés ailleurs.
J’ai trouvé seule mes stages (le deuxième se passe actuellement très bien), bien à l’avance, sans aucun problème pour mettre en place l’aménagement du temps de travail. Je rends mes dossiers en premier. Mes collègues me demandent de l’aide parce que j’ai déjà des diplômes dans le domaine médico-social, que j’ai déjà fait des suivis d’accompagnement, etc. Bref, je me sens reconnue par mes pairs et légitime dans mon stage et sur mon lieu de formation.
Une semaine après le début des examens (nous sommes mi-mars), je n’ai pas encore eu droit au 1/3 temps et à l’aide humaine auxquels j’ai droit et qui sera indispensable pour les épreuves écrites à venir. L’école continue de me proposer de rattraper ce qu’ils estiment être des heures manquantes et qui sont en fait des aménagements de mon temps de travail adaptés à ma fatigabilité. Quand je me suis énervée la semaine dernière contre la référente Handiplus de l’école pour dire qu’il était inadmissible que mon temps de travail partiel ne soit pas considéré comme un aménagement, elle m’a répondu qu’au pire, je pourrai rattraper mes heures manquantes sur toutes mes vacances d’été. Pratique pour éviter d’accumuler encore de la fatigue cet été… Ce climat n’est vraiment pas l’idéal pour que je prépare mes examens.
Ma présence à l’école, au lycée et en formation a pu faire réfléchir ou bousculer. Petit à petit, certaines personnes évoluent, d’autres sont réfractaires mais l’accès à la scolarité et aux études choisies est un droit pour tous, y compris les élèves handicapés. Il serait bien que les obstacles que j’ai rencontrés sur mon parcours ne soient plus aussi complexes pour les prochains et qu’ils et elles puissent simplement accéder à ce qu’ils ont choisi et ce à quoi ils ont droit, sans préjugés et sans discrimination.
Je finis en remerciant tout particulièrement les personnes qui m’ont suivie, accompagnée, soutenue, aidée et qui ont cru en moi :
Grégory S., Muriel N., Mathias D., Eliane C., Renaud G., Chantal J., Nassira B., Amaury W., Cécile M., Carine D., Christelle et Véronique, Franck R., Florian S., Ferreol G.
J’aimerais enfin dédier ce témoignage à mes amis et autres jeunes élèves et étudiants en situation de handicap qui n’ont pas eu le même soutien que moi et qui ont été orientés en ESAT alors que ça ne leur plaisait pas.
*Un pseudonyme a été utilisé.