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Mort de Nahel : ou le permis de tuer par précaution

« Mardi matin, à 8h30, un jeune homme est mort. La police l'a tué. Et elle l'a fait de sang froid. »

Par
Oriane Olivier
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On croyait ce principe acquis pour tout le monde depuis longtemps, mais visiblement, il va falloir réviser les fondamentaux. On ne tue pas par “précaution”, de la même manière qu’on n’enferme pas à l’avance un député du RN, sous prétexte qu’il pourrait éventuellement piquer dans les caisses de l’Union Européenne. Ce qui est arrivé mardi matin à Nanterre – la mort d’un ado de 17 ans tué d’une balle par un officier de police – n’est pas un drame humain de plus, ce n’est pas un simple fait divers. C’est la conséquence d’une vision politique et idéologique fascisante, qui pense que l’état de droit est un obstacle à la vraie justice : celle du far-west. Une lente dérive autoritaire, un virage serré et totalement assumé depuis quelques années vers l’extrême-droite de la part de nos gouvernant.es, (qui ne loupent d’ailleurs jamais une occasion de leur emprunter leurs concepts comme celui de “décivilisation”), qui a conduit un gamin à trouver la mort dans une voiture en début de semaine…

Qu’importe que le chauffard soit un petit délinquant, qu’il ait eu un casier judiciaire long comme celui de Nicolas Sarkozy, ou aussi étoffé que celui des Balkany. Qu’importe qu’il ait refusé d’obtempérer en redémarrant. Lui n’aura eu le droit ni à un procès équitable, ni à un joli bracelet électronique qui bipe tout le temps parce qu’il ne respecte pas son assignation à résidence, ni au bénéfice du doute sur ses intentions quand pris de panique, il a accéléré pour fuir le motard des forces de l’ordre qui le visait à bout portant. Sa sanction ? Une balle, puis plus rien.

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On remerciera d’ailleurs le Conseil Constitutionnel pour avoir censuré en 2021 l’article 52 de la loi Sécurité Globale portée par le gouvernement. Ce texte prévoyait en effet de créer un nouveau délit de provocation à l’identification d’un policier ou gendarme en opération, et donc d’entraver l’enregistrement et la diffusion de certaines scènes de violence policière.

« Pourquoi s’emmerder avec la séparation des pouvoirs, s’ils s’occupent à la fois de rétablir la peine de mort, et de veiller eux-mêmes à son exécution ? »

Gérald Darmanin, qui était déjà ministre de l’Intérieur à l’époque, s’était défendu en expliquant qu’il s’agissait moins d’empêcher les honnêtes citoyens de surveiller la police, que de protéger les forces de l’ordre du harcèlement en ligne. Mais les Sages avaient quant à eux estimé que “les éléments constitutifs de l’infraction contestée” n’étaient pas suffisamment définis. Autrement dit, qu’ils étaient suffisamment flous pour qu’un CRS s’octroie seul la possibilité de jouer au Molkky avec votre smartphone, sous prétexte que vous auriez commis un délit en le filmant.

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Si la loi était passée telle-quelle, nous n’aurions peut-être jamais su grâce à la vidéo enregistrée par un.e passant.e ce mardi, que le policier mis en examen pour homicide volontaire ne se trouvait pas dans la trajectoire de la voiture quand il a appuyé sur la détente. Qu’il était accoudé au pare-brise, et mettait déjà en joue l’automobiliste avec son arme de service. Qu’il ne s’agissait donc pas de légitime défense, comme on a pu l’entendre dans les premières heures après l’affaire selon la version de la police, et encore moins d’un usage proportionné de la force, mais d’une mise à mort, pure et simple.

Alors oui, nul n’est censé ignorer la loi. C’est aussi ça l’état de droit. Et les contrevenant.es s’exposent à des sanctions. Il n’y aura d’ailleurs, des pacifistes les plus convaincu.es jusqu’aux membres de la NUPES, probablement personne pour excuser le comportement débile et dangereux du conducteur mineur qui roulait sans permis, ni pour passer l’éponge sur les risques qu’il a fait prendre aux autres usagers de la route. Il méritait une condamnation sévère.

Mais à quoi bon s’embarrasser des institutions, si les policiers prennent aussi la place des législateurs et des magistrats ? Pourquoi s’emmerder avec la séparation des pouvoirs, s’ils s’occupent à la fois de rétablir la peine de mort, et de veiller eux-mêmes à son exécution ?

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Une fois tout cela dit, il ne reste plus qu’à compatir pour la famille et à s’inquiéter du repli autoritaire et des réactions d’une partie du monde politique ainsi que des Français.es, face à cette démonstration supplémentaire des dérives de la police. Ces Français.es qui trouvent normal – et le matraquent en lettres majuscules partout sur Internet – qu’on meurt à 17 piges parce qu’on a fait une énorme connerie, quand bien même cette erreur aurait hypothétiquement pu blesser des gens, ou pire.

« Mardi matin, à 8h30, un jeune homme est mort. La police l’a tué. Et elle l’a fait de sang froid. »

On s’interrogera au passage sur la pertinence de tirer sur un chauffard en fuite, dont la voiture a fait une embardée qui aurait pu faire de gros dégâts… On ne pourra également pas s’empêcher de se demander ce que ces mêmes personnes auraient pensé si Hugo Zemmour, le fils du célèbre polémiste, qui a été mis en examen en mai dernier pour avoir percuté et blessé grièvement deux jeunes à scooter alors qu’il était en état d’ébriété, avait été lui-aussi abattu froidement d’une balle sans autre forme de procès.

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Ces personnes souhaitent peut-être vivre dans un monde à la Minority Report, où on vous arrête pour les crimes que vous n’avez pas encore commis et où on vous fait disparaître par principe de prudence. Auquel cas elles devraient faire société entre elles, mais éviter d’entraîner les autres dans leur sinistre dystopie.

Car en fin de compte, toutes les justifications sont vaines. Mardi matin, à 8h30, un jeune homme est mort. Quelque secondes avant, le motard qui le braquait le menaçait de lui “mettre une balle dans la tête”. Mardi matin, Nahel est mort. La police l’a tué. Et elle l’a fait de sang-froid.