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Mort de Jane Birkin : quand la nécrologie n’échappe pas au sexisme
Dimanche 16 juillet, la France apprenait, le cœur serré, la mort de la grande chanteuse et actrice Jane Birkin. Sitôt annoncée, les médias se sont empressés de publier des photos du « couple culte » qu’elle formait avec son ex compagnon Serge Gainsbourg. Alors même que cela fait maintenant 43 ans que Jane Birkin l’a quitté, lassée de son alcoolisme et de sa violence. Et que « Gainsbarre » a lui-même reconnu que, parfois, lorsqu’il rentrait “complètement pété”, il lui “tapait dessus”.
« Ce soir on écoutera Jane et on pensera à Serge », twittait ainsi Agnès Pannier-Runacher en fin de journée. Autrement dit : « Ce soir on écoutera Jane et on pensera à l’homme qui la frappait ? ». La ministre de la transition écologique qui s’auto-proclame « féministe » dans sa bio Twitter, ne fait que s’inscrire dans la longue tradition des personnes qui considèrent qu’une femme n’existe que si elle est rattachée à un homme. Il est, malheureusement, commun de rappeler avant tout le célèbre ex compagnon de la femme qui vient de décéder.
Ainsi, en juin dernier, pour annoncer le décès de la peintre Françoise Gilot, de nombreux journaux rappelaient, dès la titraille des nécrologies, qu’elle avait été la compagne et muse de Pablo Picasso. Peu importe que cette relation se soit arrêtée il y a 70 ans et qu’elle n’ait duré que 9 ans sur les 101 années que cette dame a passées sur terre. Peu importe, aussi, que l’artiste espagnol lui ait un jour percé la joue avec une gauloise allumée. Ou qu’elle ait raconté avoir sangloté toute l’après-midi la seule fois où il l’a réellement fait poser pour lui.
https://twitter.com/_itslilith11/status/1666839024315809793
Que votre nécrologie soit sexy
Est-ce que le fait de montrer des photos du couple prises dans les années 70 n’est pas un moyen de montrer Jane Birkin à une époque où elle incarnait encore le fantasme de la « baby doll » au corps de pré-adolescente ? Pour illustrer les nécrologies de femmes, les médias préfèrent souvent les joues rebondies de la jeunesse aux visages ridés des dernières années de la vie. Conséquence ? Alors que Jane Birkin est décédée à l’âge de 76 ans, elle semble n’avoir jamais dépassé la trentaine d’années.
Ici aussi, rien de nouveau sous le soleil : une femme célèbre ne vieillit pas et fut-elle centenaire, elle semble être morte « dans la fleur de l’âge ». Comme si on leur rendait service au fond, dans une ultime galanterie, à ne pas exhiber leur visage marqué et ridé. Comme si apparaître vieille était honteux.
Ainsi en 2017, lorsque les actrices et chanteuses Jeanne Moreau et Mireille Darc ont passé l’arme à gauche, aux âges respectables de 89 ans et 79 ans, les journaux ont quasiment exclusivement utilisé des photos de leur jeunesse. La même année, pour annoncer les décès de Johnny Hallyday et Jean d’Ormesson, ces mêmes médias n’ont pas hésité un instant à publier des photos d’eux poils blancs sur la tête et rides profondes sur le front. Et le fait qu’un des deux, je vous laisse deviner lequel, fut considéré comme un sex symbol n’y a rien changé. C’est bien connu : un homme vieillit comme du bon vin et une femme comme un fruit qui pourrit.
https://twitter.com/GillesKLEIN/status/902395386974748672
« On a l’impression d’une ultime galanterie, comme si on leur rendait service au fond, à ne pas exhiber leur visage marqué et ridé, comme s’il y avait une quelconque gêne à apparaître aussi vieille », écrit dans son blog Valérie Rey-Robert, dans un billet intitulé “Les actrices meurent toujours jeunes”.
Une exception à cette interdiction tacite de publier des portraits pris 20 ans avant le décès de femmes est cependant à noter : la créatrice de mode Vivienne Westwood, dont les nécrologies ont principalement été illustrées de ses glorieux cheveux blancs. Comme si le fait d’avoir vieilli illustrait sa punk attitude.
Surprise : la muse de Gainsbourg et Jacques Doillon était aussi une artiste !
Et que penser du silence assourdissant sur les albums, livres et spectacles que Jane Birkin a écrit elle-même, comme la grande fille qu’elle était ? À en lire et écouter la presse, elle n’aura travaillé que pour les œuvres que ses ex lui ont conçues. Comme si l’art produit par les femmes ne pouvait être que mineur. Un simple détail biographique, que l’on peut zapper pour mieux rappeler qu’à ses 20 ans, elle tournait entièrement nue dans un film. Seules de ses créations que les médias s’accordent à mettre en lumière : ses trois filles. Pourrait-on, enfin, honorer une femme pour autre chose que pour les hommes qu’elle a soutenus et les enfants qu’elle leur a donnés ?
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