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Mon premier Comiccon

Petit séjour en métafiction.

Par
Jean Bourbeau
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Vendredi après-midi, à Montréal. Le soleil plombe sur un centre-ville en panique sans réseau ni paiement instantané, mais aux alentours du Palais des congrès, l’univers parallèle de la gigantesque convention aspire et recrache sans relâche ses marées de personnages. De Cruella aux fous de Mortal Kombat. Yoshi main dans la main avec Ace Ventura. Conan le barbare fume avec Sailor Moon.

N’en déplaise aux cravates du quartier qui s’exilent le regard médusé, cette fin de semaine appartiendra aux exalté.e.s du Comiccon.

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Je dois me confesser d’emblée, je ne suis pas vraiment un geek. L’univers des anime japonais, de Star Wars ou de Marvel m’est étranger. Mais le fanatisme, peu importe le sujet, m’a toujours fasciné. Après deux années d’absence, une initiation s’imposait pour ce grand rassemblement du cosplay délirant.

Je me faufile, un brin égaré parmi les hordes de Ewok et des Harley Quinn multicolores, jusque dans la salle principale, où l’énorme espace est fragmenté en plusieurs zones.

On y retrouve une aire pour les dédicaces de vedettes, des photobooth, des jeux en ligne, des artisan.e.s, mais la majorité du pied carré est surtout occupée par un marché aux puces aux mille fantaisies. Un grand buffet multigénérationnel, des bandes dessinées aux réalités virtuelles. Il est possible d’acquérir aussi bien une baguette magique qu’une Poké Ball, des cartes Magic ou un katana, de flatter un serpent, de se faire scanner le corps en personnage vidéoludique et de prendre un cliché avec le muscle car de Mad Max. Un labyrinthe tentaculaire de stimuli culturels.

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On respire mieux à l’étage, où l’on trouve les conférences, les projections de films, un espace familial pour se défouler et une salle destinée aux concerts de bandes sonores.

Pour les plus vieux, il y a même en soirée des spectacles de burlesque et du speed dating.

Selon mes estimations, un peu plus de la moitié des festivaliers et festivalières sont costumés. Des tenues allant du steampunk patché au duct tape dans le métro à des hallucinations traduisant un véritable travail d’orfèvre.

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Si pour certain.e.s, le Comiccon rime avec shopping de memorabilia ou rencontre avec leurs semblables, pour le moldu que je suis, ma seule passion est le people watching. Un décor épileptique défilant en un fleuve infini de créatures. Territoire idéal, me dis-je, pour consommer de puissants psychotropes.

Je me régale à contempler une famille de Schtroumpfs délavés à côté d’un Vegeta en surpoids, une game de ping-pong entre Hulk et Mafalda ou encore Michael Myers, couteau en main, qui magasine un casse-tête 3D.

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Dans cet antre psychédélique où mainstream pop et sous-cultures s’embrassent, je décèle néanmoins une hiérarchie des référents. L’univers des anime japonais semble aussi hermétique que populaire. Je note Itachi Uchiha de Naruto, le fantôme de Spirited Away; le reste est un grand désert d’inconnus si foisonnant que je me sens aussi vieux qu’inculte.

Les participant.e.s sont de tous les âges, des masses de jeunes boutonneux à des retraités bricoleurs. Des couples, des ami.e.s, des parents normies qui viennent avec leur enfant vêtu.e d’une culture qui les dépasse. Un monde ouvert et clos sur lui-même avec ses propres repères.

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Le Comiccon est un spectacle social autoréférentiel que mes a priori auraient cru masculin, mais surprise, la gent féminine rayonne d’une présence en nombre égale ou même plus grande.

L’atmosphère est des plus sympathiques, les sourires sont accrochés aux lèvres de tous et toutes. C’est délicieusement chelou et ici, le geek est souverain. En fait, cette terre promise est comme l’Halloween, mais sans la débauche éthylique et le côté désespérément sexuel, à quelques corsets près.

Un weekend peuplé d’une métafiction sur deux pattes, où seul le parfum de sueur trahit l’humanité suffocante sous les ornements. Une visite dans les salles de bain est un détour hilarant. Devant le miroir, l’un se refait une beauté de gremlin, l’autre replace une perruque décolée ou un verre de contact blanc.

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Je regarde amusé Shrek qui s’achète un Pepsi Diète quand une enfant haute comme deux pommes, déguisée en fée, lance à ma voisine : « Tu es super belle ! » L’Elfe de sang de Warcraft originaire de Laval lui sourit. « Je suis à 200 photos aujourd’hui », me lance-t-elle en reprenant son souffle alors qu’une dangereuse gouttelette glisse le long de son maquillage.

N’ayez crainte, l’éternel culte autour de Star Wars demeure en grande forme. Plusieurs bandes de preux padawans se déplacent en groupe, théâtralisant sans relâche les scènes d’anthologie. Je constate aussi avec un certain étonnement que plusieurs n’ont jamais décroché de Halo, sans oublier l’extrême abondance de paquets masculins ô combien serrés dans les suits synthétiques de Spiderman. Les pauvres.

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Aucune musique n’y joue, outre les « OMG » et les demandes de selfies incessantes. Je croise un Obélix errant avec lenteur, visiblement disponible aux Kodaks, mais boudé par les masses, qui semblent plus friandes de l’esthétique nippone que des classiques belges.

Un hall d’entrée lumineux concentre les gros costumes; de ceux que je reconnais, Hulk, Buzz Lightyear, le Skull Kid de Zelda et un Bumblebee géant s’entrecroisent dans une valse de flashs. Quelques corps féminins enrobés de latex font le plaisir des photographes improvisés. J’y croise même Jésus.

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Dans le coin des vedettes, il y a de longues files pour rencontrer l’acteur du T-1000 du deuxième Terminator et Malcolm McDowell, l’interprète d’Alex Delarge de Clockwork Orange. Ça doit faire 50 ans que ce dernier répond aux mêmes questions sur Kubrick. Je les laisse tranquilles.

Je m’attendais à ce que ce soit plein, mais si la journée de vendredi était bondée, samedi est une rave. Une heure et plus d’impatience pour entrer dans ledit royaume. Les poubelles débordent, les soupirs se font entendre en coulisse. Le paysage jalonné par cette étrange propension des ados à s’asseoir en rond un peu partout comme des voyageurs de gare. Le succès ne vient jamais sans pépin.

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Des tsunamis de passionné.e.s défilent devant les franchises de restaurants où Batman et ses collègues se sifflent des Whoppers alors que la cohue déborde jusqu’au Chinatown, ses murailles envahies par l’ombre des Gandalf et des Wario en salopette, faufilant leur féérie entre les itinérant.e.s et les touristes américain.e.s.

Le Comiccon est un terrain de jeu pour se retrouver, s’épanouir hors de l’internet et surtout, sortir son portefeuille. Dans l’expression radicale de l’événement se trame un mercantilisme fort peu déguisé. Rien ou presque n’est gratuit malgré un billet à l’entrée loin d’être donné. Se faire masser le dos par Wonder Woman à la signature d’une voix de Mario Bros, c’est tout un univers marchand parfois déroutant, qui peut faire sourciller les parents les plus vulnérables.

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Prolifération carnavalesque au langage s’adressant aux puristes, la convention synthétise les grands phénomènes pop d’hier à demain, de frontal au plus niché. Godzilla à Mina Ashido. Un cauchemar pour Jean Baudrillard.

Avant de partir, je croise un homme sans déguisement incarnant un figurant. Quelques intuables trekkies font acte de présence obligatoire, mais c’est la grande quantité de SWAT qui pique ma curiosité finale. On me souffle à l’oreille que c’est en référence au swatting, ce phénomène malicieux de canular où virtuel et réel se heurte.

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Au Palais des congrès, les frontières de la fiction se dissolvent en une grande métamorphose ne revendiquant qu’un amusement et une fin de semaine remplie de clins d’œil référentiels.

Et c’est une réussite, il n’y a pas une seconde d’ennui dans cette galaxie du divertissement.

Si bien des éléments demeurent encore énigmatiques après deux journées de pèlerinage dans le grand temple du cosplay montréalais, il faudrait que l’on m’explique la folie des Funko Pop, le délire bestial des furries et le grand mystère de l’engouement monstre pour les kiosques de granitas.

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Soixante-deux mille participant.e.s ont foulé le sol, du jamais vu. Les caisses sont pleines. Le futur s’annonce rose pour Kirby et sa clique.