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Mon corps est non-binaire

En partenariat avec la ZEP (Zone d’Expression Prioritaire).

Par
La ZEP
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Ce récit provient des ateliers d’écriture animés par les journalistes de la Zone d’Expression Prioritaire (la ZEP), un média qui accompagne l’expression des jeunes pour qu’ils et elles se racontent en témoignant de leur quotidien et de toute l’actualité qui les concerne.

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J’ai toujours eu les cheveux très longs. Si longs qu’ils balayaient presque le sol, si volumineux que je pouvais y planquer mes iris, si nombreux que j’avais tendance à m’y perdre. Puis un jour à 17 ans, je les ai coupés, le début de mon identité non-binaire. J’ai découvert la sensation de fraîcheur sur ma nuque, c’était comme une vague qui venait lécher le sable sec. J’entendais un peu mieux le monde avec mes oreilles découvertes et je m’entendais un peu moins penser. J’ai laissé toutes mes larmes tomber au sol avec ma fourrure, j’ai découvert mon regard sur mon reflet. Le problème quand on se découvre, c’est que l’on se sent un peu plus vulnérable. Le doute est venu me griffer le cou d’une main, et la peur est venue croquer mon estomac. Je voyais, j’entendais et je ressentais mieux tout ce qui m’entourait, et tout ce qui m’entourait n’aimait pas que je me dévoile. Il y avait des proches qui ne m’aidaient pas. Les cheveux courts ce n’est pas pour les femmes, les hommes préfèrent les femmes aux cheveux longs, disaient-ils. J’ai coupé quelques cheveux et quelques lettres de mon prénom. J’étais celle·ui qu’on prenait pour la fille qui s’habille comme un garçon et ça m’allait. Mon pronom était « elle ».

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J’ai arraché quelques sapes et quelques pronoms

J’ai toujours porté des vêtements près du corps. Si près que j’avais l’impression d’être un océan dans un verre d’eau. Ce vase me compressait, je n’arrivais plus à nager, je n’arrivais plus à respirer et je me noyais. Puis un jour à 18 ans, le vase a débordé, j’ai décidé de le briser. J’ai mis un t-shirt et un fute qui faisaient trois fois ma taille. Je nageais dedans, ouais, mais je respirais. Je nageais dedans, ouais, mais impossible de m’y noyer. Le problème quand on nage, c’est qu’on croise quelques requins, et ceux-ci mordent plus forts quand ce sont nos proches. Le doute est venu me griffer le cou d’une main, et la peur est venue croquer mon estomac. Les vêtements de garçon ce n’est pas pour les femmes, les hommes n’aiment pas les garçons manqués, disaient-ils. Comment faire quand on est non-binaire ? J’ai coupé quelques cheveux et quelques lettres de mon prénom, j’ai arraché quelques sapes et un pronom. J’étais un garçon avec quelques formes en trop et ça m’allait. Mon pronom était « il ».

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« il », « elle » et « iel »

J’ai toujours eu une forte poitrine. Si forte que je la transporte tous les jours comme deux boulets autour du cou. Avec le temps, ils deviennent plus lourds. Ma peau neuve se transforme en haillons et mon dos fatigue comme la branche d’un arbre en fin de vie. Puis un jour à 19 ans, j’ai décidé de couper mes seins. Ils me paraissent déjà moins lourds maintenant que je sais que ma réduction mammaire est au bout de la route. J’ai appelé mon médecin pour avoir une ordonnance me permettant d’effectuer l’opération – j’ai un bonnet F, en France, la réduction est gratuite chez toute femme ayant un bonnet D ou plus. Ma consultation est dans quelques jours. Le problème quand on a encore du chemin à faire, c’est qu’on croise quelques obstacles, et ils semblent bien plus imposants quand ce sont nos proches. Le doute est venu me griffer le cou d’une main, et la peur est venue croquer mon estomac. Les petites poitrines ce n’est pas pour les femmes, les hommes préfèrent les fortes poitrines, disent-ils. J’ai coupé quelques cheveux et quelques lettres de mon prénom, j’ai arraché quelques sapes et réuni quelques pronoms, je vais laisser tomber quelques tailles de bonnet en trop et quelques identités de genre qui me collent à la peau. Je suis ni une femme ni un garçon. Je suis non-binaire, c’est-à-dire une femme et un garçon, et ça me va. Mes pronoms sont « il », « elle » et « iel ».

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M’identifier à mon genre non-binaire

J’ai mis quelques années à comprendre quelle était mon identité de genre. Au lycée, j’avais quelques ami·es aux cheveux courts qui m’ont inspiré·e pour sauter le pas, d’autres avec des sapes qui faisaient trois fois leur taille, et d’autres qui ne reconnaissaient pas leur genre dans la taille de leur bonnet. Dans mon bahut, j’ai aussi rencontré des personnes transgenres, demigirl, demiboy, genderfluid, non-binaires, etc. qui m’ont permis de me trouver. J’ai eu beaucoup de repères sur lesquels m’appuyer, mais j’ai pris chaque décision seul·e pour essayer de me reconnaître dans mon corps. À chaque pas en avant – couper mes cheveux, changer de sapes etc., la main des gens prenait ma cheville et me forçait à faire un pas en arrière. Ils me disaient que j’étais une femme et qu’il ne fallait pas en douter, que seuls eux savaient ce qui me convenait, ce qu’il me fallait. À chaque pas en avant, ma main me prenait la cheville et me forçait à faire deux pas en arrière. Je me disais que je savais qui j’étais et qu’il ne fallait pas en douter, qu’être une femme c’est ça qui me convenait, qu’être une femme c’est ça qu’il me fallait.

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Enfin être moi-même

Des amis queer m’ont appris qu’on pouvait être un homme avec de la poitrine, une femme avec les cheveux courts ou simplement un être humain. J’ai encore un peu peur de mettre en place des changements pour m’identifier à mon genre non-binaire, par exemple cette future réduction mammaire, notamment à cause de la dysphorie (la détresse ou la souffrance des personnes dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe assigné à la naissance).

Selon les jours, je me genre au féminin, au masculin, ou de façon neutre. Selon ces jours, ma poitrine me convient bien ou ne me convient pas du tout. J’ai peur que la dysphorie revienne à la surface après mon opération. Cependant, je suis persuadé·e que je serai bien plus heureux·se après ces changements, même s’il y a toujours des requins ou des obstacles. J’ai un mulet court, des t-shirts XXL et des binders. Je suis non-binaire et ça me va.

Az, 19 ans, étudiant·e, Rambouillet

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