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Moins de normativité, plus de liberté : quand la queerness réinvente le faire famille
Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. En lisant ces mots, la première image qui nous vient est celle d’un homme et d’une femme amoureux, formant une famille biologique épanouie. Un modèle traditionnel convoité par la plupart d’entre nous et qui, en 2022, reste encore le modèle dominant. Du moins, c’est celui que l’on continue à nous imposer partout : à la télé, sur les réseaux, au coin de la rue.
Pourtant, des modèles, il en existe plusieurs, malheureusement invisibilisés par l’hétéronormativité et le patriarcat. Incarnées entre autres par les familles queer, ces façons de faire famille en dehors de la norme établie auraient d’ailleurs beaucoup à apprendre à la société. C’est ce que nous explique Gabrielle Richard, sociologue et chercheuse, spécialiste des questions de genre et de sexualité, autrice de l’essai Faire famille autrement, paru aux éditions Binge Audio.
Défaire la bonne parentalité hétéronormée
La famille, c’est biologique ? La famille, c’est un foyer composé de deux personnes avec enfants ? La famille, c’est forcément hétéro ? Dans son essai Faire famille autrement, Gabrielle Richard répond à ces questions et remet en perspective notre conception de la famille. Pour se faire, elle prend comme supposé contre exemple de la bonne famille, la famille queer.
Si le mot queer désigne le plus souvent les personnes qui ne sont pas cisgenres ou hétérosexuelles, la famille queer, elle, est constitutive de l’expérience de la parentalité des personnes LGBTQ. Faire famille queer, c’est aussi envisager de faire famille en dehors du schéma classique qui met au centre des concepts comme la filiation biologique, les rôles genrés, ou encore le couple. Gabrielle Richard utilise notamment le terme de “queerer la famille” pour désigner le fait d’envisager la famille en dehors de ces normes précisément, et d’apprendre à se construire dans une société qui ne nous pense pas en tant que personne non cisgenre et non hétérosexuelle.
Faire famille en dehors de la filiation biologique, des rôles genrés et du couple
Lorsqu’on est queer, pas le choix, donc, de se défaire du schéma hétéronormé de la famille qui serait donc d’emblée un obstacle. Car derrière le concept de la famille, il y a l’idée qu’il faut forcément un homme et une femme, qui s’aiment et qui cohabitent. Chacun doit également avoir un rôle bien défini dans la conception de cette dernière. Par exemple, lorsqu’on naît femme est que l’on veut fonder une famille, il y a avant même sa naissance l’idée obligatoire que ce sera à nous de porter l’enfant, que ce seront nos ovules ainsi que le sperme de notre partenaire, dont nous serions au préalable tombées éperdument amoureuses et avec qui l’on cohabitera, qui serviront à concevoir cet enfant, abrité pendant 9 mois dans notre utérus.
Un modèle peu interrogé dans notre société par les couples traditionnels eux-mêmes, car il est rare qu’un couple cisgenre et hétéro choisisse en première instance d’accéder à la parentalité par adoption ou en co-parentalité, rappelle Gabrielle Richard. De même, il est rare de voir deux personnes cisgenres et hétérosexuelles choisir de faire famille avec une personne n’étant pas un partenaire amoureux. Quand on est cisgenre et hétéro, la cohabitation fait également partie de la règle à laquelle on ne pense pas à déroger lorsqu’il s’agit de fonder une famille.
La filiation biologique n’a aucun impact sur le fait d’être un bon parent et de former un foyer épanoui.
Avec la famille queer, cette façon d’appréhender la famille ne peut, de fait, être envisagée. Non seulement parce qu’elle n’est pas possible physiquement d’un point de vue de la conception biologique, mais aussi parce que les règles liées aux couples ainsi qu’aux rôles genrés sont bouleversées.
La famille queer, un modèle insoupçonné
S’il y a l’idée qu’une vraie bonne famille doit être cisgenre et hétéro pour toutes les raisons que l’on vient d’évoquer, Gabrielle Richard démontre à travers les témoignages qu’elle a récoltés pour son étude qu’elle n’a, en réalité, rien de valide. En effet, la filiation biologique n’a aucun impact sur le fait d’être un bon parent et de former un foyer épanoui. Au contraire, même, explique la sociologue : « Je ne dirais pas que les familles queer sont plus légitimes que les familles hétéros dans le faire famille, pas du tout. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il y a tellement d’obstacles pour faire famille quand on est queer que le désir de parentalité doit être très fort pour pouvoir parvenir à fonder un foyer, là où, dans les familles hétéros, il s’agit juste d’un chemin tout tracé que l’on emprunte sans nécessairement se poser de questions, ou du moins, pas autant que lorsqu’on est une personne LGBTQ ».
Faire famille en dehors des normes, c’est aussi l’occasion pour les co-parents, qu’ils soient deux ou plus, de communiquer sur leurs envies, besoins et attentes, en mettant carte sur table et en définissant les contours d’une parentalité sur-mesure. Fonctionner ainsi offre une plus grande possibilité d’épanouissement à titre individuel et collectif, car chacun peut décider du rôle qu’il souhaite occuper. Cela évite les conflits et les frustrations. Par exemple, la tâche de la vaisselle incombera dans une famille queer à la personne qui aura été désignée d’un commun accord et non pas à la personne dont le genre induit implicitement cette tâche, à savoir la femme dans un couple hétéro.
Si les familles queer ont l’obligation de penser leur famille en dehors des injonctions et d’inventer leurs propres règles, accédant ainsi à plus de libertés et d’épanouissement, les personnes hétérosexuelles peuvent elles aussi bénéficie ce mode de fonctionnement. À condition de repenser certaines dimensions de la parentalité, sans miser d’emblée sur la filiation biologique par exemple, et en explorant les possibilités de créer ou recréer leur famille hors de l’exigence de cohabiter ou d’être en couple avec un co-parent.