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Ce mercredi 11 septembre est sorti au cinéma “Le procès du chien”, le premier film de la réalisatrice et comédienne Laetitia Dosch. Dans cette comédie absurde, une avocate spécialisée dans la défense des animaux, s’échine à sauver de la peine capitale un toutou mordeur récidiviste… Alors si aujourd’hui le long-métrage ambitionne de faire rire le public comme des baleines dans les salles obscures, les animaux n’ont pas toujours été exclus des tribunaux. Ils y ont même longtemps traîné leurs petites pattes, et leurs gros sabots.
En effet, on retrouve durant près d’un millénaire, en France et ailleurs, des exemples de jugements de bêtes de fermes, de cétacés envahissants, ou d’insectes nuisibles. Et oui, à une autre époque, vous auriez sûrement pu porter plainte contre le moustique tigre ! On vous explique !
DES PROCÈS ENCOURAGÉS PAR LA BIBLE
Une fois n’est pas coutume, le best-seller de la chrétienté a eu son rôle à jouer dans la tenue de ces procès au cours du Moyen-âge. En effet, l’Ancien Testament précise que “si un bœuf renverse et tue une personne, il faut le lapider sans manger ses chairs”. La logique est en fait la suivante : toutes les créatures vivantes appartiennent à la communauté de Dieu et sont donc responsables devant lui, au même titre qu’un être humain. Alors évidemment, il n’est pas encore question d’anti-spécisme : les hommes restent au sommet de cette hiérarchie arbitraire, parce qu’ils ont inventé les arbalètes et le gruau. Mais d’après les textes sacrés, tous les animaux sont censés avoir une âme, et donc posséder la capacité de culpabiliser, de se repentir, et de distinguer le bien du mal.
LES COCHONS, A LA BARRE
On peut distinguer trois grands types de procès d’animaux. Le premier concerne les animaux domestiques (chevaux, chiens, coqs, ânes, cochons…) ayant commis des crimes, ou causé des dommages matériels. Ces affaires se déroulent devant une juridiction laïque, et la peine appliquée est souvent la mise à mort, à laquelle on peut associer des rituels d’exposition, d’humiliation, ou de torture. Le plus souvent, ce sont des porcs (dans 90% des cas) qui finissent sur l’échafaud. Il faut dire qu’ils cohabitent avec l’homme, et se baladent librement dans les villes et les villages, occasionnant parfois de graves accidents. L’affaire la plus connue – et la mieux documentée – est sans doute celle de la truie de la commune normande de Falaise, en 1386. Le procès dura près de neuf jours, et fut si onéreux qu’on en conserve encore les archives.
Arrêtée pour avoir dévoré la jambe et le visage d’un nourrisson, la malheureuse fut traînée derrière un cheval, grimée avec des vêtements de femme, puis condamnée à subir les mêmes sévices que sa victime : ainsi, on lui trancha le groin et on découpa sa cuisse, avant de la pendre, puis de la brûler. Le juge eut même l’idée de demander aux paysans du pays, venus assister à la mise à mort, de ramener leurs propres pourceaux voir ce spectacle macabre, histoire que ça leur serve d’exemple à l’avenir…
DES MOUCHES, PRIVÉES DE PARADIS
Le second type de procès, qui avait cours un peu partout en Europe, concerne les “fléaux”. Ces audiences se tenaient devant les autorités ecclésiastiques, les seules habilitées à se saisir de certaines affaires, et à prononcer la peine la plus lourde à l’époque : l’excommunication. En gros, on vous exclut du fan-club de Dieu, et vous êtes alors rétrogradé au rang de simple paien, promis au barbecue éternel de l’enfer. Ces sanctions étaient en fait appliquées aux animaux de petite taille qui détruisaient les récoltes : limaces, sangsues, grenouilles, reptiles, corbeaux ou rongeurs… Le témoignage le plus ancien d’un procès de ce genre dans l’Hexagone concerne le diocèse de Laon, où l’évêque Barthélemy aurait, en 1120, déclaré maudits et excommunié les mulots et chenilles, qui avaient ravagé les champs. L’année suivante, rebelote : faute de tapettes efficaces, le même évêque excommunia les mouches.
Des procès de “nuisibles”, on en trouve ensuite à la pelle jusqu’au XVIème siècle. Et comme les animaux invités à comparaître ne se pointaient pas au tribunal, ils étaient condamnés par contumace. Ainsi, en 1222. les pêcheurs du lac Léman, inquiets de voir proliférer les anguilles qui boulottaient les autres poissons, demandèrent au diocèse local qu’on leur règle leur compte. Malgré une défense assurée par un ténor du barreau – comme c’était l’usage – l’absence des accusées le jour J, et leur mauvais esprit manifeste, pesèrent lourd dans la balance. Elles furent alors excommuniées, puis autorisées à ne circuler que dans une seule partie du lac. D’autres animaux aquatiques ont quant à eux bénéficié de plus de clémence de la part de l’Eglise, comme ce gang de dauphins qui avait envahi le port de Marseille en 1596, et fut “seulement” exorcisé par l’évêque de Cavaillon.
DES CRIMES CONTRE NATURE
Le dernier type de procès qui était intenté aux animaux concernait des crimes de deux ordres : la bestialité et la sorcellerie. C’est-à-dire, d’une part, les actes de zoophilie, pour lesquels on envoyait au bûcher les pauvres animaux qui en étaient victimes, en compagnie de leurs maîtres-bourreaux. Et d’autres part, les manifestations de satanisme présumé. Comme en 1474, à Bâle, lorsqu’on brûla vif un coq avec un œuf, car on soupçonnait le pauvre volatile d’en être le père, et donc d’avoir passé un pacte avec le diable…
L’ABANDON DES PROCES D’ANIMAUX
C’est finalement à partir du XVIIème siècle qu’on délaissa cette pratique, et là encore, en raison de l’influence de l’Eglise. En effet, pour répondre aux libre-penseurs et contradicteurs de la foi chrétienne qui faisaient remarquer – à juste titre – que si les êtres humains appartiennent à la même communauté spirituelle que les animaux mortels, cela signifie que l’immortalité de l’âme humaine est un leurre, car nous ne sommes pas plus éternels qu’un corgi, les curés décidèrent que les animaux et les plantes seraient désormais relégués au rang de simples objets. D’après l’historien Michel Pastoureau, grand spécialiste du sujet, les mœurs d’antan ont rapidement changé à la suite de ce revirement des autorités religieuses. Et alors qu’on supportait auparavant très bien la présence des chiens lors de la messe, ou des chevaux dans les églises, ils en furent désormais bannis.
Néanmoins, au fil des siècles suivants, certains animaux ont continué à défrayer la chronique et à avoir des ennuis avec la justice. Ainsi, en 1794 dans la ville de Béthune, par décision du tribunal révolutionnaire, un perroquet fut retiré à ses propriétaires, et condamné à être remis à une famille adoptive. Son seul crime ? Avoir pris l’habitude de crier “vive le roi !” et non “vive la République !”