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Milli Vanilli et notre obsession avec l’authenticité

Diantre ! Qu’avons-nous fait vivre à Rob et Fab ?

Par
Benoît Lelièvre
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C’était un monsieur très important à l’époque où on kiffait sur de l’eurodance dégueu parce qu’on était tous trop défoncés en soirée. On lui doit des hits intemporels comme l’excellente Be My Lover de La Bouche, la pas mal moins excitante Tic Tic Tac de Chilli et Carrapicho et, bien sûr, l’intégrale de Milli Vanilli.

On a choisi de se rappeler collectivement du duo pop comme des escrocs à la petite semaine s’étant faufilés au sommet des palmarès pendant que la police de la musique était occupée avec Judas Priest, mais c’est pas exactement ça qui est arrivé. Le documentaire Milli Vanilli, paru en octobre dernier sur Paramount+, remet toutefois les pendules à l’heure.

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Dans la foulée des stars disgraciées qui se réapproprient leur histoire via le médium du documentaire, la moitié survivante de Milli Vanilli Fabrice Morvan lève le voile sur une des histoires les plus humiliantes de l’histoire de la musique populaire. Spoiler alert : tout est la faute de Frank Farian… en tout cas, presque tout.

Girl You Know It’s True (ou pas)

L’histoire de Milli Vanilli débute à Munich, où Fabrice Morvan et Rob Pilatus se rencontrent parce qu’ils sont les deux seuls hommes noirs de la ville et qu’ils partagent tous les deux un intérêt commun pour la musique et la danse. Fabrice raconte que Rob lui aurait été un peu hostile au départ parce qu’il recevait beaucoup d’attention de la gent féminine à cause de ses origines et son talent pour se déhancher sur du gros beat sale.

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Les deux gars ont vite compris qu’ils formeraient une équipe redoutable s’ils mettaient leurs talents de pair et ont commencé à faire parler d’eux en tant que danseurs et artistes sur la scène munichoise sous le nom d’Empire Bizarre.

Ils sont vite tombés dans l’œil de Frank Farian, à l’époque un producteur célèbre pour avoir formé le groupe disco Boney M et responsable de leur succès aussi immense qu’improbable, Rasputin. Farian leur fait une offre: « Vous êtes parfaits, mais vous chantez comme des fonds de casseroles alors vous allez être le visage de mon groupe. Sans plus. » Il offre aux deux jeunes hommes à la stabilité financière plus que précaire 1500 deutsche marks chacun pour faire du lip-sync.

Ce que Milli Vanilli raconte de complètement révoltant, c’est que ce n’était pas la première ni la dernière fois que Frank Farian montait un projet frauduleux de la sorte.

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Surprise, Boney M aussi, c’était du lip sync. Si Farian se trouve derrière de nombreux projets musicaux à l’esthétique « parfaite » complètement irréaliste, ce sont les pauvres Rob et Fab qui écopent et en deviennent les visages, contre leur gré. Remarquez que si je dis ici « les pauvres », c’est bien parce qu’ils se sont fait prendre. Après tout, pendant quelques années, ceux-ci ont été adulés partout dans le monde, ne serait-ce que pour leurs physiques d’Adonis et leurs mouvements de danse spectaculaires.

Mais si Milli Vanilli a eu du succès jusqu’à ce que Farian les dénonce publiquement, même si tout le monde était au courant de leur secret, c’est parce qu’on voulait y croire. Ce qui mène à la question, trente ans plus tard : est-ce que c’est important qu’une histoire soit vraie, si elle est efficace ?

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Les contrecoups de la fraude émotionnelle

Ce qui est nul et difficile à propos de l’histoire de Milli Vanilli, c’est qu’elle ne se reproduirait pas aujourd’hui. Rob et Fab ont été, en quelque sorte (pas totalement), victimes de leur époque. S’ils avaient été recrutés dans un projet pop en 2023, on aurait tout simplement passé leurs voix dans autotune pour en faire de la saucisse auditive et cette controverse n’aurait jamais eu lieu.

L’authenticité en a aussi pris pour son grade depuis 30 ans. Garth Brooks a prétendu être Australien, le temps d’un album. Lana Del Rey n’avait aucun succès sous son vrai nom (Elizabeth Grant), mais s’est transformée en supernova lorsqu’elle a choisir d’incarner un personnage de nymphe californienne blasée par les hommes médiocres. Zac Efron a fait du lip-sync pendant High School Musical.

Pourtant, aucune de ces révélations n’a mis un terme à la carrière de personne.

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Malgré le fait qu’ils n’ont été que des pions sur l’échiquier de Frank Farian, Rob et Fab ont dû subir à eux seuls la disgrâce de Milli Vanilli. Ils ont été ridiculisés, conspués par la presse qui n’avait pourtant pas réagi de la même manière du tout aux révélations de Farian au préalable. Du jour au lendemain, les deux hommes ont perdu leur statut, leur crédibilité et leur gagne-pain.

Oui, ils ont participé en pleine connaissance de cause à ce subterfuge, mais si ça n’avait pas été eux, ç’aurait été d’autres. D’ailleurs, peu de gens s’en souviennent, mais dans la foulée du scandale, Frank Farian a lancé The Real Milli Vanilli avec les vrais interprètes derrière les voix de Rob et Fab… ET D’AUTRES PERSONNES QUI FAISAIENT DU LIP-SYNC SUR LES VOIX DES CHORISTES. Personne ne lui en a voulu pour cette nouvelle malhonnêteté, sauf les personnes concernées qui le font savoir dans le documentaire.

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La musique de Milli Vanilli est toujours disponible sur Spotify au moment où on se parle. Girl You Know It’s True compte 58 millions d’écoutes. La musique Blame It On The Rain en compte 20 millions. Quelqu’un fait encore énormément d’argent avec leur héritage, mais est-ce que ça aurait aussi bien fonctionné si Rob et Fab n’avaient pas prêté leur visage au projet ? Permettez-moi d’en douter.

Milli Vanilli est disponible sur Paramount+. Ça vaut la peine de le regarder, ne serait-ce que vous redonner le droit de viber sur leur musique sans culpabilité.