Les microagressions, c’est par définition plus subtil que des propos discriminatoires ou des violences ouvertes, et c’est donc plus difficile à reconnaître, parfois même pour les personnes qui les subissent. Mais ce n’est pas parce qu’elles sont moins perceptibles qu’elles ne sont pas dommageables et qu’elles ne peuvent pas nuire au climat de travail, bien au contraire.
Alors, comment fait-on pour aiguiser ses sens afin de bien les voir ?
C’est quoi, une microagression?
Une première étape pour reconnaître les microagressions, c’est de savoir ce que c’est. L’avocat, coach et entrepreneur social Fabrice Vil voit deux grandes catégories : « Les microagressions arrivent souvent dans des contextes où on dévalorise la personne en lien avec son appartenance à un groupe donné ou encore, à l’inverse, où on va agir d’une manière qui bafoue l’appartenance de la personne à un groupe donné. »
«Ce sont différentes formes de micro-invalidations, de microassauts et de micro-insultes [envers des personnes qui s’identifient à un groupe marginalisé].»
Concrètement, ça peut être de présumer que quelqu’un d’origine asiatique est doué en mathématique, parce qu’on l’associe à un stéréotype de groupe et qu’on ignore son individualité. À l’opposé, ça peut être de parler des lieux de cultes comme étant uniquement des églises, ce qui génère un sentiment d’exclusion pour les gens qui pratiquent d’autres religions que le christianisme, comme leur identité de groupe n’est pas reconnue.
« Ce sont différentes formes de micro-invalidations, de microassauts et de micro-insultes [envers des personnes qui s’identifient à un groupe marginalisé] », résume Martin Blais, professeur en sexologie à l’UQAM et titulaire de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres (CR-DSPG). « C’est toujours quelque chose qui est juste un peu en deçà d’un seuil d’évidence ou d’un seuil de détectabilité, alors ça laisse une trace, mais pas très évidente pour les gens autour qui pourraient en être témoins. »
Remarques, commentaires et questions intrusives
Mais les microagressions ne visent pas seulement l’origine ou l’appartenance religieuse. L’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, une situation de handicap, l’âge, la condition sociale, le sexe ou encore le poids d’une personne peuvent aussi en faire l’objet.
Une microagression grossophobe, ça peut être, par exemple, commenter le contenu d’une assiette, de jaser de régimes au bureau ou même de ne pas penser que les accoudoirs des chaises dans la salle de réunion empêchent certains corps plus larges de s’installer confortablement.
«T’sais, une personne qui fait la moitié de mon poids et qui se plaint de sa taille, elle m’envoie quel message?»
« T’sais, une personne qui fait la moitié de mon poids et qui se plaint de sa taille, elle m’envoie quel message? », lance Edith Bernier, conférencière, consultante et autrice du livre Grosse, et puis? Connaître et combattre la grossophobie. Elle croit par ailleurs que le fait que la discrimination sur le poids soit considérée, lorsque reconnue, comme une discrimination en fonction d’une perception de handicap par la Charte des droits et libertés de la personne constitue un problème pour la reconnaissance de la grossophobie.
Quand elles s’adressent à des gens qui s’identifient à la communauté LGBTQ+, les microagressions peuvent se présenter sous la forme de questions indiscrètes, de remarques homophobes ou transphobes, de l’usage de mauvais pronoms ou de l’utilisation du dead name (l’ancien prénom d’une personne trans ou non binaire).
Et si on pense à des personnes en situation de handicap, ça peut être d’ignorer leurs besoins quand on organise des activités pour l’équipe, de ne pas reconnaître leurs compétences et leur capacité d’adaptation ou même, comme l’explique Marie-Ève Veilleux, qui est très impliquée au niveau municipal en matière d’accessibilité universelle, de demander à l’autre sa condition médicale. « Chaque fois que je reçois cette question, je suis en colère et je gèle, parce que c’est tellement plein d’émotions en même temps, dit cette dernière. C’est comme si je devais mon intimité à tout le monde. »
Quand l’ignorance blesse
Toutes les personnes consultées s’entendent non seulement sur le caractère subtil des microagressions, mais aussi sur l’absence de mauvaises intentions de la part de ceux et celles qui les font. « Je considère que c’est quelque chose qui n’est pas nécessairement volontaire, estime Edith Bernier. Je pense qu’il y a beaucoup de ces microagressions-là qui relèvent soit d’un manque d’information, soit d’une relative ignorance. »
«La personne se retrouve à ne même pas pouvoir nommer ce qu’elle vit.»
Malheureusement, cette ignorance contribue au problème, puisque ce qui rend difficile ce type d’agressions pour les personnes qui les vivent, c’est non seulement leur caractère répété (« comme une mort par des milliers de petites lacérations », image Martin Blais), mais aussi la dissonance entre ce que les personnes qui les reçoivent ressentent et ce que l’autre a voulu faire ou dire.
« Il y a un écart énorme entre l’intention de l’auteur ou l’autrice et la réception, explique la postdoctorante à la CR-DSPG Émilie Morand. La gestion de cet écart est déjà problématique, c’est-à-dire qu’on se demande si c’est légitime de ne pas se sentir bien. »
Reconnaître les microagressions, c’est la base
Non seulement la victime de microagressions a tendance à invalider ses propres sentiments, c’est en plus la réaction de bien des gens à qui elle peut vouloir se confier, souligne Fabrice Vil. « Par la subtilité de ces situations-là, ce n’est pas rare que la réponse de l’entourage va être que la personne est hypersensible, par exemple, ou qu’on va nier la gravité de ce qui est arrivé. La personne se retrouve à ne même pas pouvoir nommer ce qu’elle vit. » Lui-même a déjà cherché du soutien de gestionnaires après avoir reçu des insultes racistes, mais ses demandes ont été balayées sous prétexte qu’il s’agissait de critiques normales adressées à un chroniqueur; la dimension discriminatoire était ainsi complètement occultée.
On comprend donc pourquoi les microagressions ne sont pas toujours dénoncées : on doute de soi, on est incertain.e de la réception de sa dénonciation, et ça arrive tellement souvent qu’on ne veut pas devenir la personne du bureau qui passe son temps avec les boss à décrier son malaise.
« C’est spécial, le lien d’emploi, exprime Marie-Ève Veilleux. Moi, je n’ai pas dénoncé. Tu veux plaire à ton employeur. Je ne veux pas être la fatigante, je ne veux pas non plus que ça mène à un meeting d’équipe super malaisant. »
C’est donc là qu’entrent en scène deux mots-clés : les allié.e.s et la prévention. On y revient dans un prochain article.