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À Paris, Michou est une légende. Depuis 56 ans, il dirige le Cabaret Michou, l’équivalent parisien de chez Mado, mais avec un souper trois services et de la musique de France Gall. S’il y a un personnage que j’avais hâte de rencontrer en allant à Paris, c’est lui. Mais comme dans un mauvais film de série B, rien ne s’est passé comme prévu.
Faut dire que ça a mal commencé. À mon arrivée à son cabaret de Montmartre, Michou était M.I.A. Ses serveurs, qui s’affairaient alors à dresser les tables, nous ont dirigé rue des Abbesses, où se trouvait son bar préféré, sa deuxième maison.
Michou était bel et bien sur place. Impossible à manquer avec son veston bleu, sa chemise bleue, sa cravate bleue, ses pantalons bleus, ses souliers bleus et sa crinière bleue blanche. Bleu étant sa couleur préférée. (J’apprendrai plus tard que TOUTE sa garde-robe est bleue et que son appartement l’est aussi.) À Paris, certains parlent même d’un «bleu Michou».
Au milieu de la salle à manger, on ne voyait que lui. Et pas juste à cause de son bronzage jaune-orange. L’un après l’autre, les visiteurs venaient le saluer pour se prendre en photo à ses côtés, visiblement émus. On aurait dit Michel Girouard, sauf en moins cheap, en moins has been et en plus Français.
Michou, de son vrai nom Michel Catty, a grandi à Amiens, en Alsace. En plus d’être directeur du cabaret, il a sorti plusieurs singles, dont son plus grand succès Moi, j’suis Michou. En France, tout le monde le connaît; on le surnomme d’ailleurs le « prince des nuits parisiennes ».
Intimidée, je me suis approchée à pas de souris, en lui demandant si je pouvais m’asseoir à sa table, où se trouvaient également les membres de son « entourage ». N’ayant pas été mis au fait de ma visite, il m’a accueillie comme si j’étais une amie de longue date, en commandant un verre de chablis.
Lui aussi avait un verre.
De champagne.
Et même s’il n’était que trois heures de l’après-midi, ça n’avait pas l’air d’être son premier de la journée : « Je ne bois que du champagne! C’est ma cure de Jouvence. C’est le secret de ma beauté », m’a expliqué celui qui venait de fêter ses 80 ans aux côtés de son bon ami Jean Paul Gaultier, Mylène Farmer et Nana Mouskouri.
Sa voix était cassée, comme fatiguée, mais malgré tout, Michou semblait dans une forme superbe. J’ai mis mon chapeau de journaliste, parti ma petite enregistreuse et commencé l’entrevue. « Avant une interview, j’ai toujours le trac. J’ai l’impression que je débute et que c’est la première fois que j’en fais, a-t-il dit. Je suis tellement heureux que vous vous intéressiez à moi et à mon cabaret. Ça me touche! » Cute.
- Dites-moi, Michou, êtes-vous déjà venu au Québec?
- Je suis allé plusieurs fois à Montréal.
- Connaissez-vous Michel Girouard?
- Non, je ne le connais pas.
- Avez-vous déjà visité le Quartier gai?
- C’est pas triste là-bas!
Joke d’octogénaire. On rigole, je poursuis:
- Chez nous, on a un peu un cabaret comme le vôtre, qui s’appelle Chez Mado. Vous connaissez?
- Comme vous êtes maladroite de dire « comme le vôtre »! Le Cabaret Michou est U-NI-QUE au monde. Toutes les plus grandes vedettes y sont passées.
À ce moment-là, je sais pas trop si Michou est sarcastique ou non. Son concept, c’est quand même juste un cabaret de travelos.
– Monsieur Michou…
- Bon, c’est bien amusant vos questions, mais là…
Et sans attendre ma prochaine question, il décide de partir sa cassette:
- Vous voyez, je suis le dernier dinosaure. J’ai créé mon premier spectacle au Cabaret en 1960. On était trois bons copains et on s’était amusés à se déguiser. Je faisais France Gall, mon ami Eugène faisait Nana Mouskouri et Lucien, Juliette Gréco. Un jour, on a fait un spectacle et il s’est avéré qu’il y avait un grand journaliste dans la salle. Il a fait un papier dithyrambique sur nous et les télévisions nous ont approchés. Ça nous a propulsés!
Pour un gars qui a le trac, il a l’air plutôt confiant. Moi, essayant de reprendre le contrôle :
- Racontez-moi la première fois où vous avez vu des travestis. Est-ce que ce fut un événement marquant dans votre vie?
- C’était au bois de Boulogne il y a fort longtemps…
Il s’arrête, puis reprend:
- Écoutez, mademoiselle! Je ne comprends pas… vos questions sont idiotes!
Sous mon air médusé, Michou passe de vieux-mononc’-gai-avec-le-coeur-sur-la-main à professionnal bitch. J’ai l’impression d’avoir devant moi Alys Robi ou, pire, Michèle Richard.
- Euh… c’est pas la première entrevue que je fais. D’habitude, j’ai pas de problèmes avec la qualité de mes questions.
- Bon, voici ce que vous allez faire : vous allez venir ce soir, vous allez voir le spectacle et on va faire l’entrevue après. Vous ne me poserez pas de questions idiotes comme ça. Sachez que je suis le plus grand. Je connais toutes les grandes vedettes.
Frette. Méga-frette.
-Donc, vous dînez chez moi ce soir?
- J’sais pu trop, là…
- Allez, vous êtes mon invitée.
Bras dessus, bras dessous. L’entourage de Michou et moi avons défilé dans les rues de Montmartre en direction de son cabaret, 80 rue des Martyrs. Le quartier au grand complet s’est arrêté pour lui donner la bise. Ce n’était pas une marche, c’était une procession. Sur le chemin, pour amadouer la bête, je lui ai parlé de son brushing:
- Votre coiffure est impeccable, Michou. Quel est votre secret?
- J’ai la tête la plus chère de Paris! Je reçois un brushing chaque matin. Ne passez pas votre main dans mes cheveux, vous allez vous casser un ongle!
Puis il éclate, mais ÉCLATE de rire comme un enfant. Alors que je ris avec lui pour «racheter des points», il s’immobilise subitement devant l’Église Saint-Jean-de-Montmartre. Lui, en prenant un air faussement triste : « C’est ici que je vais mourir… et il y aura du champagne à la place de l’eau bénite! » Vraiment, insaissisable est un euphémisme pour décrire le personnage que j’avais devant moi depuis 30 minutes.
On est enfin arrivés au cabaret. À l’intérieur, le décor était kitsch à mort : il y avait de la dorure, du velours et des chandeliers suspendus. On se serait cru au Salon Officiel. Michou m’a invitée à sa table et a débouché une autre bouteille de champagne.
Pendant ce temps, les clients (qu’il appelait ses «amis») sont arrivés un à un pour leur dîner-spectacle. Il s’agissait principalement de touristes et de provinciaux, et tous ont pris bien soin de lui serrer la main en entrant, comme s’il s’agissait de la septième merveille du monde. Il faut dire que, depuis l’ouverture de son cabaret, le «dinosaure» n’a pas raté une soirée. Sept jours sur sept, devant une salle comble chaque fois.
Avant le début du spectacle, j’ai profité de la petite accalmie pour lui (re)poser quelques questions, en mettant 10 paires de gants bleus blancs. On a parlé de son amour de la célébrité (selon lui la « plus grande réussite de sa vie »). De ses amis célèbres, qui posent fièrement sur le wall of fame à l’entrée du cabaret. De Dalida, de sa voisine Natasha St-Pier, de Fabienne Thibeault, d’Alain Delon et de son p’tit préféré, Jacques Brel. Des personnes âgées du quartier qu’il reçoit gratuitement tous les mois pour un déjeuner-spectacle. On a même jasé de son allégeance pro-Sarko et, enfin, de son homosexualité : « Je vais vous dire un secret : il faut que personne ne sache que je suis homosexuel! »
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Mais il ne m’avait toujours pas accordé de vraie entrevue.
Après s’être assuré que je ne manquais pas de champagne dans ma coupe, Michou est monté sur la scène pour ouvrir le spectacle, comme il le fait chaque soir depuis 56 ans. Devant un décor encore plus psychotronique que son site web (michou.com), il a chanté sa chanson, La chanson de Michou. Un incomparable ver d’oreille que j’ai eu ensuite dans la tête pendant deux jours :
« Mi-figue, mi-raisin, mi-fille, mi-gamin, mi-morue, mi-pingouin,
Moi j’suis Michou.
Mistigri, Mistinguett, mi-coquin, mi-coquette, mineur, mignon, minette,
Moi j’suis Michou
Mimosa, militaire, mijaurée, milliardaire, mironton, mirontaine,
Un peu folle, un peu fou.
Milord à Miami, Milady à midi, mi-chatte, mi-souris,
Moi j’suis Michou. »
Après sa chanson-thème, il a enligné quelques bons gags qu’il a bien dû raconter près de 20 000 fois. « Vous savez pourquoi on mange si bien chez Michou? Parce que ça fait 15 ans que j’ai la chance de coucher avec le boucher! » ou encore « Un couple d’amis à nous a adopté un petit garçon. Un jour, leur fils se retrouve dans la salle de bain et dit à son père, qui se douche, « Papa, qu’est-ce que tu as un gros zizi! » Le père répond « Ah, mon chéri, mais si tu voyais celui de ta mère!»
La foule était hilare, elle mangeait dans sa main.
Au moment où le spectacle commençait, Michou est reparti chez lui avec son mari. Le gars était brûlé. Avant de partir, on s’est embrassés comme les deux meilleurs amis du monde, comme si rien ne s’était jamais passé.
Par la suite, les transformistes (travestis) ont enchaîné numéro sur numéro sur la scène du cabaret, qui était grosse comme ma main. Le spectacle fut mémorable, comme chez Mado, mais avec un souper trois services… et un peu plus de musique poche de France Gall.
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Quand j’ai quitté le cabaret, j’étais aussi mi-figue mi-raisin que dans sa chanson.
Ce soir-là, j’avais rencontré deux Michou. L’octogénaire bon et affable qui reçoit tout le monde à grands coups de bouteilles de champagne. Et l’homme intransigeant, avide de célébrité.
Faut croire que chez Michou, il n’y avait pas que les travestis qui avaient deux personnalités.
Mais dans un cas comme dans l’autre, on a toujours devant soi un Michou qui en impose…
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