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#MeToo de la télé-réalité : peut-on mieux protéger les candidat·es ?

Sur des tournages qui n’échappent pas aux violences sexistes et sexuelles, les coordinatrices d’intimité pourraient jouer un rôle préventif.

Par
Pauline Allione
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Décembre 2023. Nicolas, un candidat de “Frenchie Shore”, présente ses excuses à Melvin pour un baiser non consenti sur le tournage.

Février 2021. Angèle Salentino dénonce le harcèlement subi sur les “Vacances des Anges” et est suivie par d’autres candidates qui appellent au boycott de l’émission.

Décembre 2019. Cynthia Khalifeh dévoile avoir été harcelée et agressée par un candidat sur “Moundir et les Apprentis Aventuriers”. Ce candidat c’est Illan Castronovo, aussi visé par deux plaintes pour viol et accusé de harcèlement sexuel. Depuis #MeToo, plusieurs candidates de téléréalité dénoncent les violences sexistes et sexuelles qui se déroulent sur leur lieu de travail – généralement une villa en bord de mer. Et si, dans ce quotidien en vase clos rythmé par les soirées, les clashs et les rapprochements, une personne participait à créer un cadre plus sécurisant ?

Sur les plateaux de cinéma ou dans l’industrie pornographique, un métier récent a fait son apparition : la coordinatrice d’intimité – puisque ce sont en écrasante majorité des femmes. Au moment de tourner des rapprochement physiques ou des scènes de sexe, elle fait en sorte que les acteur·ices se sentent à l’aise et en sécurité. “On est là pour sculpter la chorégraphie parfaite entre les ambitions des réalisateur·ices, et les limites et les axes créatifs des acteur·ices” détaille Manon Lugas, coordinatrice d’intimité et créatrice de contenus sur son compte Instagram Le cul nu.

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Le métier s’exerce principalement sur des œuvres scriptées, mais pas seulement. En théâtre d’impro, où il est impossible de prévoir les interactions entre les comédien·nes, la coordination prend une forme différente : “Il s’agit de définir des limites sans avoir de cadre. C’est plus compliqué, mais c’est surtout du travail en amont : par le jeu, l’entraînement, le dialogue”. Un travail différent, que l’on pourrait aussi imaginer avec des candidat·es de téléréalité avant qu’ils ne posent un pied dans la villa.

L’intimité en divertissement

Sur les émissions de vie collective, les intrigues affectives et amoureuses constituent en effet un pilier des programmes. Même quand le concept n’est pas de former des couples, les conditions sont telles que les rapprochements sont inévitables. “On estime que c’est un genre télévisuel où il n’y a pas besoin de faire un travail autour de la santé sexuelle des candidat·es, mais la réalité c’est qu’on enferme des gens dans une maison où ils sont tous célibataires et où ils doivent produire de la scène. C’est un métier précaire et compétitif où il faut se faire remarquer face caméra donc l’amour, le sexe et la tromperie font partie des émissions”, rappelle Manon Lugas.

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Largement imbibées d’une culture patriarcale, les émissions mettent en scène des candidates qui se doivent d’être sentimentalement et sexuellement disponibles pour exister à l’écran, là où les “charos” enchaînent les conquêtes et les programmes. “Les “anciens”, comme Nikola Lozina ou Julien Tanti seront filmés plus facilement car ce sont des candidats divertissants et déjà appréciés par le public. Il y a un enjeu pour les nouveaux et nouvelles candidat·es à relationner avec eux, puisqu’être filmé est la première clé d’ascension pour lancer leur carrière dans le milieu. Comme dans d’autres champs de la société, l’intimité n’y est pas dénuée de rapports de pouvoir” détaille Rachel Fabre, autrice d’une thèse sur la socio-économie de la profession de candidat·e de téléréalité. Autrement dit : le terreau est plus que fertile pour voir naître des relations asymétriques et potentiellement, des violences sexistes et sexuelles.

Une prise de sang et des préservatifs

Malgré l’omniprésence des rapprochements intimes, le climat propice aux violences et les dénonciations post #MeToo, la santé mentale et sexuelle des candidat·es ne semble toujours pas faire l’objet d’une attention particulière des productions. Le minimum est assuré avec des analyses sanguines avant les tournages et des préservatifs à disposition dans la maison.

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Les interlocuteur·ices des candidat·es se limitent généralement à des entretiens d’évaluation avec un·e psychologue – indisponible durant le tournage sauf urgence – et aux journalistes et nounous présent·es dans la maison pour une fonction de care (qui restent souvent joignables après le tournage). Un accompagnement mince quand on sait que les nounous, engagées par les productions, agissent surtout dans l’intérêt de ces dernières : “Elles mettent à l’aise les candidat·es, mais elles font aussi en sortent de créer des conditions propices à l’interaction, que ce soit sur le plan de l’amour, de l’humour ou du clash” remet Rachel Fabre.

Au programme : santé sexuelle, consentement et bien-être

De la même façon qu’en théâtre d’impro, une spécialiste de la santé sexuelle permettrait de se dissocier de la production et de ses intérêts pour se concentrer sur des enjeux sanitaires. Comme pour quelques piqûres de rappel parfois nécessaires : “Ce que je souhaite changer, c’est qu’avant d’intégrer la maison, les candidat·es aient une remise à niveau sur la santé sexuelle et la vie affective, de l’éducation au consentement pour soi et pour les autres, et de la prévention à la santé mentale” détaille Manon Lugas.

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La coordinatrice d’intimité a déjà approché plusieurs boîtes de production : toutes se sont montrées ouvertes sur le sujet, mais pas à même d’intégrer cette profession alors qu’elles étaient déjà en plein tournage. En revanche, “Frenchie Shore” (en 2024) où le sexe est clairement assumé, a intégré un bouton d’un nouveau genre sur son tournage. Ce bouton, présent dans chaque pièce de la maison, permet d’alerter la production en cas d’agression, me confirme un candidat. Le dispositif n’est pas forcément adapté pour une personne qui se sent en danger, mais reste à saluer.

Depuis plus de 20 ans, les téléréalités de vie collective font partie de nos quotidiens. Depuis plus de 20 ans, elles restent enlisées dans des schémas patriarcaux et participent à créer des relations asymétriques. Déconstruire le machisme ambiant et le climat propice aux violences sexuelles est une responsabilité qui incombe aux productions, et peut-être – on espère – que le bouton d’alerte dans “Frenchie Shore” n’est que le commencement. “On n’est pas là pour lisser les choses : plus on met un candidat en confiance, plus on assure le divertissement”, rassure Manon Lugas. “C’est tellement beau de regarder un porno en sachant que les gens sont consentants et protégés. Ce serait pas mal de faire la même chose dans la téléréalité. C’est un vrai divertissement et il faut en prendre soin”.

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