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Mercredi Addams est-elle suffisamment gothique ?
Non, cette danse virale de l’actrice Jenna Ortega n’est pas la cassette volée de son exorcisme, mais plutôt une séquence extraite de la série Mercredi Addams disponible depuis peu sur Netflix.
Dans cette réinterprétation de la classique et ténébreuse famille Addams, l’intrigue tourne cette fois-ci autour de l’aînée sarcastique du clan, Mercredi, qui est envoyée dans une académie pour adolescent.e.s ayant un pied ou deux dans le paranormal. Sur place, les tentatives de meurtre et la menace d’un monstre sanguinaire ne rendront pas son séjour de tout repos, mais donneront au moins de quoi combler d’intrigues les huit épisodes de la saison, quatre d’entre eux dirigés par une pointure du cinéma gothique : Tim Burton.
Si l’on se fie aux chiffres — 341,2 millions d’heures de visionnage rien que pour sa semaine de lancement — Mercredi Addams est un succès plus fort encore que Stranger Things saison 4. Si l’on en croit les retours des téléspectateurs et téléspectatrices, cependant, le constat est plus mitigé. Certain.e.s n’ont pas apprécié le rythme de la trame, d’autres restent sceptiques devant l’usage des personnages noirs.
Mais la plus forte critique concerne les bases gothiques si propres à la famille Addams et si absentes de Mercredi Addams, selon de nombreuses personnes. Une polémique que nous aide à trancher Maxime Coulombe, professeur et historien de l’art enseignant le gothique dans les arts contemporains à l’Université Laval.
Les codes d’une culture
Commençons donc par le commencement : qu’est-ce au juste que le gothique ? « C’est d’abord un genre littéraire qui remonte au 18e siècle et qui se fascine pour le mal, pour le noir et pour les penchants humains les plus sombres », définit Maxime Coulombe.
Pour ce faire, une atmosphère de noirceur et de suspense est cultivée par l’auteur qui fait constamment planer par-dessus l’épaule du protagoniste la menace d’une présence inquiétante réelle ou imaginaire. « On a l’impression qu’il y a quelque chose de nauséabond et néfaste dans l’air qui va arriver et influencer le comportement des protagonistes. »
Cette menace est un élément clé du récit gothique. Grâce à elle, le personnage principal peut traverser sa terreur paralysante, se confronter avec l’objet d’effroi, triompher puis ressortir grandi. Et, fait étonnant : ce personnage principal est très souvent féminin. « C’est une femme protagoniste d’abord prisonnière d’un environnement social qui la contraint et qui, par cette rencontre avec ce qui la terrifie, va vaincre ce qui lui fait peur puis s’émanciper des éléments qui la contraignaient précédemment, explique Maxime Coulombe. C’est ça, le récit gothique, fondamentalement. »
le noir, la nuit, les châteaux, les ruines, la forêt.
Mais pour que ce récit prenne vie de façon crédible, il lui faut un cadre — ou des « motifs gothiques » — dans lequel exister. C’est ici que reviendront donc les éléments de formes si propres aux ambiances gothiques souvent représentées au cinéma : le noir, la nuit, les châteaux, les ruines, la forêt. « Ce sont dans ces environnements-là que survient le mal, car ils permettent à la figure d’altérité de surgir », résume Maxime Coulombe.
L’anti-icône parfaite
Mais une fois ces premières bases posées, la confusion quant à la polémique autour de la série aussi subsiste. Car qu’est la Mercredi Addams de Netflix sinon une héroïne gothique parfaite ? Allergique à la technologie, adepte des habits noirs, expulsée de tous ses précédents établissements scolaires et amatrice de guillotine; elle est à la fois l’antithèse du communément acceptable et la prisonnière d’une société à laquelle elle refuse obstinément de participer. « C’est l’anti-héroïne et l’anti-adolescente », telle que la décrit Maxime Coulombe.
Mais tout en étant l’exact opposé des gens de son âge, elle est aussi le symbole de la rébellion par laquelle passe les jeunes de sa génération, et cela fait d’elle un pont parfait entre l’univers du gothique et celui de la teen-série Netflix. « Les adolescents se sentent contraints dans un environnement social dans lequel ils ne se sentent pas adaptés, et puis ensuite, une force extérieure leur permet de s’émanciper en les forçant à se transformer, trace comme parallèle Maxime Coulombe. Il y a juste un pas à faire pour adapter la construction gothique et en faire un récit pour adolescent. »
D’autant plus qu’au fil des épisodes de Mercredi Addams, les appels de phares au genre gothique dont la série se revendique appartenir ne manquent pas. La nouvelle école paranormale de Mercredi est un château (check) bordé d’une forêt (check) dans lequel un monstre rôde (triple check). Si l’on ajoute à cette liste l’atmosphère d’angoisse que cette présence maléfique sème, cela nous fait quatre checks pour une seule question : qu’est-ce qui, finalement, n’est pas gothique, dans Mercredi Addams?
Gothique hybride
Répondre à cette interrogation nécessiterait de préciser tout d’abord l’objet exact des doléances. « Si les gens soulignent la petite trahison que représenterait la série par rapport à un certain gothique, il faut d’abord voir à quel gothique ils font référence », s’interroge Maxime Coulombe. Parle-t-on donc plus ici d’un gothique entièrement centré sur l’esprit de noirceur comme aux 18e et 19e siècles, ou bien parle-t-on plutôt d’un gothique réinventé visuellement par le cinéma puis fluctuant depuis selon les fascinations et tendances culturelles diverses qui traversent la société?
« Si c’était le gothique du 18e ou du 19esiècle, Tim Burton ne s’en était de toute façon jamais approché », poursuit Maxime Coulombe. Une précision importante lorsqu’on connaît l’implication du réalisateur des Noces Funèbres et de Sleepy Hollow dans ce projet, mais aussi sa vision du genre gothique qui s’est toujours beaucoup plus attardée sur la forme plutôt que sur le fond.
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« Il va récupérer moins l’esprit du gothique que ses caractéristiques visuelles, c’est-à-dire les châteaux, le noir, la dentelle, les morts, puis va les mettre en scène de manière un peu différente, avec notamment de l’humour et du burlesque. »
Maxime Coulombe voit en cela un « gothique hybride » qui ne s’arrête pas à Tim Burton lui-même, mais touche étonnamment aussi aux anciennes représentations de la famille Addams. « C’est quelque chose d’assez humoristique. On y perd la peur et le suspense qui étaient les éléments de base du gothique dans la littérature et les arts depuis le 18e siècle », décrit-il.
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Certains aspects formels rattachent toutefois le clan Addams au genre, tels que l’architecture de leur maison, leur amour du noir, leur volonté de rompre avec la société traditionnelle ou encore « toutes les blagues qui valorisent des choses connotées négativement dans notre culture : la difficulté de la mort, le meurtre, la vengeance, la mise en danger de soi », souligne Maxime Coulombe.
Peut-être n’est-ce donc finalement pas l’esprit gothique originel qui a manqué à tant de personnes, mais cette fine ligne réinventant juste assez le genre pour le rendre rafraîchissant sans qu’il n’en devienne pour autant étranger.
Une fantaisie insuffisante
Une autre piste de réponse se trouve non pas dans la fiction en elle-même, mais dans ce qu’elle est censée nous apporter : une échappatoire et un moment d’un quotidien qui nous lasse. « On finit par rêver d’un autre monde, et une manière de le faire depuis le 18e siècle, c’est de fantasmer d’une autre réalité par le biais du noir, révèle Maxime Coulombe. L’espace d’un instant, il existerait quelque chose de plus que notre strict monde. »
Mais avec Mercredi Addams, cette réalité alternative ne semble pas assez forte ou crédible pour nous sortir de notre réalité quotidienne. La faute à des revirements de situation parfois trop prévisibles, à un monstre qui n’effraie qu’à moitié, à un mauvais ratio romantisme-cynisme et à une Mercredi impeccablement incarnée par Jenna Ortega, mais qui ne peut porter toute une série Netflix sur ses seules épaules.
« Peut-être que la critique que l’on fait à la série, c’est de ne pas être capable de proposer un véritable autre monde noir, suppose Maxime Coulombe. Et si Mercredi n’arrive pas à ouvrir à une véritable altérité, c’est comme si un gothique n’arrivait pas à porter son message jusqu’au bout. »