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Même quand je ne bois pas, je suis ivre

Ou l'éloge de l'inconfort.

Par
Magali Saint-Vincent
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Lorsque j’ai décidé d’arrêter de boire, ma vie était bien remplie. De bonheur ? Non. Remplie de drames que je m’étais créés. Rien ne me faisait sentir plus vivante que de briser des amitiés, ghoster des fréquentations, devoir écrire aux potes après une grosse cuite : « Je n’ai pas été trop lourde cette nuit quand j’ai fait ma commande McDo pas une, mais deux fois ! N’est-ce pas les filles ? Hihihi ».

Quand j’ai décidé d’arrêter de boire, ma vie était compliquée et j’étais fatiguée. J’étais à un moment où je souhaitais de toutes mes forces que l’ange des pubs Caprice des Dieux de l’époque descende de son nuage de ouate pour venir me susurrer à l’oreille que ma vie sera désormais un long fleuve tranquille et sans remous. Je voulais du calme.

J’ai été chanceuse. Cette quiétude, je l’ai trouvée après environ deux mois de sobriété. Les matins sobre, c’est paisible à ouvrir, son appli LaBanquePostale, sans avoir peur du négatif avant le chiffre. C’est paisible aussi à regarder, son WhatsApp, sans message de garçon inconnu qui te remercie pour la profonde conversation (hein ?), paisible également de ne pas avoir à courir les rayons en recherche du meilleur remède contre la gueule de bois sur le marché.

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C’est tellement calme… que c’est nul. Vraiiiiiiiment nul.

Vingt-quatre heures dans une journée, c’est énorme quand tes colocs dans ta tête ont envie de rosé et Envie-de-textoter-ton-ex-pour-lui-demander-le-mot-de-passe-du-compte-Netflix-mais-on-sait-où-ça-va-mener.

Je me suis mise à chercher l’ivresse. Je voulais m’oublier, meubler le temps. Je le faisais quand je commençais à boire en fin d’après-midi pour me coucher aux petites heures. L’alcoolisme est un emploi à temps plein et je suis triste de m’être congédiée.

Qu’est-ce qui pourrait m’occuper ? En bonne agente du chaos qui n’avait jamais pris soin d’elle, la première idée qui m’est venue, ce n’est pas une retraite de quatre jours de silence complet en campagne habillée tout en blanc. Je ne faisais même pas de machines avec les couleurs séparées à l’époque.

Je suis devenue officiellement dry drunk, ou en ivresse mentale. Certains médecins experts en alcoologie décrivent cela comme un état psychologique obtenu lorsqu’on remplace la substance par un comportement obsessionnel pour se détacher de ce qu’on ressent véritablement et ainsi fuir la réalité.

C’est moi, ça.

L’ivresse mentale indique que la personne n’est pas apte à faire face à la réalité de façon saine et constructive.

Ohlala. Arrêtez ce manège, je veux sortir.

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Vous voulez dire que de dépenser mon budget d’alcool chez Sephora n’est pas du self-care ?

Vous me dites que de repasser en boucle matin et soir une conversation que j’ai eue en 2008 avec une amie du lycée, ce n’est pas du journaling qui mène à un sain apprentissage, mais du ressentiment malsain sous couvert d’envie de meurtre et que je devrais adresser ce sentiment plutôt que de m’acheter un beau calepin dans lequel noter les mêmes embrouilles ?

Quoi ? M’inscrire impulsivement pour donner de l’argent à trois œuvres caritatives par mois alors que je n’ai pas l’argent pour m’en verser dans un compte épargne, ce n’est pas quelque chose que les gens considèrent généreux, mais bien bête ?

Vous êtes en train de m’apprendre qu’arrêter de me mettre du vin dans le corps, ça ne réglera pas tout ?

J’ai vu l’abysse que la consommation avait créé en moi. Je ne savais pas qui j’étais et ce que je désirais à long terme. J’étais une inconnue pour moi-même. Je voulais remplir le trou par des histoires du passé, des angoisses du futur, parce que j’avais toujours gelé le présent. Se rendre compte de tout ça, c’était aussi souffrant que de boire de la tequila sans petit citron et le sel sur la partie de la main qui ne sert à rien d’autre qu’à déposer le sel pour les shooters.

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Dans l’idéal, vous me lisez en vous disant : mais ma foi, je me reconnais en cette dame, puis si elle en parle, c’est qu’elle doit maintenir une distance critique face à sa situation et avoir ultimement trouvé le remède contre le mal du siècle, c’est-à-dire cette terrible ivresse à jeun.

Ben non. Je n’ai aucun truc à donner.

L’ivresse mentale, c’est fuir l’inconfort. La solution : vivre l’inconfort.

On a des vies hyper confortables, on ne se permet plus de ressentir l’ennui, la peine, la tranquillité. On a l’impression qu’on existe juste si on vibre d’anxiété ou si on a un conflit à régler. Se permettre de se regarder réagir quand on fait face à ses émotions, c’est là qu’on finit par voir les réelles causes de nos consommations. Du coup, ensuite, ça fait de nous de meilleurs humains.

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Vivez l’inconfort, mais ne restez pas seuls là-dedans. Fondez donc un club d’amis inconfortables avec qui vous pouvez nommer votre malaise, le regarder, le laisser passer. La communauté, ça remplit le vide de la meilleure des façons.

Un sage (un membre des AA) m’avait dit : « This too shall pass ». Pas fous, ces alcooliques.