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Matthew Perry et la magie éternelle de Chandler Bing
Je n’ai jamais regardé un seul épisode de Friends avant l’annonce du décès de Matthew Perry.
Ceci n’est pas une déclaration de valeurs. Je ne suis pas « le type de personne qui ne regarde pas Friends » parce que mon humour est trop sophistiqué pour les comédies de situation ou quelconque autre raison foireuse. C’est juste jamais arrivé.
Ceux et celles qui ont vécu l’époque où la télé était partout et nulle part à la fois comprendront ce que je veux dire. J’ai déjà été dans la pièce pendant qu’un épisode de Friends passait à la télé, mais je ne me suis jamais assis pour y considérer sérieusement ce qui s’y passe. C’était le genre de show qu’on ne choisissait pas de regarder. C’était à la télé, tout simplement. Tout le temps et partout.
Quand Matthew Perry est décédé samedi dernier, ce n’est pas exactement lui qu’Internet a pleuré, mais son personnage iconique, Chandler Bing. C’est beaucoup d’amour envers un gars qui n’existe pas. J’ai trouvé ça intriguant et ça m’a donné envie de les connaître tous les deux, Chandler et Matthew.
Le charme discret d’une bande d’amis loyaux et fiables
J’ai pris exactement un épisode et demi à comprendre pourquoi Friends est devenu une série culte : c’est réconfortant. Avoir une bande d’amis à portée de main qui vivent systématiquement les mêmes aventures avec le même sens de l’humour et qui ne vivent aucun changement ou traumatismes de vie majeurs (déménagement, maladie, décès) sur une période de dix ans, c’est une stabilité qu’on ne retrouve tout simplement pas dans la « vraie vie ».
Les personnages de Friends sont plus forts que la mort. Même la leur.
Un autre aspect de la série qui la rend impossiblement charmante, c’est qu’elle aborde une période très particulière, mais universelle dans la vie des jeunes adultes : celle où tout le monde a fini l’école, mais où personne n’a rencontré l’amour de sa vie ou encore fondé de famille. Cette période où notre vie entière tourne autour de notre cercle d’amis et où il n’y a pas grand-chose à faire, à part vivre des aventures folles et formidables ensemble. C’est un moment où tout semble possible. C’est aussi ça que le formol existentiel de Friends préserve, à savoir un moment qui n’arrive qu’une seule fois dans une vie, mais qui demeure éternellement accessible grâce à la bande.
Mais qu’est-ce qui rendait Chandler si unique et séduisant? À bien des égards, c’est le plus complexe des trois protagonistes masculins.
Joey, c’est le tombeur. Ross, c’est le geek. Chandler, c’est le gars privilégié, confiant et intelligent. Un enfant unique qui apprend graduellement à partager sa vie, ses joies et ses peines. Bref, à être vulnérable. Malgré sa peur de l’engagement qu’il manifeste par un sarcasme aiguisé, il trouvera finalement le bonheur auprès de sa belle Monica. Ils sont d’ailleurs les deux seuls de la bande qui sont mariés et parents à la fin de l’émission.
Ce qui fait le charme de Chandler, c’est un peu aussi ce qui fait le charme de Barney dans How I Met Your Mother : on peut changer et évoluer en tant que personne sans nécessairement devoir sacrifier notre personnalité. La progression de son personnage représente une forme d’espoir. Si Chandler peut trouver le bonheur, nous aussi, on peut.
Et Matthew, là-dedans ?
Chandler Bing vivra tant qu’il y aura quelqu’un sur terre pour regarder Friends. Il sera toujours jeune, sarcastique et parfait dans son imperfection. C’est là le privilège des personnages iconiques. Qu’il ait été confortable avec l’idée ou non, il est l’héritage culturel de Matthew Perry. Après Friends, l’acteur canadien n’a jamais été en mesure de recapturer la magie de son personnage-phare et de son époque.
Ceci dit, Perry était une personne tourmentée, mais courageuse qui combattait une dépendance aux opioïdes depuis un accident de ski nautique survenu à l’âge de 14 ans. Au fil des années, l’alcoolisme et de multiples ennuis de santé allant de la perforation gastrointestinale à l’arrêt cardiaque l’auront gardé sur le carreau professionnellement, mais, comme on l’apprendra dans son mémoire publié l’an dernier, cette adversité ne l’aura rendu que plus spirituel et à l’écoute de son prochain.
Plusieurs lecteurs lui ont confié avoir été convaincus par son livre de commencer une cure de désintoxication et faire le ménage dans leur vie. C’est quelque chose qui le rendait extrêmement fier.
Oui, le public pleure Chandler Bing plus que Matthew Perry, aujourd’hui.
C’est un peu triste et ça faisait ouvertement chier Perry qu’on se rappelle de lui uniquement pour un rôle qu’il a cessé de camper il y a bientôt vingt ans. Cependant, depuis quelques années, il semblait avoir fait la paix avec son parcours et réorienté ses priorités. Il voulait le bien autour de lui et éviter à son prochain les souffrances qu’il avait vécues.
Sauf qu’il en avait déjà beaucoup fait. J’ai regardé Friends pendant un avant-midi et j’avais déjà compris tout le bien que Matthew Perry avait fait dans sa vie. Il a fait partie d’un des meilleurs remparts contre la solitude et les pensées intrusives jamais conçus et ça, j’espère qu’il en était quand même un peu fier.