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Marina Foïs en Une de Têtu : pourquoi la “queer queen” fait débat

Ça fait du bruit dans le "gouinistan".

Par
Daisy Le Corre
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La dernière Une de Têtu n’est pas passée inaperçue. Si pour certain.e.s la présence de Marina Foïs représente une avancée (« enfin! Une femme cis hétéro qui brouille les codes »), pour d’autres, cela génère un certain malaise (« on la célèbre, alors qu’on attend encore de voir des personnes queers ou trans faire la Une depuis des lustres »). Décryptage à mille lieues des discussions parfois enflammées et stériles des réseaux sociaux.

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On y voit donc Marina Foïs, qu’on adore, affichée en “queer queen” sur papier glacé. On sait qu’elle est une alliée en or pour la communauté LGBTQ+ mais une “reine queer”, Têtu nous l’apprend. « Je ne connais pas tellement son engagement, en fait. C’est peut-être une icône queer mais pas de ma génération ? Je ne sais pas… Toujours est-il que je n’aurais pas forcément pensé à elle en tant qu’icône queer », confie Owen, qui s’identifie comme un homme gay et qui se sent de plus en plus queer depuis l’année dernière seulement (on vous explique tout ce que le terme évoque ici). « Ceci dit, maintenant que j’y pense, j’ai du mal à trouver des icônes queer françaises… Dans ma tête, je pense surtout à Lady Gaga, Madonna, Rupaul… Ou alors Jean-Paul Gaultier, à la rigueur, pour son extravagance assumée ».

Pour le compte Instagram @lobbygouine, cela ne fait aucun doute : cette Une n’a pas lieu d’être et l’équipe de Têtu aurait dû creuser un peu plus fort pour trouver une icône queer digne de ce nom. La personne derrière le compte aux plus de 26 000 abonné.es s’explique en commentaire : « Si tu veux le rainbow prend la pluie aussi. mdr ».

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Le compte Instagram @collages_feministes_lyon a également fait part de son incompréhension : « @marinafois n’est pas une icône queer, merci de choisir une personne concernée pour représenter la communauté queer ».

« Couronner Marine Foïs comme Reine queer, c’est aussi NE PAS couronner quelqu’un d’autre »

Sur Twitter, un.e certain.e “iul” est du même avis et explique : « Oui, ça la disqualifie (d’être cishet) pour les titres de “queer queen” et de “reine du gouinistan” (sic) qu’on lui accorde. C’est du n’importe quoi. Faire la une de Têtu ok, le magazine a svt mis des allié.e.s en avant (Griezmann, Lemercier, Farmer, Taubira,…) Mais comme allié.e.s. » Le poids des mots n’a jamais été aussi important qu’à l’heure actuelle et la question de la représentation est brûlante.

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« Cette Une pose effectivement beaucoup de questions. Elle peut effectivement surprendre, pour un magazine comme Têtu et alors qu’on déplore constamment le manque de représentations queer dans les médias. Aux dernières nouvelles, Marine Foïs n’est pas queer et, même si c’est bien une alliée, elle fait surtout l’objet d’une fascination de la part de la communauté lesbienne, fascination alimentée (créée ?) par le compte Lesbien Raisonnable. Il n’est donc pas évident d’accéder au raisonnement derrière ce choix éditorial. Est-ce que ça pose problème? Je crois, oui. Couronner Marine Foïs comme Reine queer, c’est aussi NE PAS couronner quelqu’un d’autre, quelqu’un qui le serait réellement, une personne à laquelle qui le lectorat de Têtu pourrait s’identifier, dans laquelle il pourrait se projeter, etc », confie pour sa part, Gabrielle Richard, auteure et chercheuse québécoise installée en France.

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De son côté, le nouveau directeur de la rédaction de Têtu, Antoine Patinet, comprend les critiques reçues depuis la parution de cette Une mais assume le parti pris. « Il y a plusieurs raisons qui nous ont encouragé à choisir Marina Foïs pour cette couverture. Marina Foïs incarnera à l’écran en octobre prochain la moitié d’un couple lesbien en crise dans La Fracture, le nouveau film de Catherine Corsini, qui a remporté la Queer Palm à Cannes. Mais contrairement à plusieurs autres actrices qui jouent des lesbiennes au cinéma en cette rentrée, Marina Foïs a toujours été une alliée sonore de la communauté LGBTQI+. C’est pour ça que selon nous, elle méritait la couverture », explique-t-il simplement avant de rappeler que le terme “queer queen” est un titre de presse et non une distinction officielle décernée au nom de la communauté. « Sinon nous aurions organisé un vote. C’est quelque chose que nous pouvons complètement envisager pour la suite ! », rapporte le directeur de la rédaction de Têtu avant de préciser qu’une autre Une a aussi été proposée avec Ncuti Gatwa et Patricia Alison de Sex Education.

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« Il y a quelques années, Marina Foïs avait également été nommée (pour blaguer) “Reine du Gouinistan” par le compte Lesbien raisonnable, une blague qui avait dépassé de loin sa créatrice. Je pense qu’on peut aujourd’hui affirmer, à la fois par ses convictions, son histoire avec la communauté gay, et sa “lesbian energy” que Marina Foïs est une icône queer, au même titre que Mylène Farmer ou Lady Gaga (à une moindre échelle toutefois). Alice Coffin dans Le Génie Lesbien saluait qu’une actrice populaire comme Marina Foïs se laisse “réapproprier” par la communauté. (…) Les alliés comptent aussi pour éduquer nos parents, nos familles, nos amis. Pour que TÊTU puisse traîner nonchalamment sur la table basse du salon sans que ce soit un sujet. Et que même les hétéros, on espère, puissent se déconstruire en nous lisant ! »

« Elle-même ne semble pas se définir comme hétéro (il faut lire l’interview dans le magazine pour le savoir). N’est-ce pas déjà queer ? »

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Interrogé sur les autres “queer queens” qui auraient pu ou dû faire la Une de Têtu à la place de Marina Foïs, Antoine Patinet avoue qu’il en existe beaucoup d’autres. « Il y a même le level au-dessus : des impératrices lesbiennes. Je pense notamment à Adèle Haenel, Céline Sciamma, Angèle, Christine and The Queens, Virginie Despentes… Pour des raisons d’agenda, de sorties de films, ces gros noms sont parfois difficiles à obtenir. On essaie à chaque fois que la promo de ces artistes se présente, et on essaiera encore – évidemment – à l’avenir. Et pour elles, nous pouvons recréer le sacre de Napoléon version lesbienne, avec l’hermine, la couronne, et tout le décorum ! La nouvelle direction de TÊTU a pour ambition d’être encore plus ouverte sur la communauté LGBT+. Dans ce numéro nous avons Nina Bouraoui et Hannah Gadsby, qui sont évidemment aussi des queers queens. Tout comme Félix Maritaud d’ailleurs, qui est également dans ce numéro ».

Choqué par les propos de celles et ceux qui estiment que Marina Foïs n’est pas “assez queer” pour apparaitre sur cette Une, il s’interroge : « Depuis quand une femme mariée à un homme est-elle forcément hétérosexuelle ? On parle peu de biphobie dans la communauté, mais ce genre de clichés est à l’origine de beaucoup de souffrances pour les personnes bisexuelles, qui se sentent obligées de “choisir leur camp”. Les bisexuels peuvent vivre des relations en apparence hétéro/hétéronormées, et vivre par ailleurs pleinement leur bisexualité et leur queerness. Je ne dis pas que Marina Foïs est bisexuelle évidemment, je dis qu’elle-même ne semble pas se définir comme hétéro (il faut lire l’interview dans le magazine pour le savoir). N’est-ce pas déjà queer ? ».

Telle est la question.

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Peut-être qu’il aurait alors fallu diffuser un extrait de l’article pour accompagner cette Une qui divise les internets. Parce que le fait qu’une personne qui n’a pas vécu les discriminations soit en couverture d’un magazine comme Têtu, sans donner de crédit à la communauté qui les subit, ça peut heurter.

Personnellement, et comme on se doit de donner notre avis sur URBANIA, je ne doute pas de la bienveillance, de l’ouverture et du message de tolérance derrière cette Une. Mais j’ai l’impression qu’il est trop “tôt” dans la matrice de nos sociétés pour afficher librement une actrice blanche cis hétéro privilégiée, alliée certes, en Une d’un magazine qui s’est donné pour mission, depuis 1995, de “rendre le monde plus gay” contre vents et marées. Ça devrait se mériter de faire la Une de Têtu, tel un honneur à la hauteur des inégalités qui pavent encore le chemin de la communauté LGBTQ+.

Cela ne posera peut-être plus problème en 2140 d’afficher n’importe quel humain, tous entrejambes et genres confondus, en lui flanquant un slogan résolument humaniste mais la révolution des moeurs et des genres ne fait, hélas, que commencer.

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Et surtout, il ne faut pas s’arrêter là : il faut que les médias donnent la parole à la communauté queer, aux personnes trans, non-binaires, etc. De plus en plus. La Une de Têtu a le mérite d’avoir enclenché une discussion voire des discussions, à commencer par la plus basique mais la plus cruciale : « Qu’est-ce que ça veut dire queer ? » Si au moins cela permet aux gens de se renseigner sur cette définition, on aura tout gagné.