Il y a quelques jours, Marie Labory balançait fièrement sur son compte Twitter la bande-annonce du premier documentaire qu’elle réalise : « Lesbiennes, quelle histoire ? ». Co-écrit avec Florence d’Azémar et produit par Les Films de l’Instant, il sera diffusé le 17 mai (ndlr, c’est aussi la Journée internationale de lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie ; il n’y a pas de hasard) sur Histoire TV. Et comme on aime le pouvoir des dates (et des fleurs), on a choisi ce mercredi 26 avril, Journée de la visibilité lesbienne, pour parler de ce documentaire très lesbien avec la principale intéressée.
Comment l’idée de ce documentaire est-elle née ?
Ça faisait longtemps que j’avais envie de croiser les chemins, de raconter la petite histoire mais aussi la grande Histoire. Jusque-là, je ne l’avais jamais vraiment matérialisé, je ne me sentais pas légitime, et comme je n’avais jamais fait de documentaire, j’avais la trouille !
Et puis ça a croisé le désir d’Histoire TV qui voulait un film comme ça et celui de la boîte de production, Les Films de l’Instant. Bref, tout s’est finalement bien agencé !
Quel était le but du film au départ ?
Avec Florence d’Azémar (ndlr: elle a écrit le film avec elle), on voulait faire un film pédagogique puisqu’il s’adresse, a priori, à un public qui n’est pas lesbien ou pas au fait de ces questions-là. C’est un film qui montre donc des grandes figures et des grandes époques.
En combien de temps l’avez-vous préparé ?
Ça a été vite, on a fait ça en quelques mois. Ce qui explique aussi qu’on a effleuré l’histoire des lesbiennes : ce n’est pas du tout un film qui prétend être l’alpha et l’oméga de l’histoire des lesbiennes, on a vraiment dû faire des choix personnels dictés par la faisabilité de la chose, et par l’accès aux images d’archives surtout. D’ailleurs, je tiens à préciser que ce film ne pourrait absolument pas exister sans la documentaliste Marie Corberand ! Elle a réalisé un travail fou pour nous trouver des images extraordinaires.
Pas trop difficile de ne mettre en lumière que certaines figures lesbiennes ? Comment avez-vous fait pour “trier” ?
Déjà, il y en a certaines qui s’imposent d’elles-mêmes, au début du siècle en particulier : Renée Vivien, Natalie Clifford Barney, Liane de Pougy… On se focalise sur la France essentiellement et sur Paris surtout, même si on fait une petite incartade en Grande-Bretagne et à Berlin. Mais Paris, pendant tout le 20e siècle, était un lieu de convergence lesbienne parce qu’il y avait une forme de liberté et de tolérance.
Ce n’était pas simple de retrouver toutes ces lesbiennes qui ont façonné l’Histoire. Mais notre but c’était de dire que les lesbiennes ont bel et bien existé et qu’elles ont marqué leur époque à leur manière. On pense notamment à Violette Le Duc, Suzy Solidor, Monique Wittig, etc. On évoque aussi Simone de Beauvoir, même si elle n’était pas lesbienne mais elle a écrit très tôt sur les lesbiennes… Elle n’en dit pas que du bien mais que du mal non plus ! (rires) Elle a au moins le mérite d’en avoir parlé.
Il n’y a pas que des figures dans le documentaire, on revient aussi sur certains mouvements comme “Le MLF” ou “Les gouines rouges”, entre autres. C’est là que ça a commencé à vraiment bouger.
Avez-vous découvert des choses que vous ne saviez pas encore sur l’histoire des lesbiennes en travaillant sur ce documentaire ?
Ah oui, complètement ! Par exemple, je ne connaissais pas Liane de Pougy ni Renée Vivien. Et Natalie Clifford Barney, je connaissais surtout son côté mécène, amoureuse des arts. Je savais qu’elle était lesbienne mais je n’avais pas lu grand chose d’elle.
Je ne connaissais pas bien leur époque non plus à toutes ces grandes figures ! On a l’impression de bien connaître les années folles, et « la garçonne », mais pas tant que ça finalement. Je me suis mise à lire et relire des ouvrages comme Thérèse et Isabelle de Violette Leduc où j’ai découvert l’érotisme TORRIDE des deux personnages (rires). Sans parler du procès qui a été fait à Radclyffe Hall pour son roman Le Puits de Solitude : je n’avais pas conscience de l’ampleur que ça a pris ni de la bataille politique autour du lesbianisme.
Avez-vous l’impression d’être vous aussi une figure lesbienne dans le paysage médiatique français ?
Je suis allée sur Pink TV en 2004 pour ça : moi, ça m’a tellement manqué de ne pas avoir de représentations lesbiennes quand j’étais plus jeune. Je l’ai fait pour les plus jeunes et par la suite, j’ai reçu des témoignages de jeunes lesbiennes qui me remerciaient en me disant que je les avais aidées. Tant mieux !
Mais je ne sais pas si je suis une figure lesbienne dans le paysage médiatique français, disons que je suis toujours la seule dans le PAF, donc c’est par défaut ! (rires) Mais je peux comprendre : aujourd’hui encore, si tu te déclares ouvertement lesbienne et que par malheur, t’as les cheveux courts et que les mecs hétéros ne peuvent pas fantasmer sur toi, c’est compliqué pour ta carrière ! C’est d’une connerie incroyable mais c’est vrai. On ne te le dit pas évidemment, on ne te dira jamais que t’es trop noire, trop grosse ou trop lesbienne mais tu vas vite t’en rendre compte.
Comment donner envie aux lesbiennes et aux autres de regarder votre documentaire ?
C’est un film joyeux ! À part le passage horrible et déprimant sur le journal intime de mes 16 ans (rires) Mais ça ne dure pas longtemps, ça va ! J’avais envie de faire un film porteur de joie et d’envie, je crois qu’on ressent vraiment ça. Mais on ne cache pas non plus les enjeux et les difficultés liés à la lesbophobie. On donne à voir des femmes passionnées, assumées qui sont allées au bout de leurs envies. Ça donne espoir ! Pour les plus vieilles lesbiennes, je leur dirais de le regarder parce qu’il y a quelques séquences amusantes qui vont leur faire plaisir… Et pour les plus jeunes lesbiennes, c’est une façon de leur dire qu’elles ne sont pas seules dans ce moment de “soi à soi”. Je veux leur rappeler qu’il y a eu plein de lesbiennes avant nous qui ont bien vécu et que c’est possible de vivre de belles histoires.
Est-ce qu’il va y avoir une suite ?
Non mais c’est vrai que certaines figures mériteraient qu’on leur consacre un documentaire rien qu’à elles, je pense à Vivien et Barney par exemple… Il y aurait tant à montrer et à dire. Elles étaient extraordinaires ensemble.
« Lesbiennes, quelle histoire ? », le 17 mai 2023 sur Histoire TV.