La saison du binge watching sur Netflix est officiellement ouverte. Bien emmitouflée sous mon plaid, je surfe sur la plateforme en quête de nouvelles pépites. Depuis 2020, les séries de télé-réalité pullulent, pour le meilleur et le pire. Je m’aventure à regarder quelques épisodes de la série Indian Big Day. Une plongée dans les préparatifs des mariages de richissimes couples indiens. Ces cérémonies fastueuses ont de quoi fasciner. Les Indiens l’ont bien compris. Chaque année, des agences de tourisme locales proposent aux touristes de payer pour assister à un mariage traditionnel.
Mais derrière cette image glamour, le pays cache une réalité plus sombre, celle du mariage d’enfants. Ces unions arrangées ont lieu notamment dans les régions les plus pauvres. Par manque d’argent, ou par tradition, les familles retirent leurs filles des bancs de l’école pour les marier. Selon l’association Girls Not Bride, l’Inde a le plus grand nombre de mariages précoces au monde. 27% des filles sont mariées avant leur 18 ans, et 7% avant 15 ans.
Liberté, égalité, sororité
Pour endiguer ce phénomène, des activistes locaux, comme la psychologue Kriti Bharti, mais aussi des ONG internationales luttent depuis plusieurs années aux côtés des communautés, à l’image de Vision du Monde. L’association a notamment initié le mouvement “Hena Girls Power” dans le Bengale occidental, particulièrement sujet aux cas de violences envers les filles. Réunies en groupe au sein de leur village, les jeunes filles sont chargées de détecter les potentiels cas de violation des droits des enfants. Elles avertissent le groupe quand elles entendent parler de mariages précoces, et travaillent ensuite avec les autorités locales.
Ce modèle a essaimé. Aujourd’hui, il existe 580 groupes réunissant en tout près de 20 000 adolescentes. Tanushree Sardar, 17 ans, est l’une d’elle.
Sous-chef d’un groupe de cinquante jeunes filles, âgées entre 12 et 18 ans, cette jeune fille participe à l’opération depuis 2019 dans le village de Taldah, dans le Bengal occidental où elle est née. « Faire partie de ce groupe est très stimulant. Cela donne un sentiment de sécurité. Nous apprenons également de nouvelles choses, notamment sur nos droits. Dans notre village, tout le monde nous connaît maintenant. Les habitant.es savent que si une fille est en danger, le groupe des Hena Girls interviendra pour la soutenir », raconte l’adolescente qui joue parfois le rôle de médiateur.
Un phénomène accentué par le Covid
« Quand on nous signale des cas de violences ou un possible mariage, je me déplace chez la famille en question avec d’autres membres. Nous parlons d’abord aux parents, et les avertissons des conséquences juridiques. S’ils n’écoutent pas, nous nous tournons vers la police qui vient généralement immédiatement pour nous aider », explique celle qui a réussi à s’opposer à ses parents quand ils ont voulu la marier de force à ses 15 ans.
« Cela m’avait bouleversée. J’avais l’impression que tous mes rêves s’évanouissaient, et que ma vie était plongée dans l’obscurité totale », se souvient Tanushree, avant de poursuivre : « J’avais dit à mon père que je voulais uniquement me marier après avoir fini mes études et avoir un job. »
A défaut de pouvoir devenir médecin faute de moyens financiers, l’adolescente aspire aujourd’hui à devenir psychologue, et aimerait poursuivre ses études à Kolkata, une ville située dans le Bengal occidental.
Depuis que le groupe des Hena Girls existe, dix mariages ont pu être évités. Mais cette résistance n’est pas sans risque. « Au début, nous avons commencé à avoir des ennemis. Les gens nous ont menacés. Mais maintenant que nous sommes de plus en plus nombreuses, ils réalisent qu’ils ne peuvent pas lutter contre nous », lance Tanushree.
Le Covid, et la fermeture des écoles dont la durée a été parmi les plus longues au monde selon l’Unesco, a renforcé la mission des Hena Girls Power. « Les filles souffrent de plus en plus de problèmes de santé mentale car elles ne sont plus en contact avec leurs amis. Beaucoup comptent sur les amitiés en ligne. Cela a également fait augmenter les cas de violences conjugales. Les familles profitent de cette situation pour arranger des mariages. Parfois, les filles n’ont pas d’autres choix que d’accepter », explique Joseph Wesley, responsable des programmes de lutte contre le trafic d’enfants à l’antenne indienne de Vision du Monde.
En 2006, l’Inde a adopté une loi sur l’interdiction du mariage des enfants (PCMA) avant 18 ans pour les filles et 21 ans pour les garçons. Malgré tout, les traditions ont continué de peser. En 2020, le Premier ministre indien, Narendra Modi, avait annoncé “la création d’un groupe de travail sur l’âge minimum d’accès au mariage” avec l’idée de le repousser de 18 à 21 ans pour les femmes. Selon l’Indian Express, cette mesure avait pour but de “réduire le taux de mortalité maternelle à l’accouchement et en couches, et de lutter contre la malnutrition”. Un petit pas pour la lutte contre les inégalités femme-homme.