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Manifeste contre les séries, cette arnaque du siècle

Même en plein confinement.

Par
Stéphane Moret
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Le confinement se prolonge (s’éternise), et en plus de notre travail à domicile, il faut s’occuper. Et ça rime souvent avec « Netflix en illimité ! ». En temps normal, il y en avait déjà qui arrivaient à mater quasiment toutes les séries du monde, se sentant pousser des ailes de critiques et trouvant même le temps de publier blogs et vidéos Youtube sur la question: seulement quelques heures après la mise en ligne d’une saison. En mode binge-watching dès 9h, le vendredi, pour enquiller tous les épisodes de la nouvelle saison de You ou Sex Education, et te pondre un compte-rendu Ô COMBIEN OBJECTIF de la série. Soyons honnêtes, ces gens me fatiguent. Et en ce moment, c’est encore pire.

Pourtant, je suis un grand fan de séries. Ou plutôt, je l’ai été. J’ai connu ce que les experts ont appelé « Le nouvel âge d’or des séries », ainsi que celui qui a suivi, « L’âge d’argent », les deux se succédant entre années 90 et années 2000. Le premier comprenait The Wire, The Sopranos, 24 Heures Chrono, Breaking Bad et Mad Men… Soit principalement des séries HBO, une chaîne à péage qui se devait de sortir des séries originales dans tous les sens du terme pour justifier l’abonnement à 30 dollars par mois. Ou bien de réelles sensations comme 24, diffusée sur une chaîne « network » américaine, mais qui a participé à la réécriture des séries telles qu’on les connaît aujourd’hui. Ensuite les chaînes comme Showtime, AMC nous ont proposé elles aussi leurs productions originales : Dexter, Breaking Bad, Mad Men. C’était l’abordage, et toute chaîne qui voulait acquérir des abonnés se devait de proposer au moins une série originale et sensationnelle pour marquer son public et justifier le prix de l’abonnement.

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Et tout le monde s’y est mis. Networks, plate-formes de streaming (Netflix s’est lancée avec House of Cards), chaînes câblées, chaînes européennes, et même pure-players Web. Et les sujets étaient nouveaux et nouvellement traités. Les personnages devenaient variés, les situations inédites, et les moyens de productions… variables, créant certaines déceptions. Des blogs se sont développés (j’en ai tenu un pendant cinq ans sur l’actualité des sorties), jusqu’à ce qu’on arrive à l’overdose. Trop de bonnes séries. Il fallait tout voir. Et assez vite pour pouvoir en parler entre amis. Ou même avec des gens qu’on connaissait peu ou pas, cela créait du lien. Et même dans les dates, c’était le moyen de combler un silence gênant : « Et sinon, tu mates quoi comme série en ce moment ? ». Un alibi, voilà ce qu’était devenue la série. Une production artisanale de qualité avait laissé place à une production industrielle de qualité également. Étouffant. Dur de faire des choix. Clivage de goûts. A chacun ses fans. Des communautés sont nées, et se sont affrontées en ligne à coup d’arguments évolués, ou pas.

Le binge-watching a tué MON binge-watching.

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Tout s’est accéléré, et j’ai décroché. Sur Netflix, j’ai aimé les premières productions originales, et puis quand des séries à destination d’un public plus jeune et plus ciblé sont apparues, je ne me suis plus senti visé. Et côté production, j’ai trouvé qu’on se foutait un peu de nous. Les séries commençaient à se ressembler, à être ennuyeuses au bout de quelques épisodes. Je n’avais plus ce côté « Série-addict » que j’avais connu dans les années 2000. Le binge-watching a tué MON binge-watching. Parce qu’auparavant (pardon de faire le vieux con encore), pour voir une saison des Sopranos, il fallait attendre la sortie en DVD, se déplacer dans un rayon FNAC et sortir environ 40 euros pour l’acheter. Et on le faisait, je vous le jure. Et attendre un an pour avoir la suite. On avait, à tout péter, une dizaine de séries par an qui méritaient ce traitement, quand aujourd’hui, une d’excellente facture sort chaque semaine.

Ensuite, les premiers sites de streaming nous ont permis de suivre (en VOST ou VO) les épisodes de chaînes comme NBC, ABC, CBS, CW chaque semaine. Je bouffais tous les « Series ou Season Premiere » d’une saison en septembre, pour savoir quelles seraient mes nouvelles chouchoutes à suivre, et éliminer 70% à 80% de la nouvelle production en toute connaissance de cause. Et on se prenait une remarque HADOPI pour avoir téléchargé, parce que ce qu’on faisait était illégal. Ça l’est toujours. Bref, vous le comprenez, on était sérievores, mais on savait encore digérer.

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Arrive alors Netflix : pour environ 10 euros par mois, vous avez accès à un catalogue impressionnant de séries. Si bien qu’une fois que vous aviez regardé tout ce qui était intéressant, vous passiez au fond de catalogue. En mode : « Putain, je me fais chier, qu’est-ce que je peux bien mater comme merde sur Netflix pour m’occuper ? ». Sont ainsi nés des profils de passionnés, qui ont plongé dans ces encyclopédies de rattrapage, et ont maté des épisodes à la chaîne. Fallait-il que cet investissement temporel soit récompensé ? En tous cas, ils ont eu besoin d’en parler. De montrer l’étendue de leur savoir nouvellement acquis. Dans des blogs et vidéos, donc. Et pour rester « à niveau », il fallait tout mater, tout critiquer. Sans avoir le temps de digérer l’épisode précédent, ni de voir le boulot derrière une série. Un lapidaire « C’est une merde sans nom ! Comment vous pouvez aimer ça ? », ou un enthousiaste « C’est la meilleure série de tous les temps » remplaçaient les avis éclairés et tempérés de professionnels du métier. Cela a créé un engouement : « T’as vu cette série ? Faut que tu vois cette série ! ». Et ont commencé les « Attends, t’as jamais vu un épisode de Game of Thrones ? Tu te fous de ma gueule ! Tu vis où ? ». Et alors, inutile de dire ce qui se passait quand vous osiez dire « Nan mais tu vois, j’ai commencé, mais j’ai pas accroché ». Et que le « critique » vous assénait un létal: « Nan mais normal ! C’est à partir de l’épisode 12 que ça commence à être bien ». Mais mec, j’ai pas 12 heures de mon temps à filer à un truc qui m’ennuie ! Tu sais, je fais des vrais trucs : je sors, je bouffe, je lis, je baise ! Bon, avec le confinement, je ne vais plus sortir.

Et en fait, je pense que ce sont ces comportements d’extrêmistes de la série qui m’ont fait décrocher, plutôt que le réel niveau des séries. Marre de devoir participer, de manière active ou passive, à ces discussions ou Jean-Louis a forcément raison à la fin, d’une manière ou d’une autre. Marre de ces postures de « savants de la série » alors que le gars est incapable de nommer les classiques des années précédentes qui ont tracé les sillons narratifs pour permettre à son show préféré d’exister aujourd’hui. Tous les goûts sont dans la nature, bien sûr. Mais j’aimerais que tous les goûts soient dans la nature de chacun, pas forcément un goût par nature, en communautés cloisonnées, qui cherche à gagner sur l’autre. Je peux aimer La Casa de Papel et Brooklyn 99 en même temps, Vikings et The Affair, Girls et Rick et Morty. Mais surtout, quand je n’aime pas, je me rappelle de ce que disait ma mère à propos d’un plat que je goûtais pour la première fois : « On ne dit pas ‘C’est pas bon’, on dit ‘Je n’aime pas’ ».

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Aujourd’hui, chaque média est devenu producteur de séries. Et les plate-formes continuent de se développer : Amazon est arrivé sur le marché avec de nombreuses (et excellentes !) nouvelles séries, Apple aussi, et Disney+ nous en promet tout autant. Alors une chose est sûre : nous allons passer encore un bon bout de temps devant nos écrans, à suivre des productions originales. Je continuerai, dans un premier temps, de choisir celles qui m’intéressent, sans forcément suivre l’avis de tout le monde : « Faut absolument que tu la regardes ». Nan, pas « absolument ». Comme disaient Les Nuls dans un sketch : « On peut faire ça, mais on peut faire d’autres trucs aussi ». Je ne suivrai pas forcément, non plus, l’avis des recommandations de la playlist Netflix, qui tombe souvent à côté. Et puis, si ça ne me plait pas, je n’hésiterai pas à laisser tomber au bout de quelques épisodes, de la même manière qu’il ne faut pas se forcer à finir un bouquin auquel on n’accroche pas. Et je me replongerai régulièrement dans des chefs d’œuvre, comme The West Wing, même si ces séries ont plus de 20 ans. D’ailleurs, Friends n’est-elle pas toujours au top des séries les plus vues, 25 ans après sa création ?

On vit tous pour ça : qu’on nous raconte des histoires. Mais à la fin, s’il vous plait, ne soyez jamais blasé. Ni pédant.

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Choisissez les séries qui vous ressemblent, celles qui vous font vibrer à travers un personnage qui correspond à votre vision du monde. Riez, pleurez, râlez, criez devant ! Tombez dans le piège du « Allez, encore un ! » lorsque le cliffhanger de fin d’épisode vous tient horriblement en haleine. « On peut pas le laisser comme ça ! », disait la femme d’un copain au moment de devoir arrêter là, ou suivre un épisode de plus. Bref, enthousiasmez-vous, parce que la série est un des plus beaux moyens pour raconter une histoire. Et qu’on vit tous pour ça : qu’on nous raconte des histoires. Mais à la fin, s’il vous plait, ne soyez jamais blasé. Ni pédant. Laissez les autres aimer des séries différentes des vôtres. Découvrez-les. Et laissez-vous le temps de les digérer. De les savourer. D’en faire une partie de vous-même. Parce que c’est ça qui fait une bonne série : ce que ça vous apporte, ce que ça laisse en vous. Allez, vous avez gagné, je m’y remets. Je vais aller regarder un épisode ou deux. Toudoum !