Logo

Maman est une travailleuse du sexe

Parler de son métier avec ses enfants quand on est TDS.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
Publicité

« Ma fille a dessiné dans le numéro de ConStellation thématique argent, pour célébrer les 25 ans de l’organisme Stella. Ma fierté de l’entendre expliquer à une amie sans honte, devant son école, que le magazine était pour les travailleuses du sexe et que sa mère était travailleuse du sexe. »

J’ai été interpellé par ce statut de l’autrice, travailleuse du sexe (TDS) et néanmoins amie (je crois ?!) Mélodie Nelson, publié sur sa page Facebook.

D’abord parce qu’elle abordait de front un tabou de la société : être maman lorsque tu gagnes ta vie comme TDS.

Publicité

Ensuite parce que ça me donnait l’occasion de passer un coup de fil à l’organisme Stella, dont le 25e anniversaire est considérablement passé à la trappe il y a quelques mois en raison de la pandémie.

« L’important c’est qu’elle n’ait pas honte de moi. C’est vraiment un cadeau. »

Mais revenons d’abord à Mélodie, qui a su trouver les mots pour parler de TDS avec sa fille de neuf ans. En fait, c’est plutôt cette dernière qui, après avoir feuilleté et copié les dessins du magazine ConStellation du 10e anniversaire, a accepté d’offrir une de ses œuvres à Stella pour le numéro soulignant les 25 ans. Fière, elle a apporté un exemplaire à son école pour le montrer à une camarade de classe. « C’est un magazine pour les travailleuses du sexe », a-t-elle simplement dit à sa copine, impressionnant au passage par son ouverture la maman de son amie. C’est surtout le ton employé par sa fille qui a impressionné Mélodie, comme si elle disait qu’elle allait à la maison se chercher des clémentines, compare l’autrice de Juicy et Escorte. « J’étais vraiment contente même. Elle le disait fort, ça ne m’a pas dérangé. L’important c’est qu’elle n’ait pas honte de moi. C’est vraiment un cadeau », confie Mélodie, qui ne voulait surtout pas qu’elle l’apprenne par d’autres.

Publicité

Évidemment, le concept de relations sexuelles en échange d’argent demeure flou dans la tête d’une fillette de neuf ans, et c’est parfait comme ça. Mélodie ne veut rien brusquer ni brûler d’étapes avec Éliza, comme avec son fils de sept ans.

Elle leur propose en attendant des lectures intéressantes adaptées pour eux et des réponses honnêtes à leurs questions. Son fils s’interroge par exemple beaucoup au sujet de la nudité. « Probablement qu’au fond de moi, j’avais besoin qu’ils m’acceptent. On verra à l’adolescence, mais je ne prévois pas de clash », souligne Mélodie qui souhaite ardemment que ses enfants se tournent vers elle pour les questions entourant ces enjeux. « Et si je ne suis pas capable de répondre, je peux les rediriger vers d’autres personnes en qui ils ont confiance autour de moi. »

Pour expliquer à ses enfants que le travail du sexe englobait beaucoup de choses, Mélodie se souvient d’une ballade avec eux en été dans le Village (quartier gay de Montréal), où le trio avait croisé un bar de danseurs nus. « Là, vous êtes trop jeunes, mais plus tard, vous pourriez travailler là ou y aller comme client/es », leur avait dit Mélodie, une façon de leur montrer que c’est une option et qu’il n’y a rien de dénigrant là-dedans.

La mère et la fille en sont ensuite arrivées à la conclusion que « avoir une tête de travailleuse du sexe » ne voulait rien dire, comme « tête de prof » ou « tête de caissière ».

Publicité

Mélodie avait aussi eu une bonne conversation avec sa fille il y a quelques années, lorsqu’un garçon avait dit à Éliza qu’elle avait une « tête de pute » en la voyant avec du rouge à lèvres. Après avoir crié « MASCULINITÉ TOXIQUE » dans la ruelle, Mélodie avait expliqué à sa fille que le mot « pute » est utilisé pour diminuer les femmes en général, mais signifie aussi « travailleuses du sexe », sauf que c’est juste elles qui ont le droit de l’utiliser entre elles. La mère et la fille en sont ensuite arrivées à la conclusion que « tête de travailleuse du sexe » ne voulait rien dire, comme « tête de prof » ou « tête de caissière ». « Alors on s’est moquées du jugement du gars, parce que ça n’existe pas une “tête de pute”. »

Paradoxalement, c’est Mélodie et non sa fille qui éprouve parfois un malaise avec la sexualité. C’était le cas durant le temps des fêtes lors du visionnement en famille d’un film de Noël de style Hallmark. « Il y avait un couple qui baisait sur le comptoir devant le four, c’était un peu trop pour moi qui pensait voir un film de Noël, j’étais mal à l’aise, mais ma fille m’a dit: « oh maman je comprends que ça te gêne, je connais tes limites. »

Publicité

C’est intéressant aussi de voir le rapport d’Éliza avec l’organisme Stella, où sa maman a été participante comme escorte, intervenante puis membre du CA. « Pour mes enfants, Stella c’est l’endroit où ils mangeaient du McDo pendant que maman parle avec des madames vraiment gentilles dans la pièce d’à côté », illustre-t-elle.

« Ça ne fuck pas une mère d’être TDS »

Si Mélodie – qui déteste les secrets de famille – se réjouit d’avoir crevé l’abcès avec sa plus vieille, elle précise l’importance d’y aller à son rythme. « Leur père, je l’ai rencontré comme client, mais je dois respecter ses limites à lui aussi », nuance-t-elle, insistant sur l’inutilité pour les mamans TDS de se mettre une pression indue. « Je leur conseille de respecter leur propre limite, pas obligée de le dire et surtout d’avoir honte. Ça ne fuck pas une mère d’être TDS », assure Mélodie, qui suggère cette lecture à ce sujet et ne s’est jamais d’ailleurs sentie jugée par les parents de son quartier.

Publicité

Mélodie a, à l’inverse, senti beaucoup de bienveillance de leur part. « Leur jugement me stressait surtout quand je suis tombée enceinte, parce que d’autres travailleuses du sexe me partageaient des histoires difficiles d’enfants qui ne voulaient pas jouer avec les leurs à cause de leur métier, etc. J’avais peur que mes enfants aussi soient ostracisés », raconte Mélodie.

Crédit: Myriam Lafrenière
Crédit: Myriam Lafrenière

Avant d’avoir des enfants, elle pensait d’ailleurs arrêter le métier ou changer d’idée au sujet de la décriminalisation une fois mère. Il s’est passé exactement l’inverse. « Avoir des enfants m’a rendue au contraire plus militante. Je veux changer les choses pour que mes enfants soient respectés s’ils travaillent dans l’industrie du sexe. Avant je me sentais seule là-dedans. Grâce à mes enfants, mon militantisme n’est pas narcissique », résume Mélodie, d’avis que les lois contrevenant à la liberté des TDS finissent par pénaliser aussi les enfants par la bande. « J’ai toujours trouvé important que ça soit dans leur tête, le travail du sexe fait partie de ma vie.»

Publicité

Parlant de militantisme, la principale intéressée ne voit hélas pas de pas de géants dans le métier, même si, au Québec, l’organisme Stella est dans le paysage depuis un quart de siècle. « Ça avance et ça recule, il y a encore tellement de préjugés. On a peut-être aujourd’hui accès aux soins de santé, mais les stigmates sont encore importants et plusieurs TDS n’osent toujours pas parler de leur métier », déplore Mélodie, ajoutant que la décriminalisation ne serait pas une fin en soi, mais assurément un pas dans la bonne direction.

Elle cite l’exemple de la Nouvelle-Zélande, seul pays où la prostitution est décriminalisée et où les droits des TDS sont mieux respectés. « Les différences sont majeures. Tu peux par exemple poursuivre au criminel une personne qui te out. Ça favorise aussi la discussion entre les intervenants communautaires et les forces de l’ordre », mentionne Mélodie, qui a aussi lancé il y a un mois le blogue Nouvelles intimes avec la journaliste Natalia Wysocka, proposant « un espace de liberté et d’exploration de sujets plus tabous en société ». Les deux femmes se sont rencontrées dans le cadre d’un reportage et n’aimaient pas le traitement des TDS dans les médias. Leur site leur permet donc d’aborder des enjeux du travail du sexe, mais loin des idées préconçues.

Publicité

L’impact catastrophique de la pandémie

La directrice de Stella trouve évidemment dommage que les célébrations entourant le vingt-cinquième anniversaire de l’organisme aient coupé court en raison de la crise. Sauf pour quelques activités en ligne, plusieurs évènements majeurs de la programmation ont été annulés. « On avait prévu un gros lancement du magazine au Cléo (café Cléopâtre) et un festival de films au Cinéma L’Amour. On va essayer de refaire des choses après puisque c’est important pour nous de se mobiliser, se retrouver en communauté et rester connectées », souligne Sandra Wesley.

Publicité

Parlant de rester connectées, Stella continue d’offrir des services aux TDS malgré le contexte. Leur local demeure ouvert pour accueillir – une à une – les femmes qui ont besoin de matériel, d’Internet ou simplement de parler. Des travailleuses de rue de l’organisme sont aussi à pied d’œuvre sur le terrain, sans oublier les réseaux sociaux et une ligne d’appels à frais virée pour femmes incarcérées.

« Il n’y a eu aucune aide gouvernementale durant la pandémie. […] C’est difficile pour plusieurs de juste survivre. »

La moindre des choses pour des femmes qui ont complètement été oubliées depuis le début de la crise, déplore Sandra Wesley. « Il n’y a eu aucune aide gouvernementale durant la pandémie. C’est difficile pour plusieurs de juste survivre. »

Publicité

Après une note d’espoir en 2013 lorsque la Cour suprême du Canada avait invalidé les lois criminalisant la prostitution au pays, l’arrêt Bedford forçait l’année suivante le fédéral à revenir sur sa décision en criminalisant le commerce du sexe sous toutes ses formes. Pour le gouvernement Harper, qui disait s’inspirer du modèle scandinave, l’idée était de sanctionner l’achat de services sexuels et non l’offre; le client plutôt que les travailleuses du sexe.

Mais concrètement, le fait de criminaliser leur travail a plutôt plongé les TDS dans des situations de précarité « catastrophiques », constate Sandra Wesley. « Le projet de loi pour décriminaliser le travail du sexe promis par les libéraux n’a pas été respecté et c’est un choix implicite de nous exclure de la PCU. Plusieurs femmes ont perdu entièrement leurs revenus et n’ont plus rien. Par exemple celles qui travaillent dans les bars de danseuses », explique la directrice, ajoutant que l’imposition d’un couvre-feu constitue une tuile supplémentaire sur leur tête. « Ça place les femmes dans des situations très difficiles. Celles qui travaillent habituellement le soir et la nuit ne peuvent plus le faire le jour avec des enfants.»

« Dommage que la réponse de la société est d’augmenter la répression. »

Publicité

Mais bon, les TDS en ont vu d’autres et sont l’incarnation même de la résilience, croit Sandra Wesley. « Elles ont survécu à toutes les pandémies depuis le début de l’humanité. Nous combattons notamment celle du VIH depuis 40 ans », illustre Mme Wesley, qui est d’ailleurs co-présidente de l’organisme Montréal sans sida, ajoutant que les gens auraient beaucoup à apprendre des TDS. « Dommage que la réponse de la société est d’augmenter la répression. »

En attendant, les TDS s’adaptent pour arriver à faire leur travail, à l’instar du reste de la société. Certaines ont repris leur service en ligne ou imposent le port du masque pendant les relations. D’autres ont jeté la serviette, sont parties prêter main-forte dans le milieu de la santé. « L’industrie va finir par reprendre vie et les TDS trouveront une façon créative de recommencer à faire leur travail », assure Sandra Wesley, qui dénonce les stéréotypes tenaces de traite humaine et proxénétisme, qui perpétue une confusion dans l’opinion publique.

Publicité

Si elle ne nie pas certaines réalités à des années-lumière du conte de fées, elle ne voit pas la pertinence d’en faire l’étalage dans les médias même si c’est paradoxalement pour elles que le combat doit se poursuivre. « On n’a pas d’intérêt de raconter nos histoires d’horreur et de violence. Mais oui, certaines prennent des drogues dures, vivent de la violence et sont en situation d’itinérance. C’est justement pour elles que la décriminalisation est importante », résume Sandra Wesley.

Parce que les autorités auront beau creuser jusqu’en Chine pour se mettre la tête dans le sable et tout faire pour leur mettre des bâtons dans les roues, les TDS sont là pour rester.