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Le 1er mai dernier, le prix des cigarettes a augmenté pour la deuxième fois de l’année. Aujourd’hui, le tarif des paquets a largement dépassé les 10 euros et peut grimper jusqu’à 12 euros.
Alors qu’on a vendu 40 000 tonnes de clopes en France en 2022, on peut légitimement se demander qui peut se permettre d’en acheter ? Et en cette journée mondiale sans tabac, une grande question nous vient en tête : qui peut se permettre de commencer à fumer malgré un coût très fort et de multiples campagnes de prévention ?
Cette interrogation m’a fait sourciller à l’origine, parce qu’elle va à l’encontre de la tendance que j’observe autour de moi.
Bien que je n’aie jamais adopté cette mauvaise habitude moi-même, j’ai grandi entouré d’ami.e.s qui fumaient la cigarette. Je suis sorti avec eux (été comme hiver), le temps qu’ils fument une clope entre les cours ou entre deux sets à un spectacle de musique.
Aucun d’entre eux ne se trouvait particulièrement cool de fumer. C’était pour eux une vieille habitude qu’ils essayaient périodiquement de vaincre. Plusieurs ont d’ailleurs réussi au fil des années. Avec toute l’information qu’on a sur les méfaits de la cigarette, les images dégueulasses sur les paquets et les prix exorbitants, qui peut bien commencer à fumer par les temps qui courent?
En quête de réponses, je suis parti à la recherche de nouveaux fumeurs.
Stress, vice et tabous
Reddit s’est r évélé être une formidable banque à témoignages. Sans prétendre que c’est là un échantillon qui passerait le test de la méthode scientifique, ça me donnait un bassin intéressant… de plus de 60 000 personnes amateurs de clopes. Là-bas, les nouveaux fumeurs et nouvelles fumeuses sont métaphoriquement sortis des buissons comme les derniers survivants d’un conflit armé.
« J’ai commencé à fumer parce que tout le monde à mon taf fumait », m’explique un jeune travailleur dans le milieu de la restauration dans une grande ville. « J’ai un job assez stressant et sans pause, alors fumer me donnait l’ occasion de pouvoir relaxer un peu et de socialiser avec mes collègues. La situation économique avec la pandémie a probablement été aussi un catalyste. J’étais très stressé. »
«C’est devenu un mécanisme de gestion du stress avec le temps. La vie de militaire, c’est pas toujours facile.»
Il ne semble pas très préoccupé par les ennuis de santé potentiels que pourraient lui causer cette habitude. Un jeune militaire me donne un son de cloche similaire au sien : «J’ai commencé à fumer en octobre 2020. C’était un mélange de pression de mon groupe de pairs et du stress causé par le confinement. Tout le monde fume ou vapote dans l’armée. C’est devenu un mécanisme de gestion du stress avec le temps. La vie de militaire, c’est pas toujours facile. Ça m’aide de pouvoir prendre un peu de temps pour moi-même avec une cig, une fois de temps en temps. »
En d’autres mots, ils jugent que la cigarette est une soupape. On gèrera les effets à long terme… plus tard.
Dépression, nihilisme et autodestruction
Au stress du quotidien s’est aussi ajouté le stress – sans surprise – de la pandémie. Deux stress pour le prix d’un qui provoquent beaucoup de détresse. Et ça, ça ne s’envole pas en fumée.
« La raison pour laquelle les gens se mettent à fumer est simple », m’explique un gars qui semble avoir très peu de patience pour la thèse de cet article. « Ils perdent espoir en le futur. On a une crise de santé mentale sur les bras. L’alcoolisme et la violence conjugale sont aussi en hausse. Les dommages causés par les mesures sanitaires sont bien réels. Ça ne me surprend pas du tout que les ventes de cigarettes soient en hausse. »
Plusieurs autres nouveaux fumeurs viennent renchérir. « J’ai arrêté de fumer il y a des années, mais j’ai recommencé pendant la pandémie parce que je m’ennuyais et que j’étais déprimée. Je me suis aussi saoulée presque tous les jours pendant le premier confinement. Plus tant aujourd’hui, mais l’isolement m’a presque tuée de plusieurs façons », me raconte une femme qui fait partie d’ autre classe de nouveau fumeurs : ceux qui avaient vaincu leur addiction, mais qui recommencent.
«Je ne fume pas pour me sentir bien, mais pour me sentir moins mal pendant environ 30 minutes à chaque fois.»
« J’étais supposé aller étudier au Canada en 2020 », raconte un étudiant français accro aux American Spirit jaunes. « C’était mon rêve d’aller là-bas, et quand les frontières ont fermé à cause du COVID-19, je me suis mis à fumer comme un idiot. J’ai tenté ma chance à nouveau en 2021. J’ai été accepté à l’école où je souhaitais étudier. J’ai fait mes papiers six mois à l’avance, mais le gouvernement canadien m’a envoyé mon acceptation en retard. J’étais isolé et déprimé, alors je me suis mis à fumer jusqu’à un paquet par jour. »
Une jeune femme britannique avec un trouble de déficit d’attention m’explique que sa décision de commencer à fumer était un choix réfléchi : «Je sais pas si tu sais à quel point c’est difficile de demeurer au même endroit et de ne rien faire 24 h/24 h et sept jours sur sept quand t’as un déficit d’attention. Je ne fume pas pour me sentir bien, mais pour me sentir moins mal pendant environ 30 minutes à chaque fois. Ça m’a fait rencontrer des gens aussi lorsque j’ai pu sortir. Je suis plus sociale depuis que je fume. Je suis très consciente des dangers de la cigarette. Les paquets au Royaume-Uni ne me laissent jamais l’oublier. Pour l’instant, ça m’apporte plus de réconfort que de problèmes. »
C’est un très sombre portrait des nouveaux fumeurs que dresse ma série de conversations. J’ai été étonné de voir à quel point les témoignages avaient des similarités. Les nouveaux fumeurs sont de jeunes gens (pour la plupart) qui semblent se jeter sur un moyen de contrôler leur anxiété liée aux conséquences du COVID en toute connaissance de cause, sans trop se soucier du futur puisque la planète semble parfois ne plus tourner depuis deux ans.
Ce n’est pas une curieuse coïncidence si on vend toujours des tonnes de cigarettes. C’est plutôt alarmant.