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« M’aimerais-tu encore si j’étais un ver de terre ? »
Il est trois heures du matin lorsqu’un homme est soudainement réveillé par les sanglots ininterrompus de sa femme. « Oh, mon Dieu, qu’est-ce qui se passe ? », panique-t-il aussitôt. La voix pleine de trémolos, sa femme lui répond :
« J’ai juste l’impression que si nous étions des vers de terre, tu ne m’aimerais pas… Est-ce que tu te marierais quand même avec moi ? Peu importe, oublie ça… »
Le scénario est fictif, né d’une publication humoristique postée en 2019 sur X par une certaine shutyourhell, mais la phrase, elle, devient instantanément virale sur Internet. Si elle n’est pas récupérée sous la forme de memes, elle peuple alors les TikToks de couples, apparaît dans des fan arts ou inspire le fameux costume d’Halloween de l’ex-mannequin américaine Heidi Klum.
Quelque part dans l’au-delà, Franz Kafka doit certainement crier au plagiat.
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En 2024, la popularité de cette question est loin de faiblir, en plus d’avoir donné naissance à de multiples variations. Ainsi, advenant que l’hypothèse du ver de terre vous révulse, il est toujours possible de remplacer la bestiole dans votre question par une chenille, une mouche, un papillon… et même un tank.
Mais sous cette fausse légèreté se cache une crainte bien réelle qui n’est jamais formulée à voix haute : m’aimes-tu vraiment pour ce que je suis ou bien juste pour ce que tes yeux voient ? Aimerais-tu encore l’essence de ma personne si je n’étais qu’un insecte visqueux et invertébré gigotant dans un bac à compost ?
En d’autres termes : m’aimes-tu d’un amour conditionnel ou inconditionnel ?
« Lorsqu’il s’agit de relations amoureuses, l’amour inconditionnel peut signifier que l’amour ne disparaît pas, malgré des défis tels que des problèmes de santé qui altèrent la vie ou des changements d’apparence ou de personnalité », explique un article de Healthline.
« Avoir confiance en l’amour de quelqu’un et savoir qu’il ne disparaîtra pas peut aider à créer des liens d’attachement sûrs et à favoriser l’autonomie, l’indépendance et l’estime de soi. »
VER À DOMICILE
Toutefois, le cas de figure du ver de terre ne peut qu’inviter une seule réponse instinctive et brutalement honnête : non.
C’est d’ailleurs ce que répondra sans hésiter la mère de la TikTokeuse ninzzx avec un « yuck » bien senti, ajoutant même qu’elle se réjouirait de voir sa fille être avalée par un oiseau.
Après tout, suspendons la logique pour réfléchir un peu à la viabilité d’une telle histoire d’amour. Juste un peu.
Quelle possibilité de date y aurait-il en dehors d’un pot Mason ou d’un terrarium ? Quelle qualité de conversation – en excluant la voie télépathique – pourrait-il y avoir entre un humain et un ver de terre ? Peuvent-ils encore être attirés l’un par l’autre ? Le ver de terre transformé garde-t-il sa conscience humaine ?
Que se passe-t-il si, en essayant de s’embrasser, l’un avale accidentellement l’autre ? Comment expliquer cet homicide involontaire aux autorités ?
Et si ce « ver » est à prendre de façon métaphorique, les questions ne cessent pas pour autant. Car à quoi cette transformation est-elle censée faire référence ? Que vient-elle tester ? La capacité émotionnelle et psychologique de l’autre partenaire à tout endurer, coûte que coûte ? Est-ce là le sens véritable de ce fameux amour inconditionnel ?
Loin de là. « Trop de gens pensent que l’amour inconditionnel signifie rester avec une personne, quoi qu’elle fasse. Ils pensent que le véritable amour signifie ignorer tout ce que fait leur partenaire et ne jamais l’abandonner », écrit la rédactrice en chef de LifeHack Anna Yuen-Ting Chui.
À la fois commune et dangereuse, cette confusion est l’ingrédient parfait pour une relation abusive. Pour être sain, un amour inconditionnel doit être précisément délimité par chacun des partenaires.
« Vous voulez être leur système de soutien, peu importe ce qui leur arrive. Pas peu importe ce qu’ils vous font », précise Anna Yuen-Ting.
Just girly things
Une fois cela établit, on peut alors comprendre la question du ver de terre comme un besoin d’être rassuré qui ne doit pas être pris au pied de la lettre… mais un peu, quand même. N’oublions pas que l’humour agit ici comme carapace pour atténuer une peur réelle de l’abandon.
Il n’est également pas anodin que ce soit à forte majorité des femmes qui demandent cela à leur partenaire masculin. Les stéréotypes genrés jouant peut-être pour une fois à leur avantage, comme l’explique la psychothérapeute Juliette Clancy dans une entrevue pour The Face :
« [La société] présume qu’elles manquent davantage d’assurance que les hommes. Avec cette logique, les femmes peuvent s’en tirer en posant des questions “idiotes” ou “girly”. »
Un « non » honnête pouvant s’avérer dévastateur, certains partenaires questionnés vont également jouer sur le plan humoristique et dire à la blague que cette transformation en ver de terre était justement ce qu’il leur fallait pour tomber amoureux ou qu’ils utiliseraient leur partenaire comme appât de pêche.
Pas sûr que cela suffise pour acheter la paix, par contre.
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Toutefois, il faut se rappeler qu’un « non » à cette question n’est jamais la fin du monde. Après tout, la terre grouille suffisamment d’insectes rampants pour se trouver une nouvelle âme sœur avec qui vivre son idylle… jusqu’à ce que vous demandiez à cet insecte s’il vous aimerait encore en tant qu’être humain.