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Maid : nouveau regard sur la profession de femme de ménage
Selon l’outil Google Trends, on a été nombreux à taper le mot « maid » (« femme de ménage » en français) dans leur moteur de recherche ce dernier mois qu’au cours des cinq dernières années. La série populaire de Netflix mettant en vedette Margaret Qualley y est fort probablement pour quelque chose.
Sur TikTok, des filles et des garçons partagent des vidéos dans lesquelles ils revêtent l’uniforme noir et blanc typique qui rappelle les femmes de ménage des années 60. Le sketch du tiktokeur ci-dessous cumule six millions de vues.
La légende au début de la vidéo nous invite à toujours donner du pourboire au personnel ménager, qui empoche des salaires avoisinant les 10 euros l’heure en France.
Une pauvreté ordinaire qui ne se voit pas toujours, qui ne mendie pas dans les rues, qui épuise toutefois jusqu’à la moelle.
Mais revenons au mot qui bouscule « les Internets » et sur cette série surtout. Beaucoup a été dit sur Maid, qui figure parmi les dix séries les plus regardées sur le site du géant américain. Notamment, en ce qui concerne son portrait de la violence conjugale souvent plus insidieuse qu’on le pense, mais également sur son regard sur la pauvreté. Une pauvreté ordinaire qui ne se voit pas toujours, qui ne mendie pas dans les rues, qui épuise toutefois jusqu’à la moelle et laisse des trous dans le bas de laine.
Inspirée de l’histoire vraie de Stéphanie Land, dont le livre fut encensé par nul autre que l’ancien président Barack Obama, qui y voit une image frappante et réaliste de la pauvreté aux États-Unis, la série raconte les mésaventures d’une mère fuyant une relation de couple toxique. Elle se retrouve à faire des ménages pour subvenir aux besoins de sa fille.
LE Rêve américain : un mythe ?
Il semble que la pauvreté soit l’un des derniers tabous en Amérique du Nord, berceau des rêves hollywoodiens et de la maxime qui veut que si l’on travaille fort, eh bien on va finir par y arriver. Et honte à ceux et celles qui échouent ! Mais est-ce que tout le monde peut vraiment réaliser ses rêves à force de travail acharné ?
« J’ai nettoyé des maisons pendant deux ans et ce que j’ai vu m’a enlevé l’envie de devenir riche »
Pas selon l’auteure du livre. Elle explique dans une entrevue à la chaîne d’affaires publiques C-Span que c’est tard dans sa vie qu’elle a réalisé l’existence d’un tremplin invisible pour certaines personnes, dont les parents paient les frais de scolarité ou l’appartement à New York, par exemple. Stéphanie Land, pour sa part, a pu aller à l’université qu’à 28 ans, après avoir décroché une bourse.
Celle qui est aussi journaliste s’est fait connaître grâce à un texte publié sur le site de Vox qui avait pour titre : « J’ai nettoyé des maisons pendant deux ans et ce que j’ai vu m’a enlevé l’envie de devenir riche ».
Engager une femme de ménage à son tour
Ironie du sort, le succès de son livre (et de l’adaptation de Netflix) lui apporte aujourd’hui un degré de confort qui tranche avec les maisons mobiles, refuges pour femmes en difficulté et autres appartements subventionnés par le gouvernement dans lesquels elle a déjà habité.
Et même si elle s’était promis de ne jamais engager quelqu’un pour faire le ménage à sa place, avec quatre enfants à la maison (son conjoint en a deux), disons que la vaisselle s’empile beaucoup plus vite.
Défiant sa culpabilité, elle s’est fait un point d’honneur d’engager une femme de ménage à un salaire plus élevé que le taux horaire fixé par la compagnie avec laquelle elle a choisi de faire affaire.
Cette anecdote m’a fait penser à Caroline Dawson, dont j’ai beaucoup aimé le livre Là où je me terre, qui raconte son arrivée au Québec et l’emploi d’entretien ménager qu’occupaient ses deux parents immigrants chiliens. Elle aussi, témoin de la rudesse qu’impliquait ce métier, éprouvait un malaise à recourir au service d’une femme de ménage.
Mais la maternité, les mandats qui se chevauchent et les cours à donner au cégep Édouard-Montpetit lui ont fait reconsidérer son choix. Cette professeure de sociologie, comme bien des femmes accomplies de son temps, en fait beaucoup. Elle avait besoin d’aide.
Se retrouver un jour de l’autre côté du miroir n’est même pas quelque chose qui nous aurait traversé l’esprit… Et pourtant, cela nous dote aussi d’une plus grande sensibilité face à la précarité et aux gens qu’elle touche.
Elle a donc trouvé une entreprise éthiquement responsable qui verse à ses employées un salaire stable en plus d’offrir des vacances et des congés de maladie, ce que sa propre mère n’a jamais eu. Cela l’a réconciliée avec l’entretien domestique, résume-t-elle dans une entrevue accordée à La Presse en septembre.
Pour ma part, j’étais en troisième année du primaire quand une élève a parlé de la femme qui venait faire le ménage chez elle comme si c’était la chose la plus normale au monde. Ses deux parents étaient avocats. Je m’en souviens parce que je me suis dit que si je devenais avocate un jour, je serais assez riche pour éviter de faire le ménage.
Curieusement, aujourd’hui, je connais des femmes qui ont recours à de l’aide ménagère même si je ne suis pas avocate. Mon entourage est fait de ces mères éduquées qui jonglent avec les multiples responsabilités de leur vie familiale et de leur titre professionnel : conseillère séniore, gestionnaire de compte, directrice, vice-présidente. Il s’agit parfois d’une concession troublante à faire, particulièrement pour nous, enfants d’immigrant.e.s ou de familles modestes qui avons vu des membres de notre entourage s’user le corps pour faciliter la vie des gens plus aisés. Se retrouver un jour de l’autre côté du miroir n’est même pas quelque chose qui nous aurait traversé l’esprit… Et pourtant, cela nous dote aussi d’une plus grande sensibilité face à la précarité et aux gens qu’elle touche.
Espérons que cette série nous aidera collectivement à porter un autre regard sur ces femmes qui se font invisibles, qu’on remarque à peine, qui font leur entrée quand on quitte le domicile ou la chambre d’hôtel, mais dont le travail, faute de laisser des traces, nous libère du temps pour des choses qui nous plaisent davantage.