Logo

Ma relation amour-haine avec la grève

Une petite histoire qui traverse les luttes

Par
Léa Martin
Publicité

Je ne crois pas vraiment au destin, ni au pouvoir des pierres ou à Mercure rétrograde, mais j’aime croire que la vie est faite de boucles. Des événements qui nous permettent de faire le bilan, de mieux comprendre qui nous sommes, d’avoir une sorte de « closure » si on veut.

Alors quand j’ai appris le début d’une grève des transports illimités, vous allez trouver ça bizarre, mais j’étais plutôt excitée. Parce que le 8 décembre 1995, au milieu du zbeul total de la grève sociale, une petite affaire d’1,9 kg a poussé sa première gueulante à la maternité de Port-Royal (oui, oui, c’est moi). J’ai grandi le cul entre deux chaises comme on dit. Un pur produit de l’amour France-Québec.

24 ans plus tard, j’ai décidé de refouler la terre de la mère patrie pour finir mes études (et peut-être trouver une petite place dans cette société que j’apprends encore à comprendre). Et là, boom! Grève générale, tout le monde est dans la rue et la base de la discorde est la même : la réforme des régimes spéciaux de retraite. Bon, cette fois, Emmanuel Macron veut réformer le régime de tous les Français, but still, ça ressemblait pas mal à un signe.

Publicité

À l’époque, pendant trois semaines, les transports de Paris étaient complètement paralysés « Tous les jours, je partais à vélo du bureau pour aller à l’hôpital dans le sud de Paris, raconte mon père. Ensuite, je remontais jusque chez mon ami pour une pause bière à Nation et je finissais le chemin jusqu’à Montmartre ». Ces histoires de grève sous la neige, je les ai entendues des dizaines de fois en grandissant. Des tranches de vie un peu surréalistes d’une métropole complètement bloquée par les syndicats qui auront finalement gain de cause. Une tranche d’histoire « so French » ou dans la révolution et la tourmente, les Parisiens répondent : « Bah vous savez, c’est chiant, mais ils ont leurs raisons… ».

Alors j’avais un peu hâte à la grève, même si ça voulait dire que j’allais devoir marcher 1 h 20 pour aller à l’école (comme on passe 8 heures par jour à l’école dans ce pays, j’avais pas le temps d’aller au gym).

J’avoue que j’ai été un peu déçue, parce que la RATP doit offrir un service minimum en temps de grève depuis 2007 et c’est quand même moins marrant (mais comme ils sont un peu des bums, ils le font pas tout le temps et ça ajoute du suspense).

Je m’attendais à des bagarres sur les quais pour entrer dans le RER, des gens qui crient dans le métro, mais vous savez quoi, les Français ont l’habitude. Les gens se sont organisés et même si le trafic est plutôt bordélique, les Parisiens restent calmes… On est loin des histoires de mon père avec de grands ronds points complètement bloqués par des centaines de voitures emboitées les unes entre les autres pendant des heures.

Publicité

Cette année, ce n’est pas que le personnel des transports qui est en grève, c’est un ras-le-bol général qui a lieu partout en France. Avec mes gros sabots de Nord-Américaine, ça m’a pris du temps à comprendre pourquoi les gens sont aussi en colère, pourquoi ils ont si peur du changement, pourquoi les choses semblent avancer si lentement en France. Ce que je ressens, c’est beaucoup de peur de perdre des acquis sociaux, de se faire avoir dans un monde de plus en plus mondialisé, de s’américaniser en gros.

Les gens se battent pour des idées pour lesquelles leurs ancêtres se sont battus. Pour l’idée d’une société, plus égale, plus juste, et je respecte ça. Il ne faut tout de même pas oublier que ceux qui subissent les conséquences de cette grève sont les personnes les plus précaires, excentrées et qui n’ont pas l’opportunité de poser de congé ou de faire du télétravail. À travers des discussions enflammées avec mes amis journalistes le midi et les gens que je rencontre, je crois que je comprends un peu mieux d’où vient mon caractère et pourquoi je gueule autant (ici en fait c’est juste normal).

Publicité

Alors pendant que je boucle la boucle et que je gueule à ma façon comme en 95, je vous laisse parce que je dois me lever tôt avec mon petit club de marche pour me rendre en classe demain matin.