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Lor-K transforme les déchets en oeuvres d’art
Lor-K est un volcan en éruption, son cerveau bouillonne d’idées incandescentes et sa pugnacité n’a d’égale que son énergie dévorante. La rue est son terrain d’exploration, la sculpture “povera” son moyen d’expression et la photographie sa mémoire artistique qui vient immortaliser l’éphémère. Il en aura fallu de la détermination à la gamine d’Arcueil pour pousser un jour les portes d’une école d’art. C’est qu’elle s’en est prise des portes avant d’attirer l’attention des badauds puis des médias avec ses installations-performances réalisées in-situ à partir des déchets qu’elle repère sur les trottoirs.
D’abord en éventrant fauteuils, chaises ou écrans faisant dégouliner du sang, une scène de crime qu’elle nomme Objeticide puis en transformant des matelas en sushi, rouleaux de printemps, kebab ou donuts en format XXL, le projet Eat Me qui est désormais accompagné d’un livre de “recettes urbaines”. Chaque projet naît par rapport au reflet de la ville, sa pratique dépend du territoire et non du spot. « Je pose là où je trouve l’objet, sans recherche de visibilité. J’aime me retrouver dans des zones où l’art n’a pas sa place. J’ai attendu 22 ans avant de rentrer dans une galerie pour prendre ma claque ! » Avec son débit mitraillette, Lor-K, alias Carole, revient sur son attrait pour les activités manuelles et ses premiers émois artistiques. « J’ai toujours su que je voulais être artiste, cela a vraiment commencé très jeune, dès l’âge de la pâte à modeler, fallait bien que je m’occupe étant fille unique ! »
« Les sorties scolaires en primaire étaient mes seules rencontres avec l’art. Et je trouvais ça nul ! »
Sur le chemin du collège, elle commence à observer les encombrants abandonnés sur l’ancien aqueduc qui traverse la ville. « Je ramassais des objets que ma mère mettait en vente sur nos stands de brocantes. » C’est dans cette même banlieue du 94 qu’elle repère tags et graffitis et se met martèle en tête de trouver l’outil utilisé pour écrire sur les murs des lettrages aussi gros et persistants. « Je buggais, je ne savais pas comment ils faisaient ça ! Alors je suis aller fouiller dans les outils de mon père et j’ai trouvé des bombes, il en avait des basique : or, blanc noir. C’est LA révélation ! »
La voilà partie cheveux au vent, des sprays dans son sac en quête de cartons et de bouts de planches pour s’entraîner à peindre. « Mon attrait pour la rue à commencer à naître. Je viens d’un milieu ouvrier, qui n’est pas tourné vers la culture artistique. Les sorties scolaires en primaire étaient mes seules rencontres avec l’art. Et je trouvais ça nul ! J’aimais l’art dans la rue, les lettrages, les petits personnages. » Malgré une volonté dévorante d’apprendre et d’étudier, l’élève hyperactive qui a des problèmes de concentration se voit signifier à la fin de sa troisième qu’elle n’a pas le niveau pour entrer ni en école d’art, ni pour faire un CAP métiers d’art. Après un redoublement dans le privé pour augmenter ses chances de réussite, son dossier se fait encore recaler et elle est orientée vers un CAP force de vente. « C’est alors que commence ce cycle infernal qui a influencé toute ma pratique et affûté mon regard. J’ai enchaîné des stages toutes les six semaines, j’avais à peine 16 ans et j’étais capable de vendre tout et n’importe quoi avec le petit uniforme de la boutique. C’est au même moment que j’ai pris conscience de cette société de la surconsommation. Avec mon envie d’étudier, je me tape 18 de moyenne, c’est tellement basique que tu n’apprends pas grand chose. Je suis dans une filière où je ne m’épanouis pas et en même temps je découvre tout l’art de rue ».
Si elle valide son bac pro avec mention très bien, l’institution lui refuse toujours l’accès à ses enseignements. Le moral au plus bas, elle signe pour un BTS en management des unités commerciales, tout en se doutant que ce n’est pas dans cette structure qu’elle trouvera son identité artistique. Dépitée et démoralisée, sa seule obsession est d’aller en art. Au moment où elle n’y croit plus, Lor-K trouve l’association SOS Rentrée qui vient en aide aux jeunes rencontrant des difficultés dans le cadre de leur parcours scolaire ou de formation. « Grâce à eux, j’ai refait tous les dossiers pour les arts appliqués et on a aussi frappé aux portes des facs en licence art plastique, Paris 8 et Paris Sorbonne. A 21 ans, c’était ma dernière chance. » Après sept années de frustration dans des études commerciales, La Sorbonne lui dit OUI !
« Je passais mon temps à ramasser des objets et je me suis dit qu’il fallait les utiliser dans leur contexte d’abandon. »
Celle qui n’a jamais lâché l’affaire et a essayé toutes les techniques qu’elle croisait dans la rue, se retrouve enfin confrontée à l’art contemporain et “rencontre” des courants et influences majeurs : Clay Ketter, Anish Kapoor, Michael Pederson, le Pop Art ou encore le Land Art. Encouragée par l’un de ses professeurs, l’artiste Benjamin Sabatier, Lor-K poursuit ses explorations et assume la mise en volume de ses réalisations qu’elle décide de contextualiser. « Je passais mon temps à ramasser des objets et je me suis dit qu’il fallait les utiliser dans leur contexte d’abandon. »
Convaincue que ces déchets avaient quelque chose à dire, elle crée ses premières interventions avec des produits de consommations abandonnés : Consomas (2011), des frigos et des caddies hyper flashy vomissant leur contenu, ou Objeticide (2012) qui nous confronte à la fin de vie de nos objets du quotidien.
En 2016, la plasticienne connaît une nouvelle obsession : les matelas abandonnés. « Parfois j’en voyais 24 dans une journée, je me suis dit que c’était un signe, que je devais faire quelque chose avec. Personne ne veut les ramasser, c’est intime. C’est là où on crée la vie et où on meurt, c’est répugnant. De ce symbole de précarité, j’ai voulu en faire quelque chose d’hyper appétissant, pour qu’on les remarque, en mettant en scène de la street food. » Eat Me fait rapidement le buzz. Pourtant, ils sont rares ceux qui ont eu la chance de voir une des œuvres in real life.
« Dans la rue, ce sont des personnes qui se considèrent sans culture artistique. Or, vu qu’ils s’interrogent, on est dans l’art ! C’est ce qui m’intéresse : créer le pont entre les deux ».
Ce qui est valable pour l’ensemble de ses interventions, car finalement leur existence ne dépasse rarement plus de 24 heures, la sculpture disparaît, ce qui reste ce sont les archives. C’est grâce aux photographies qu’elle diffuse son travail. « Ce que je fais dehors, ce ne sont pas des œuvres, mais des expériences. La force de l’art de rue est que tout le monde peut se l’approprier. Et cela peut susciter des actes de créations. L’oeuvre n’est pas sacralisée, tout le monde peut la réinterpréter ». Elle compile alors dans un livre toutes les étapes et techniques pour reproduire les mets appétissants confectionnés à partir de matelas. Ce qui lui permet aussi de faire “cuisiner” des gens lors de workshop pour réaliser une sculpture collaborative.
Sa démarche n’est pas toujours évidente à suivre pour les programmateurs de festivals qui l’invitent à reproduire telle ou telle intervention, elle s’y refuse : l’atelier participatif s’avère être une alternative. L’archivage demeure le cœur de la pratique artistique de Lor-K qui n’expose pas ses réalisations éphémères pour ne pas les dénaturer. « Je n’ai aucun intérêt à les reproduire hors de leur contexte, elles perdent leur sens ». La conservation lui permet d’inscrire son œuvre dans le temps, ainsi ses expositions rassemblent un corpus de photos, de vidéos, d’installations sonores et de textes, ce qui peut frustrer le public, friand des sculptures, et qui n’est d’ailleurs pas le même en galerie que dans l’espace public. « Dans la rue, ce sont des personnes qui se considèrent sans culture artistique. Or, vu qu’ils s’interrogent, on est dans l’art ! C’est ce qui m’intéresse : créer le pont entre les deux ».
« Je suis le parfait stéréotype de ce que je pourrais dénoncer. »
Au-delà de la nécessité de la trace et d’offrir une vitrine à ses créations, la photographie lui permet aussi de vivre de son art. Plutôt que d’essayer de s’intégrer au marché de l’art, elle préfère côtoyer les cadres académiques et de recherches des institutions, sans doute une petite revanche personnelle, et intervient dans des universités et écoles. « Le cadre de l’école de l’Anthropocène m’intéresse car je découvre un public qui n’est pas intéressé par la valeur esthétique de mon travail mais par le fond de mon propos. Nous avons des réflexions communes sur la vie sociale, l’interaction entre les citoyens, la rencontre entre habitants d’un même quartier, pleins de problématiques qui sont souvent inexistantes dans les expos de street art alors que cela en est souvent le coeur. »
Militante de la culture et de l’éducation, Lor-K réfute l’étiquette d’artiste engagée et cela même si sa pratique met en lumière la frénésie consommatrice d’une société qui ne rêve que d’abondance sans penser aux conséquences du traitement de tous les détritus que cela génère. « J’aime soulever des questions mais j’ai du mal à me considérer comme engagée. Je suis une grande consommatrice de produits à emballage unique, je suis fascinée par le marketing et je dépense pour vivre l’expérience consommateur. Je suis le parfait stéréotype de ce que je pourrais dénoncer. » Ne lui dites pas non plus que c’est une artiste recyclo-écolo, car elle vous fera remarquer qu’une fois peint son déchet est encore moins recyclable qu’au départ. « Les projets sont finalement assez égoïstes et la portée écologique fausse. Toutes les créations finissent à la benne. »
Pour suivre les expéditions en cours de Lor-K : la série vidéo Or Noir, Delete qui intègre des emojis dans le réel ou Soft Power qui confronte la pub aux déchets rendez-vous sur son site ou son compte Instagram.