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Lobby transphobe : diviser pour mieux régner

Entretien avec Maud Royer, militante trans et féministe.

Par
Kiara Debernard
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Qui sont-ils, ces groupes qui cherchent à faire reculer les droits trans ? Depuis quand existent-ils ? Comment les contrer ? Maud Royer répond à ces questions, et à bien d’autres, dans son livre Le Lobby Transphobe. Quatre ans après avoir cofondé l’association féministe Toutes des Femmes dont elle est présidente, Maud a choisi d’écrire sur la lutte trans. Son livre décrit les mécanismes d’action des politiques et collectifs transphobes, pour les comprendre et mieux les contrer.

Pourquoi ce choix du terme “lobby” ? Qu’est-ce que le “lobby transphobe” ?

Maud Royer : C’est une volonté politique de retourner une accusation qui est faite depuis très longtemps : l’existence d’un lobby LGBT, ou maintenant l’existence d’un lobby trans. Très clairement, ceux qui sont organisés en lobby, c’est plutôt un certain nombre des groupes réactionnaires qui essaient de faire reculer les droits des personnes trans.

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Je parle de deux organisations en particulier dans le livre : l’Observatoire de la Petite Sirène et Ypomoni. Le premier a été fondé par Caroline Eliacheff et Céline Masson, qui font un travail de lobby auprès du ministère de l’Éducation et des parlementaires pour faire reculer les droits des personnes trans en France. À tel point que la proposition de loi qui interdit l’accès aux soins des mineurs trans est écrite en partie par l’Observatoire de la Petite Sirène. L’association a été rémunérée pour écrire le rapport qui a servi de base à cette loi signée par la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio. Cette proposition a été votée au Sénat il y a quelques mois, mais est heureusement loin d’être adoptée. Des groupes d’influence eux-mêmes reliés à des réseaux internationaux d’associations transphobes se sont créés dans l’unique but de peser sur les lois, sur les règlements ou sur les circulaires ministérielles.

Quand commence la surexposition médiatique concernant les droits des personnes trans ?

Le point de départ est la création de l’Observatoire de la Petite Sirène. En 2021, c’est vraiment l’explosion médiatique et politique de leur travail. En effet, on se trouve dans un moment historique : aux États-Unis, en Angleterre, il y a une véritable offensive contre les droits des personnes trans. C’est le moment où l’extrême droite commence à penser, à tort ou à raison d’ailleurs, que le sujet des personnes trans est bankable. Au départ, Valeurs Actuelles fait des vidéos à ce sujet sur sa chaîne YouTube VA+ – qui est censée être la version d’extrême droite de AJ+ – et leur équipe voit que ça fait beaucoup de vues. Ils en font une deuxième plus longue, et commencent à écrire des articles sur Valeurs Actuelles. Ensuite, on voit que le Figaro commence à reprendre ce sujet et au même moment, Zemmour commence à en parler. En quelques mois, le sujet devient un débat qui revient régulièrement sur les plateaux.

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Au départ, on ne peut pas identifier clairement que ce soit lié à des lobbies comme l’Observatoire de la Petite Sirène, parce qu’ils ne viennent pas du même milieu politique. En voyant son lobbying ne pas du tout prendre à gauche, l’Observatoire commence à se tourner vers la droite puis l’extrême-droite. Il y a donc un processus de convergence qui fait que des gens, qui au départ ne se parlaient pas plus que ça, deviennent une espèce de camp politique hyper cohérent.

Comment expliquer que Marguerite Stern et Dora Moutot (autrices de Transmania), qui se considèrent féministes, vrillent comme ça vers de la transphobie ?

Dora Moutot, son féminisme, c’est un brevet qu’on lui donne facilement. Parler de sexualité des femmes ne fait pas forcément d’elle une personne féministe. On peut en parler de manière très essentialiste et sexiste.

Marguerite Stern, c’est différent. Elle s’est toujours située à la droite du féminisme et a toujours été très islamophobe. Ces deux personnes incarnent une division dans le féminisme, autour de la criminalisation du travail du sexe et du port du voile. Ces débats ont emporté avec eux la question des droits des personnes trans, car les positions sur l’un des sujets reflétaient celles sur les autres.

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Une part du féminisme français s’est coupée des assos trans, notamment à cause du travail du sexe, puisqu’elles accueillent, pour des raisons sociologiques, une proportion importante de travailleuses du sexe. Mais en 2021, avec Nous toutes, des centaines de milliers de femmes ont manifesté, affirmant que la lutte pour les droits des personnes trans va avec celle des femmes, notamment pour le droit à disposer de son corps. Je pense que la France est la démonstration du fait que là où le féminisme est fort, il est assez imperméable à la transphobie.

Aujourd’hui, Marguerite Stern et Dora Moutot ne se disent plus féministes. Elles sortent des propos hallucinants, en résumé : Peut-être que j’ai fait une bêtise en étant féministe. Elles reviennent sur leurs positions, surtout Dora Moutot, de manière criante et explicite. Elles ont une place médiatique seulement à cause de la montée de l’extrême droite.

“La transphobie n’a pas progressé ou reculé, mais elle s’est déplacée”

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Est-ce que la transphobie est en augmentation depuis le ralliement de ces groupes-là ?

Je ne dirais pas que la transphobie a progressé ou reculé, mais qu’elle s’est déplacée. Le monde médical reste transphobe, mais moins qu’il y a 10 ou 20 ans. Le grand changement, c’est la lutte pour la dépsychiatrisation : sortir du paradigme où un psychiatre décide si l’on est vraiment trans et autorise une transition médicale. Aujourd’hui, on respecte davantage l’autodétermination de la personne. A condition, évidemment, qu’il n’y ait pas de comorbidité, c’est à dire qu’il n’y ait pas d’autres éléments de psychophobie qui viennent s’ajouter.

En revanche, la transphobie augmente dans la rue, car c’est devenu un sujet politique et médiatique. Les rapports de SOS Homophobie et d’autres associations montrent une hausse des agressions transphobes, notamment dans les familles, où le coming out est plus fréquent.

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Il y a aussi des discriminations toujours présentes du côté administratif. Par exemple, lorsque l’on est trans et qu’on a des papiers qui ne correspondent pas au prénom avec lequel on se présente. Tout ça, ça crée des discriminations très violentes. Pour louer un appartement, par exemple, j’ai eu un problème : personne ne me rappelait. J’ai mis du temps à comprendre que lorsque les propriétaires vérifiaient le numéro de ma feuille d’impôt sur le site du Ministère de l’Economie et des Finances, c’était mon ancien nom qu’ils lisaient. Les gens se disaient que j’avais fait une fausse feuille d’impôt alors que c’est juste qu’ils ne mettent pas leur fichier à jour. Ces longues procédures causent des situations très violentes qui arrivent très fréquemment.

Quels moyens d’action on a pour lutter contre la transphobie ?

Mon mode d’action est de battre ces gens politiquement. Une grande loi pour les droits des personnes trans, comme la loi mariage pour tous, infligerait une défaite au lobby transphobe. Après, ces militants ne seraient plus invités sur les plateaux car on n’invite pas des seumards qui ont perdu. Le monde médiatique et politique fonctionne ainsi. Une telle loi symbolique, même si elle suscite des débats médiatiques temporaires, finirait par marginaliser leurs discours et réduire leur visibilité.

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C’est pour cette raison que l’on mène la campagne Juge pas mon genre avec l’association Toutes des Femmes. Cette campagne vise à faire avancer les droits des personnes trans et à réduire les discriminations. Si le changement d’état civil est voté à l’Assemblée Nationale, les Républicains ne pourront plus sérieusement proposer des interdictions aux soins pour mineurs trans sans paraître ridicules.

Aussi, il faut se sortir de la tête l’idée que le changement d’état civil est une question de reconnaissance symbolique par l’État. Personne n’en a rien à foutre de ce qui est marqué sur sa carte d’identité pour leur confort psychologique et personnel. L’objectif est d’arrêter d’être discriminé très régulièrement dans l’accès au logement, à l’emploi, parce qu’on doit s’expliquer tout le temps, en fait.

Je pense sincèrement que la France finira par adopter ce changement, ne serait-ce que pour ne pas rester à la traîne. Même s’il y a un recul temporaire des droits, cela arrivera tôt ou tard, sauf en cas de régime fasciste où la démocratie elle-même disparaîtrait.

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“Le Lobby transphobe” écrit par Maud Royer et paru chez Textuel le 9 octobre 2024.