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Lionel Schilliger, l’homme serpent d’Auteuil
C’est un quartier qui, sur le papier, ne prête pas à l’aventure. Sur les trottoirs, pas une fiente de canidé. Les enfants donnant la main aux nounous, se promènent en jupes plissées pour les filles, en pantalons bien repassés pour les garçons. Chaque place a sa chose, chaque chose à sa place, quartier de l’Eglise d’Auteuil, dans le 16ème arrondissement de Paris.
À l’angle des rues Pierre Guérin et Leconte de Lisle, un tranquille cabinet vétérinaire. Difficile de croire que derrière cette porte dorment deux trois pythons et autres lézards. Pourtant c’est bien ici qu’exerce Lionel Schilliger, 53 ans, LE spécialiste des reptiles à Paris. Car dans cette profession relativement récente (le bien-être animal n’est entré que très récemment dans nos us et coutumes), les spécialités sont de mise : celui qui opère la cataracte d’un roquet ou celle qui stérilisera une perruche ne sont souvent pas les mêmes personnes (sauf dans les zoos, où il faut savoir tout faire).
Dans la salle d’attente du cabinet, nous sommes accueillis par des sacs de croquettes pour chats et chiens, jusque là tout va bien. Mais la sculpture d’un petit serpent lové dans une écorce, un livre sur les yeux de reptiles et une vidéo de crocodile nous rappellent rapidement où nous sommes.
Et puis le docteur ès serpents apparait, il est grand et un peu tête en l’air. Il oublié son café dans la machine à expresso, préfère l’y laisser plutôt que le boire froid. Comme les serpents, il cherche plutôt la chaleur, et ce n’est qu’un des points communs qu’il a avec les bestiaux. « Il m’est arrivé de souffrir d’ostéoporose comme les serpents, et quand j’étais tout petit, j’avais une dent surnuméraire qui poussait dans le palais, comme un crochet de serpent… Mais dommage pour moi, je n’avais pas de double pénis comme les lézards! ».
Une passion d’enfant
Bien avant d’être diplômé en herpétologie (c’est ainsi qu’on qualifie sa spécialité) et reconnu en France comme aux Etats-Unis, Lionel Schilliger est tombé, tout petit, en pâmoison avec les reptiles. « Je cherchais dans les mares et les flaques d’eau, les crapauds, les grenouilles et les tritons ». Alors qu’il a douze ou treize ans, un jour d’été, il tombe sur une couleuvre: coup de foudre au premier regard. Dès lors, il tient des carnets de ses rencontres avec les animaux à sang froid, y colle des mues de lézards. À la fin des années 80, il s’inscrit un peu par défaut dans une école vétérinaire et propose une étude sur les maladies parasitaires chez le serpent. Il créé l’étonnement dans la toute récente communauté des vétérinaires. « Cela faisait peut-être huit ans seulement que l’on soignait les chats, alors les serpents… ».
Très rapidement, Lionel Schilliger vient occuper une place vide, alors qu’en France aucun vétérinaire ne s’occupe de la communauté toute jeune des terriophiles, et finit par recevoir ses premiers appels d’amateurs mais aussi de gérants d’animalerie, de vétérinaires de zoos et même d’un gérant de parc à tortues, en Corse. « Elles mourraient les unes après les autres, nous avons mis en place un système sanitaire pour éviter les épidémies ». Depuis, des centaines de client.es se pressent dans son cabinet, venant parfois de très loin avec leur animal.
Le reptile n’est pas un animal de compagnie
Dans la salle de repos des reptiles, tout le monde dort sauf les tortues qui font du vacarme avec leurs griffes, animée par les lampes UV qui les réchauffent. Derrière les vitres, un python rouge, malade d’un œil, attend des jours meilleurs enroulé sur lui-même (« il est pas très sympa », nous dit-on). De l’autre côté du couloir, une femelle caméléon tout juste stérilisée escalade le bras du docteur.
Lionel Schilliger a vu sa clientèle se développer au cours des dernières années. « Il y a eu la folie des iguanes dans les années 2000, sans doute à cause du remake de Godzilla… Les gens ne se rendent pas compte qu’adulte ça fait 1m80, ça griffe, ça mange beaucoup ». Passionné par ces animaux « qui ont connu les dinosaures s’ils n’en sont pas eux-mêmes », le spécialiste français est fasciné par ces animaux qui n’ont pas besoin de nous comme il dit. « On dit, à tort, que ce sont des animaux de compagnie, voire des NAC (nouveaux animaux de compagnie) mais ça n’a rien à voir. Avec les animaux de compagnie comme les chats ou les chiens, il y a une affection à double sens. Le reptile n’en à rien à fiche de vous, c’est comme des poissons d’aquarium, c’est contemplatif. Leur psychologie est encore un mystère mais l’état des recherches montre un relationnel néant avec les humains : si le reptile apprécie votre caresse c’est parce que votre main est chaude. Si les tortues développent une certaine relation avec vous, c’est surtout à cause de la bouffe ».
La plupart des individus petits et gros qui lui arrivent ont des problèmes d’infections respiratoires (dûs à la vie en aquarium non chauffé), des maladies nutritionnelles (parce qu’ils ne se nourrissent pas eux-mêmes) et des problèmes d’ostéoporoses liées au manque d’UV et de vitamines D. « Mon constat est sans appel: ces animaux n’ont rien à faire en captivité ». À bon entendeur…