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L’instinct maternel : mythe ou réalité ?

Alors, ça existe ? Des expertes croient que oui. Mais aussi que non. (C’est compliqué.)

Par
Gabrielle Thibault-Delorme
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Peu de temps avant d’accoucher, l’automne dernier, une mère de trois enfants m’avait lancé :

« C’est OK et c’est normal, si tu ne l’aimes pas tout de suite. »

Avec le recul, je suis contente d’avoir eu cette phrase en tête lorsqu’à presque 42 semaines de grossesse et 17 heures de travail, on m’a placé un petit être visqueux et mauvâtre dans les bras. Je me souviens surtout de l’épuisement, mais ce ne fut pas le feu d’artifice qu’on m’avait vendu au départ.

C’est peut-être l’épuisement qui explique cette lassitude, encore plus parce qu’à l’hôpital, le repos des mères est loin d’être une priorité. De nos jours, oubliez la pouponnière. On laisse le bébé dans la chambre, les infirmières viennent nous réveiller toutes les trois heures et dans le meilleur des cas on reçoit une brochure sur la dépression post-partum avant de nous renvoyer à la maison.

Savoir que c’est OK, et que c’est normal, si on ne l’aime pas tout de suite, ça soulage. J’imagine qu’il fallait que l’adrénaline baisse avant que l’ocytocine puisse prendre le dessus (mon explication tout à fait non scientifique). Ça ne m’est pas tombée dessus comme une météorite : c’est plutôt une petite graine qui germe, pousse et fleurit.

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Réalité biologique ou lien émotionnel?

Mon histoire en est une parmi tant d’autres qui remettent en question le côté naturel et inné de l’amour et de l’instinct maternel. Le débat fait d’ailleurs encore rage. Est-ce que l’instinct maternel est une réalité biologique universelle ? Ou un lien émotionnel qui se développe avec le temps ?

Pour répondre à cette question, commençons d’abord par observer les animaux. Selon l’espèce, l’instinct de la mère de protéger ses petits serait plus ou moins fort. Apparemment, plus le petit serait vulnérable à la naissance, plus cet instinct protecteur serait présent. Les mammifères, qui donnent naissance à des petits vivants qu’ils vont ensuite allaiter, ont, en général, un attachement plus grand envers leur progéniture que les poissons ou les reptiles. Encore là, la règle n’est pas universelle… Les tortues de mer pondent dans le sable et abandonnent les petits, alors que les femelles crocodiles les transportent dans leur gueule pour les protéger.

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Comparés aux animaux, les bébés humains sont particulièrement vulnérables. Est-ce que cette vulnérabilité requiert un plus grand instinct protecteur ? On peut en déduire que oui. Laissé à lui-même, un bébé humain ne survit pas. On est loin du bébé lézard qui peut se sauver des prédateurs seulement quelques minutes après sa naissance.

Dans le cas des humains, on pourrait dire que la nécessité crée la responsabilité. Mais pourquoi parle-t-on d’instinct maternel plutôt que d’instinct parental ?

Le processus de la grossesse, de l’accouchement et de l’allaitement pourrait expliquer cette différence. Toute cette belle procession relâcherait un paquet d’hormones comme l’ocytocine, l’hormone de l’amour qui provoque notamment les contractions et la prolactine, qui stimule la lactation. Ce cocktail hormonal serait assez fort pour déclencher cet instinct protecteur chez les mères, qui la réveillerait au moindre son de son nourrisson, alors que son conjoint ou sa conjointe ronfle paisiblement à ses côtés. Des recherches auraient d’ailleurs démontré des différences entre le cerveau des hommes et celui des femmes dans leur réaction envers les pleurs des bébés.

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Est-ce assez pour conclure à la présence de l’instinct « maternel » ? Pas si vite.

Oui, l’ocytocine sécrétée durant l’accouchement aide à créer le lien entre la mère et l’enfant. Mais cette hormone est aussi relâchée lorsque les pères prennent leur enfant dans leur bras. En résumé, plus un père s’occupe de son enfant, plus il l’aime. Et il n’en faudrait pas tant pour que son niveau d’ocytocine soit égal à celui d’une femme.

Et c’est tant mieux, car si l’instinct maternel n’était qu’une réponse biologique des femmes, les enfants adoptés, ou élevés par un père célibataire ou un couple gay, seraient franchement défavorisés. D’un autre côté, toute mère n’est pas non plus une bonne mère. La biologie n’empêche malheureusement pas les cas de négligence et d’abus d’enfants.

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Le marketing de l’instinct

C’est là que la socialisation entre en jeu. Selon l’autrice Lily Sohn dans son ​​livre Mamas, petit précis de déconstruction de l’instinct maternel, l’instinct maternel serait beaucoup plus récent que ce qu’on pourrait croire. Au Moyen-Âge, on disait qu’il ne fallait pas s’attacher aux enfants, notamment car leur taux de mortalité était élevé. De plus, « le soin du tout-petit, que l’on attribue aujourd’hui à une même personne, bien souvent la mère, a été, pendant des siècles, divisé entre plusieurs personnes sans forcément de hiérarchie entre elles ».

Pour Lily Sohn, l’idée de l’instinct maternel aurait été mise de l’avant pour des raisons économiques, sociales et politiques. Cet « instinct » serait bien utile pour expliquer les inégalités sociales et pour inciter les femmes à rester à la maison. En prime, si les compétences maternelles des femmes sont « instinctives », à quoi bon impliquer les pères ? À quoi bon valoriser ces compétences si « ça vient tout seul » ?

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Pour ma part, je trouve rassurante cette idée selon laquelle l’instinct maternel ne serait pas si instinctif, finalement. On peut ainsi apprendre à être mère : on n’a pas à tout connaître de suite. Et on se sent surtout moins mal de déléguer cette tâche à notre partenaire ou à notre parent quand on a besoin de repos.