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Lingerie masculine : gagnerait-on à érotiser davantage le corps des hommes ?
Attention, attention : selon le site Women’s Wear Daily (WWD), une référence américaine en matière de mode, la lingerie masculine serait sur le point de connaître une ascension fulgurante.
Et on ne parle pas ici du traditionnel boxer, du caleçon de coton de base ni même du sulfureux jockstrap, mais bien de culottes en dentelle, de porte-jarretelles et de peignoirs en satin conçus pour les messieurs.
Relativement absents des étalages grand public jusqu’à tout récemment, les morceaux de lingerie pour hommes commencent en effet à être vendus par des marques de sous-vêtements féminins, à une époque où la diversité et l’inclusion font vertus cardinales.
Et si ces petits morceaux de dentelle et de satin étaient plus révélateurs qu’ils n’y paraissent à première vue ?
La tendance que personne n’avait vue venir
« La tendance est sur le point d’exploser »
« Nous sommes très surpris de l’intérêt grandissant pour notre nouvelle collection de lingerie pour hommes », révélait récemment Christine Pendarvis, coprésidente et chef de la mise en marché et du design chez Savage x Fenty, à WWD. « Lorsque nous avons lancé notre collection capsule pour hommes à l’occasion d’un défilé en 2020, nous nous sommes dit : “OK, nous verrons comment ça se passe. C’est une idée nouvelle et originale, quelque chose d’amusant à faire pour le show.” Mais les hommes ont bel et bien été au rendez-vous et se sont même procuré des morceaux. »
À l’instar de Savage X Fenty, une marque appartenant à nulle autre que Rihanna, des entreprises telles que ABG, Cosabella et Journelle se lancent elles aussi dans la lingerie pour hommes ou unisexe.
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« La tendance est sur le point d’exploser », croient fermement Guido Campello et Sapna Palep, le couple derrière Cosabella et Journelle, deux entreprises de lingerie de luxe.
De son côté, Sabrina Cherubini, vice-présidente senior chez Hanky Panky, une compagnie de sous-vêtements américaine fondée en 1977, souligne que bien que l’entreprise ne possède pas de collection entièrement masculine, plusieurs de ses clients sont pourtant des hommes.
« Beaucoup de nos clients sont des danseurs et se procurent nos g-strings, fait-elle valoir. Notre premier cache-sexe pour hommes a été conçu il y a dix ans. »
Sous les vêtements
« La lingerie érotique pour les hommes, ça ouvre l’imaginaire »
C’est l’animateur et chroniqueur Thomas Leblanc qui a attiré mon attention sur la tendance de la lingerie pour hommes. S’il souligne que la lingerie masculine est déjà bien présente dans des boutiques fréquentées par les membres de la communauté gaie, dont il fait partie, l’élargissement de la tendance vers le grand public est à ses yeux une nouvelle réjouissante. Selon lui, l’attention portée à ces petits morceaux de tissu, particulièrement hors de la communauté LGBTQ+, décloisonne les envies tout en diversifiant les modèles.
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« La lingerie plus érotique pour les hommes ouvre l’imaginaire », expliquait Thomas Leblanc en octobre dernier. « Comme on n’en voit jamais, ou très peu, on ne sait peut-être pas que ça nous attire. »
Non, mais c’est vrai, pourquoi les sous-vêtements sexy et révélateurs devraient-ils être l’apanage des femmes et des hommes queers ?
Le chroniqueur montréalais faisait également valoir qu’on assiste actuellement à une hausse de l’offre des vêtements et des sous-vêtements non genrés, une tendance bien en phase avec l’époque.
Le géant de la lingerie Victoria’s Secret lançait d’ailleurs une ligne gender neutral en avril dernier. La populaire entreprise nommait également l’acteur nippo-américain de 31 ans Darren Barnet comme son tout premier ambassadeur masculin. Un petit pas pour l’homme…
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« Je suis une personne assez ouverte d’esprit », déclarait la star de la série Never Have I Ever (Mes premières fois) à WWD. « Si je vois [un sous-vêtement], que ça a l’air confortable et que je le trouve cool, je le porterais sans hésiter. Les vêtements sont des vêtements. Ce que l’on porte ou ne porte pas est une construction sociale. En grandissant, je réalise que nous devrions tous et toutes porter ce qui nous fait nous sentir bien. »
Érotiser le corps des hommes
On ne va pas se le cacher, la tendance de la lingerie masculine provoque de vives réactions, tant chez les femmes que chez les hommes.
Certains hommes n’entrevoient pas du tout la possibilité de porter les peignoirs de satin ni les petites culottes de dentelle proposées par Savage X Fenty ou Journelle. De leur côté, certaines femmes ont du mal à percevoir le potentiel érotique de la dentelle, du laçage ou du satin portés par un homme.
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« C’est souvent ce qui se produit avec les nouvelles tendances. Il faut s’habituer », croit Sapna Palep, de chez Cosabella et Journelle. « Mais nous ne voulons pas reculer en termes d’inclusivité. Nous sommes des pionniers dans le domaine [de la lingerie masculine] et nous savons qu’il y a un peu de réticence. Mais nous croyons que la tendance connaît un momentum. »
« Pour faire exploser les rôles étroits dans la séduction et le désir hétérosexuels, il faudrait ré-érotiser les hommes »
D’où vient cette réticence ? Toute cette réflexion me fait penser à des propos tenus par Maïa Mazaurette, autrice, artiste et journaliste spécialisée en sexualité, lors de son passage au podcast Les couilles sur la table, animé par Victoire Tuaillon. Selon Maïa Mazaurette, « pour faire exploser les rôles étroits dans la séduction et le désir hétérosexuels, il faudrait ré-érotiser les hommes ». Quand on y pense un instant, on réalise que si la représentation érotique des femmes est ominiprésente dans nos espaces publics et dans nos imaginaires, c’est assez peu le cas pour les hommes.
En règle générale, les femmes disposent de beaucoup plus d’options vestimentaires quand elles veulent se sentir sexy et désirables : culottes de dentelle, porte-jarretelles, soutiens-gorge transparents, bas collants affriolants, name it. Bien sûr, pas besoin de se tourner vers tout ça pour se sentir sexy, mais les options sont là.
De leur côté, les hommes hétérosexuels ont assez peu de choix vers lesquels se tourner et s’ils osent, il seront parfois perçus comme étant moins virils. Comme si prendre soin de son corps, l’habiller, le maquiller, le parfumer était réservé aux femmes et par extension, aux hommes homosexuels. C’est comme si, tel que l’écrivait Virginie Despentes dans King Kong Théorie, « les hommes n’[avaient] pas de corps ».
Ainsi, Maïa Mazaurette se pose une question qui me taraude depuis l’écoute de l’épisode des Couilles sur la table : « Quel lien entretient cette charge esthétique avec la répartition traditionnelle des rôles de séduction, où les hommes sont des sujets de désir et les femmes, des objets de désir ? »
Pour moi, c’est toute une réflexion sur l’érotisation du corps des hommes et des rapports de pouvoir patriarcaux qui se déploie à travers la commercialisation de la lingerie masculine.
Le petit bout de dentelle qui cache la forêt, quoi !