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L’importance de défendre l’accès aux livres

On est à l'abri de bien des choses, mais pas de la censure.

Par
Benoît Lelièvre
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Cette semaine, on célèbre la Semaine des livres interdits un peu partout sur internet. À ne pas confondre avec la Semaine de la liberté d’expression qui se tient chaque année en février. Deux événements différents avec un seul et unique but : protéger la liberté intellectuelle et l’accès aux livres contre la censure.

Basée aux États-Unis, la Semaine des livres interdits est célébrée un peu partout dans le monde grâce à la magie des communautés en ligne.

Aucun pays n’est pas protégé des tentatives de censure et de restrictions sur les livres. On bannit des livres pour toutes sortes de raisons. Des deux côtés du spectre idéologique. Pourquoi donc, hein ? Est-ce que c’est même possible de bannir « éthiquement » un livre ? Où est-ce qu’on trace la ligne ?

La liberté intellectuelle et le métier de bibliothécaire

« Le coeur du débat s’ancre autour de l’offre des bibliothèques scolaires », m’explique Deborah Caldwell-Stone, directrice du bureau de la liberté intellectuelle de l’Association des bibliothécaires d’Amérique, au bout du fil. « La responsabilité d’une bibliothèque, c’est de répondre aux besoins de sa communauté et la communauté d’une bibliothèque scolaire est par définition très diversifiée. Depuis quelques années, on voit beaucoup de livres être mis en examen et même bannis parce qu’ils parlent de réalité de communautés historiquement marginalisées comme les communautés noires ou LGBTQ+. Brimer la liberté intellectuelle de quelqu’un, c’est ça. C’est l’empêcher de s’informer sur ce qu’il vit parce que ça nous fait peur ou ça va à l’encontre de nos valeurs. »

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Mme Caldwell-Stone s’empresse de nuancer son propos. Elle mentionne que ce ne sont pas toutes les bibliothèques qui doivent tenir une offre diversifiée; que les besoins particuliers de leur communauté sont la priorité. Elle me donne l’exemple d’une petite bibliothèque en Alaska qui possède la plus grande collection d’ouvrages au monde à propos des explosifs. Cette ville est majoritairement composée de mineurs et ces ouvrages ont un rôle important à jouer dans une optique de santé-sécurité au travail.

« Je ne dis pas que Mein Kampf doit être promu dans la culture ou même tenu sur les rayons d’une bibliothèque, mais il devrait quand même être accessible aux endroits appropriés. »

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C’est un excellent exemple, mais la plupart des ouvrages bannis ne sont pas des ouvrages spécialisés. Ce sont des romans ou des documents historiques. Je donne à Mme Caldwell-Stone l’exemple de Mein Kampf, le fameux traité de 700 pages d’Adolf Hitler qui fait office de patate chaude dans les bibliothèques du monde depuis sa parution. Si vous voulez parler de censure dans une fête de famille et créer une dispute, c’est un excellent exemple à mettre sur la table. *rire diabolique*

« Clairement, aucune librairie scolaire ne devrait tenir un exemplaire de Mein Kampf. Est-ce qu’on doit le faire disparaître de l’histoire pour autant ? Non. C’est un document qui témoigne d’un passé à ne pas répéter. Il devrait être accessible dans les bibliothèques de recherches et dans les endroits où on étudie l’histoire, comme à l’université. Les gens qui sont qualifiés pour comprendre et contextualiser son contenu sont en droit de pouvoir y accéder. Même ceux qui ne le sont pas et qui y sont juste intéressés. C’est leur droit de pouvoir y demander accès », m’explique avec aplomb la dame qui s’est visiblement fait poser la question plusieurs fois auparavant.

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« Je ne dis pas que Mein Kampf doit être promu dans la culture ou même tenu sur les rayons d’une bibliothèque, mais il devrait quand même être accessible aux endroits appropriés », conclut-elle.

« Les livres ne causent pas des crises d’identité de genre »

Deborah Caldwell-Stone ne peut malheureusement pas m’éclairer sur la teneur légale de l’interdiction de livres au nord de la frontière, parce qu’aux États-Unis, c’est une affaire de constitution. Le premier amendement qui protège la liberté d’expression mentionne clairement les formes de discours qui ne sont pas protégées : diffamation, menaces, pornographie infantile, incitation à commettre des crimes et – ce qui pose problème dans le cas du bannissement de livres – l’obscénité.

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« C’est un terme qui tend malheureusement à l’interprétation, mentionne l’experte. Des problématiques comme l’identité de genre, c’est pertinent. Ce n’est pas de l’obscénité. Ça concerne certaines personnes et ça en concerne moins d’autres. Ce n’est pas parce qu’on l’enlève des rayons que ça va magiquement disparaître. Les livres ne causent pas des crises d’identité de genre. Ils les révèlent et leur donnent des balises. Enlever l’information à ce sujet, c’est enlever le droit à quelqu’un d’évoluer dans son parcours. »

« Les livres ne causent pas des crises d’identité de genre. Ils les révèlent et leur donnent des balises. Enlever l’information à ce sujet, c’est enlever le droit à quelqu’un d’évoluer dans son parcours. »

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Alors que l’on discute de l’enjeu des bédés détruites en Ontario, Mme Caldwell-Stone nuance un peu son approche. Elle n’encense pas le bannissement de livres venant de la gauche, mais elle est plus sensible aux raisons qui le motive et admet que quelque chose doit être fait à propos du traitement de ce genre d’ouvrage malgré tout. « J’ai entendu parler de cet événement, oui. C’est fâcheux que ça se soit passé de la sorte parce que oui, il y avait d’autres options avant d’en arriver là. »

« Si on efface les erreurs du passé, on est condamnés à les répéter, poursuit-elle. Je ne dis pas de mettre ces bédés dans les mains des enfants. Ils développeront clairement des biais cognitifs si on fait ça. On a un peu le même problème de notre côté avec les ouvrages qui utilisent des épithètes raciales, comme To Kill a Mockingbird. Mon avis sur la question, c’est qu’on les met en rayon et on les laisse là. Quelqu’un peut faire le choix de les lire, mais on ne les met pas dans les mains de personne. C’est le boulot des bibliothécaires de conseiller leur communauté. Ils sont formés pour ça. Ce sont des professionnels. »

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Avant de partir, Deborah Caldwell-Stone admet que c’est une solution imparfaite et que le débat est amené à évoluer au fil du temps, mais insiste pour dire qu’elle est farouchement contre la destruction et l’interdiction de livres. Le droit de consulter ces ouvrages est sacré pour elle.

Ce sont-là d’excellentes balises pour encadrer le discours. Il y a une énorme nuance entre bannir un ouvrage, le détruire ou simplement le retirer du cursus universitaire parce que ni son propos, ni son langage ne sont encore pertinents.

Le gouffre est large entre le fait de ne plus promouvoir un ouvrage et d’en retirer le droit de consultation. L’accès à l’information, c’est sacré. La Semaine des livres interdits est peut-être à la base un projet américain, mais la philosophie de ses organisateurs et organisatrices devrait servir d’exemple dans un débat qui sévit partout dans le monde.