L’IA va-t-elle tuer les artistes ?

« Nous avons l’impression de voir un tsunami s’abattre sur les métiers de la création. L’IA crée des images, écrit des scénarios et maintenant, elle lit des livres à notre place… » Spécialisée dans le doublage, Odile Cohen a confié sans inquiétude au journal Libération.

L’actrice est la voix française de Renée Zellweger, d’Uma Thurman et d’Andie MacDowell. Elle enregistre aussi des livres audio, ce qui lui prend de longues heures de travail… contrairement à DeepZen, une IA qui peut faire son boulot plus vite, pour moins cher et qui peut même cloner le timbre de voix d’artistes VO.

Mais la comédienne de doublage est loin, très loiiiiin d’être la seule artiste à s’inquiéter de la révolution portée par ChatGPT et cie.

Ce jeudi, une “guilde d’auteurs” – dont le papa de Game of Thrones George R. R. Martin – a décidé d’attaquer OpenAI et ChatGPT en justice. Pour ce collectif, leurs livres ont été siphonnés par l’IA illégalement afin de pouvoir développer son algorithme.

« Il est impératif que nous arrêtions ce vol, sinon nous détruirons notre incroyable culture littéraire, qui nourrit de nombreuses autres industries créatives », explique Mary Rasenberger, leader de la Authors Guild.

En mars dernier, Greg Brockman, co-fondateur d’OpenAI, déclarait lors du forum SXSW : « Peut-être que les gens sont toujours en colère pour la dernière saison de Game of Thrones. Imagine si tu pouvais demander à ton ia de créer une nouvelle fin différente. »

Cet été, le développeur Liam Swayne a ainsi relevé le défi d’écrire la suite de la saga de George R. R. Martin. Résultat : aucun personnage principal n’a été tué.

« Ce projet m’a donné l’assurance que l’IA ne remplacera pas de sitôt des œuvres littéraires uniques. […] À ce stade, l’IA ne peut faire que ce qui est fait le plus couramment, donc elle a du mal à créer des histoires qui ne sont pas conformes », a souligné le non-auteur, interviewé par IGN.

Médiatisée et devenue mainstream, l’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres. Notamment celles des scénaristes d’Hollywood, en grève depuis plus de 100 jours pour réclamer davantage de considération. Est-ce que leur profession est menacé par les algorithmes ?

Une crainte justifiée si on écoute le producteur Todd Lieberman pour qui l’IA pourra être utilisée du scénario au story-board en passant par le montage. « Dans les trois prochaines années, vous verrez un film écrit par l’IA, (…) un bon film », a-t-il annoncé, telle une prophétie.

Malgré tout, la principale revendication de la Writers Guild of America reste principalement la rémunération des scénaristes à l’ère du streaming. Mais l’intelligence artificielle reste quand même un sujet, entre outil facilitant la créativité et véritable menace.

« Je crains qu’ils ne délèguent de plus en plus de choses à l’intelligence artificielle », s’inquiète une scénariste, interrogée par France 24.

ChatGPT n’est pas la seule IA à être devant les tribunaux. En janvier, trois illustratrices ont déposé plainte contre Stability AI, Midjourney et Devient Art.

L’une des plaignantes, Sarah Andersen, raconte ainsi comment elle a vu ses oeuvres récupérées par l’extrême-droite puis détournées en quelques secondes “grâce” à l’IA.

« Je me suis sentie violée. Ma façon de dessiner est l’aboutissement complexe de mon éducation, des BDs dévorées quand j’étais petite et des nombreux choix qui font ce que je suis aujourd’hui », a écrit l’artiste dans une tribune publiée par le New York Times.

Stability AI est aussi dans le viseur de Getty Images qui a décidé de porter l’affaire en justice. Stable Diffusion aurait largement puisé dans le catalogue de l’agence de photo pour entraîner son IA.

D’ailleurs, l’utilisation de photos créées par IA secoue aussi la presse à l’heure où les fake news peuvent être produites en un clic.

Dans le milieu de la musique, l’IA a amusé le public, mais un peu moins l’industrie lorsque le son viral Heart on My Sleeve, fausse collab’ entre Drake et the Weeknd a cumulé les millions d’écoutes jusqu’à toquer à la porte des Grammy’s.

https://www.youtube.com/watch?v=OI5k6bdEQ4I

« Le son est absolument éligible pour un Grammy car il a été écrit par un humain », a déclaré à la presse Harvey Mason Jr., PDG de la Recording Academy, en charge des Grammy Awards.

Sa déclaration a créé un tollé dans les maisons de disques. Le producteur de disque est depuis revenu sur ses propos : « La voix n’a pas été obtenue légalement, elle n’a pas été autorisée par le label ou les artistes et la chanson n’est pas disponible dans le commerce et, pour cette raison, elle n’est pas éligible. »

De notre côté, c’est le son Saiyan de Heuss l’Enfoiré et Gazo qui a explosé les compteurs cet été avec 24 millions de vues sur YouTube. Un véritable hit de l’été. Mais c’est la reprise du son par une IA calquée sur la voix d’Angèle qui a véritablement percé sur les réseaux sociaux, jusqu’à perturber la chanteuse belge… qui a ensuite chanté cette cover à la Fête de l’Huma.

Pour arriver à ce résultat, le beatmaker Lnkhey a dû produire une nouvelle instru adaptée à Angèle, ré-interpréter la musique avant de passer le tout à l’IA : une véritable production artistique non rémunérée puisqu’il n’a pas mis la chanson sur les plateformes.

Que ce soit dans la musique, le cinéma ou la littérature, l’IA reste assez loin du niveau des artistes. Mais tout le monde s’accorde à dire que la technologie n’en est encore qu’à ses débuts.

En revanche, la menace est réelle dans le milieu des affaires. L’entreprise de veille médiatique Onclusive a annoncé le 5 septembre dernier vouloir remplacer 50% de ses effectifs par une IA. 217 personnes devraient ainsi perdre leur travail dans les mois à venir.

« Il faut se préparer à ce type de bouleversements », a réagi le ministre délégué chargé du Numérique, Jean-Noël Barrot. Le message est passé.