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L’histoire incroyable de Sélim : « On va avoir un problème si tu n’as pas de feu, espèce de sale Arabe ! »

Un mariage, et toute une histoire.

Par
Anne-Laure Mignon
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Depuis cet été, un vendredi sur deux, URBANIA vous propose un rendez-vous de témoignages qui retrace des histoires incroyables. Des moments de vie en voyage, des naissances, des ruptures, des rencontres improbables, des défis insolites… Le genre de série que l’on a envie de scroller sur son téléphone sur la plage, aux toilettes ou même dans le métro. D’ailleurs, si vous aussi avez vécu une histoire incroyable et voulez la partager avec nous, n’hésitez pas à nous écrire à [email protected] (à l’attention d’Anne-Laure Mignon). En attendant, c’est Sélim*, 27 ans, qui raconte…

C’était en septembre 2021. Je suis invité au mariage d’une de mes meilleures potes. Je suis super excité, super content pour elle. En plus, j’adore son mec, une crème absolue. Bref bonheur pour eux, bonheur d’être de la partie. Même si, en recevant le carton d’invitation, je ne peux m’empêcher de ressentir une micro appréhension. Son mec est issu d’une famille assez bourgeoise, catholique traditionaliste et moi, non seulement j’ai été éduqué dans une famille musulmane mais en plus je suis gay. Petite appréhension, donc. J’ai toujours un peu de mal à savoir de quel côté la balle va tomber.

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Le mariage se déroule aux alentours de Nantes dans les Pays de la Loire. J’ai prévu de m’y rendre en voiture. Jusqu’ici tout va bien. Je me propose même d’accompagner un ami du marié, qui a posté un message sur le groupe Facebook de la cérémonie mentionnant qu’il cherchait un covoit pour se rendre sur place. On a échangé deux trois messages, convenu d’un lieu de rendez-vous et puis zou, 9 heures tapantes, on se retrouve pour faire la route ensemble.

« Alors, comment va mon chauffeur Uber ? »

Au départ, le mec est sympa. On échange quelques banalités sur la météo et sur notre vie en général. À base de « je crois que l’on va avoir beau temps ce week-end », et « qu’est-ce que tu fais dans la vie ? ». Une discussion plutôt normale. Rien à signaler. Enfin si, quand même, assez rapidement on en vient au fait que le mec connaît – et apprécie fortement qui plus est -, quelques personnes qui travaillent avec moi et qui ont la réputation d’être des droitards assez peu ouverts. Des mecs de la manif pour tous, racistes avec ça. Sympa.

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Bref, de toute façon, sauvé par le gong, 11h, on arrive à l’église. On se sépare. Chacun rejoint son groupe d’amis et la messe commence. Je suis en plein dans Rendez-vous en terre inconnue, mais tout va bien. Le lieu est somptueux, les mariés éblouissants, les invités souriants. La chorale est incroyable, l’émotion palpable, on passe tous un excellent moment. Et puis la cérémonie religieuse se termine et tout le cortège se dirige vers le lieu dans lequel se prolonge la petite sauterie. Un château magnifique avec un grand parc, qui appartient à un des invités. Là on déjeune, on boit des coups, on se prélasse au soleil… C’est royal ! Bon, bien sûr, au fond de moi, j’ai toujours cette petite appréhension, mais pour l’instant tout se passe bien, je baisse même un peu la garde.

15 h, je vais pour prendre un café au buffet. Dans la queue, je retrouve le mec que j’ai emmené ce matin. Complètement beurré, il se jette autour de mon cou – comme si on avait élevé les cochons ensemble – et me lance un : « Alors, comment va mon chauffeur Uber ? ». Aïe ! Mi-surpris, mi-choqué, je grommèle juste dans ma barbe un vieux « euh pardon mais pas vraiment » en me débarrassant de son bras. Je me sers mon café en deux secondes et je déguerpis fissa pour rejoindre mon groupe de potes.

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« Comment il s’appelle, le petit copain arabe de la mariée ? »

En chemin, je croise un ancien camarade de prépa, que je n’ai pas vu depuis des années. Ça me fait super plaisir de le voir, il me présente sa femme – un coeur – et puis on discute de sa vie, de la mienne, du temps qui passe et des oiseaux qui chantent… quand on se fait interrompre par une quinquagénaire euphorique : « Je te cherchais partouuuut, je demandais à tout le monde, “mais comment il s’appelle, le petit copain arabe de la mariée ?” ». D’accord. Je mets quelques minutes à me resituer la personne et puis ça me revient. C’est la meilleure pote de la mère de la mariée. Une dame que je croisais souvent quand j’étais plus jeune et qui par ailleurs, est très sympathique. « Ah oui c’est bien ça, c’est Sélim ton prénom. Ça doit être hyper courant non ? Parce que tout à l’heure quand j’avais un doute, j’ai demandé à une amie de me réciter des prénoms arabes et c’est le troisième qu’elle m’a sorti ». Fou rire avec mon camarade de prépa. Pliée en deux, sa femme manque carrément de s’étouffer dans son café. Je réalise : je suis l’Arabe de service. Le seul présent au mariage. Mais je souris. En réalité, je sais que cette femme est adorable, simplement assez indélicate. Comme son mari d’ailleurs, qui ne manque pas d’en rajouter une couche : « Mais oui bien sûr Sélim ! Tu étais beaucoup plus gros non ? ». Puis trois minutes après : « Tu n’avais pas des problèmes de famille aussi ? ». Monsieur et madame Machin, je suis ravi de vous revoir.

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Après cet épisode, la soirée commence. Sous d’heureux auspices : on continue à s’en mettre plein la panse, on picole (avec modération pour ma part, puisque je conduis), on écoute de la bonne musique, on rit, on danse, on fume. Et puis les heures défilent. Minuit, une heure, deux heures, trois heures, quatre heures… Mon appréhension se dissipe peu à peu. Après tout, il est quatre heures du matin et personne n’est – vraiment – venu m’emmerder au sujet de mes origines ou de mon orientation sexuelle. Je suis agréablement surpris.

« tu comprends, on ne peut pas être catholique et raciste »

À 5h, on est plus qu’une dizaine sur la piste de danse, les enceintes diffusent désormais pour la troisième fois « Tomber la chemise », tout le monde se balade à moitié à poil, le sol colle… La mariée est ivre morte, le bas de sa robe est noir et il lui manque une bretelle. Il est l’heure d’aller se coucher. Je me dirige vers ma voiture. Et je tilt : « Mince, le sac du mec de ce matin est dans mon coffre ».

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Par chance, il est toujours sur le dancefloor. Il m’a l’air rond comme une queue de pelle. De loin, je l’observe en train d’essayer de toucher ses pieds avec ses mains. Du pur génie ! Mais bref, je me dirige donc vers lui. « Excuse-moi machine, j’ai ton sac dans ma voiture, est-ce que tu veux que je… ». Je n’ai pas le temps de finir qu’il me coupe la parole : « T’aurais du feu steuplait ? ». « Ah, nan j’ai pas désolé ». Là-dessus, monsieur me plante son index dans le thorax, me regarde, titube à moitié et me sort : « On va avoir un problème si tu n’as pas de feu, espèce de sale Arabe ! ». Espèce de sale Arabe. Je sens mon cœur se serrer et descendre d’un coup dans mon estomac. Je suis estomaqué, pris de court. Espèce de sale Arabe. Alors celle-là, je ne l’avais pas vu venir. Je ne sais même pas quoi répondre. Je fais un pas en arrière. « Pardon ? ». « Non mais c’était pour rire ». Je tourne les talons et je me casse. À tout berzingue.

Il me rattrape en courant alors que j’arrive à ma voiture et commence à me tenir la jambe : « Je ne veux pas qu’on se quitte fâchés et je ne veux pas te faire de peine ». Oui, bah c’est plutôt loupé mon coco, le mal est fait. Et je n’ai, mais alors aucune envie d’y passer la nuit. Sauf que le type est lancé, je n’arrive plus à l’arrêter. C’est un sketch. J’ai le droit au top 100 des excuses les plus bidons. En version yaourt, parce que le mec est complètement cuit et ne sait plus articuler. Il me sort la carte de l’humour, puis celle de « l’ami noir » (le grand-père de sa meuf), en passant par la religion catholique « tu comprends, on ne peut pas être catholique et raciste ». Ensuite j’ai le droit à un petit mot sur mon job « quelqu’un qui bosse autant » – quel est le rapport, si j’étais au chômage, ce serait OK pour toi d’être raciste ? – et il finit avec le fait que j’ai gentiment accepté de le déposer au mariage – pareil, pour le rapport, on repassera. Je n’en peux plus, j’ai juste envie qu’il se casse. Mes potes, qui attendent dans ma voiture et qui ne comprennent absolument rien à la situation, ont également envie d’aller se coucher. Donc je finis par lui dire : « C’est bon machine, je ne suis pas fâché ». Il me fait un genre d’accolade – dont je me serais bien passé – et je me casse. Je précise : sans lui rouler dessus. Même si pendant une seconde ça m’a traversé l’esprit…

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« On aurait dû te prévenir, mais en plus, il est homophobe »

Le lendemain, brunch post-mariage. Monsieur n’est pas encore levé. Je raconte cette fin de soirée lunaire à mes potes, qui, scandalisés m’informent : « On aurait dû te prévenir, mais en plus, il est homophobe ». Super ! C’est de mal en pis. Décidément, une perle cet homme.

16h, je suis en train d’aider à ranger quand monsieur daigne émerger et vient saluer l’assemblée. Y compris moi. Comme si de rien n’était, il me tombe dans les bras et me gratifie d’un « Salut Sélim ! ». Je capte direct : de toute évidence, il a oublié… Pas moi. J’ai très envie de lui rentrer dedans mais je m’interdis de faire une scène au mariage d’une de mes meilleures potes… Je bats donc en retraite et je ne dis rien. Rien, jusqu’à ce que deux jours plus tard, toujours sous le choc de la violence des propos du type, je décide de lui envoyer un message assassin dans lequel je lui suggère : soit de « s’éduquer un peu – vraiment, les bases devraient suffire -, pour tâcher de comprendre pourquoi non “espèce de sale arabe” n’est pas une blague, mais bien une insulte raciste », soit, si réellement il trouve ça normal, d’assumer son racisme face à la prochaine personne qu’il insultera et d’au moins lui épargner sa « logorrhée ». Après, ça, je me suis senti beaucoup mieux.

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