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L’histoire improbable de Théophile : entre morsure de chien, évasion de l’hôpital et accident de plongée
L’été est fini mais la série continue. Un vendredi sur deux, Urbania vous propose un rendez-vous de témoignages qui retrace des histoires incroyables. Des moments de vie en voyage, des naissances, des ruptures, des rencontres improbables, des défis insolites… Le genre de série que l’on a envie de scroller sur son téléphone à̶ ̶l̶a̶ ̶p̶l̶a̶g̶e̶ partout. Aujourd’hui, Théophile, 26 ans, raconte…
C’était en février 2017. Après avoir pas mal baroudé et travaillé aux quatre coins du globe, j’atterris un peu par hasard au Nicaragua avec un pote. Là, on est tous les deux embauchés quelques mois comme professeurs de plongée sur l’île de Little Corn Island. Notre quotidien : accompagner, informer et enseigner la plongée dans un petit paradis au cœur des Caraïbes, où les eaux sont turquoises et translucides et où les plages sont de grandes étendues de sable blanc. Un bonheur. En avril, notre contrat se termine. Une connaissance, un pêcheur de langoustes, nous propose alors de le rejoindre sur une petite île voisine et de lui donner un coup de main pour la saison. Avides d’aventures, on ne réfléchit même pas une seconde : on fonce !
« On nous annonce qu’on va sûrement devoir lui amputer la jambe »
On se laisse juste le temps de terminer notre saison, de rassembler nos affaires et de partir. Sauf qu’à quelques semaines de notre départ, mon pote se fait mordre la jambe par un chien. En gros, c’était un peu notre animal de compagnie. Depuis notre arrivée, il nous suivait partout. Et là, au détour d’une balade tous les trois, on s’est retrouvé face à une bande de chiens errants. Les chiens se sont battus. Mon pote est intervenu. Il s’est fait mordre. Merde !
Surtout qu’on est un peu au milieu de nulle part. Sur l’île, il n’y a pas d’hôpital. On nettoie donc la plaie comme on peut avec les moyens du bord, en se disant : « attendons de voir comment ça évolue ». Et puis, nickel, au fil des jours, sa plaie à l’air d’aller mieux. On se dit que l’affaire est réglée et on retourne à nos moutons, à savoir, préparer nos bagages pour notre futur job de pêcheur. Sauf que finalement, plus les jours passent, plus mon pote se plaint de douleurs. La blessure, elle, a l’air de bien cicatriser, mais, à l’entendre, il souffre le martyre. Et comme il n’est pas du genre à faire semblant, on décide de prendre un billet pour Los Angeles (où ils étaient avant de débarquer au Nicaragua, NDLR), direction l’hôpital. Là-bas, on nous annonce que son mollet s’est gravement infecté, que l’infection s’est étendue à la cuisse et qu’on va sûrement devoir lui amputer la jambe. WHAT ?
On reste une semaine à l’hôpital. À espérer. À espérer. À espérer. Je dors à ses côtés. Les médecins s’occupent de lui jour et nuit. Ils le soignent à merveille. Ils l’opèrent à plusieurs reprises et réussissent même finalement à sauver sa jambe. Un miracle ! Mais bon, ce qu’on ne leur avait pas vraiment dit, c’est que son assurance venait d’expirer et qu’on avait pas du tout les moyens de régler la note – astronomique – de ses frais d’hospitalisation. Quand on comprend que sa date de sortie approche et que l’établissement va finir par nous demander de rendre des comptes, on s’échappe donc de l’hôpital. L’évasion est simple : je le mets dans un fauteuil roulant et nous avançons en direction du parking où des amis nous attendent en voiture. Ni vu ni connu, je t’embrouille.
«Ils n’ont pas du tout l’air de vouloir de ma présence à bord»
À la suite de cet épisode, nous nous séparons. Lui, encore en convalescence, prend un avion et rentre en France. De mon côté, je décide de poursuivre l’aventure.
Je reprends donc l’avion pour Managua, la capitale du Nicaragua. Et là, le périple commence. Je traverse le pays de long en large pendant deux jours pour trouver le village dont m’avait parlé mon contact. Depuis ce point de ralliement, je suis censé rejoindre une grande plage où plusieurs bateaux partent régulièrement en direction de l’île des pêcheurs. Bingo, quand j’arrive, je tombe justement sur une embarcation sur le départ. Une chaloupe en bois qui transporte une dizaine d’hommes. Aucun d’eux ne parle ni anglais, ni français, ni espagnol et ils n’ont pas du tout l’air de vouloir de ma présence à bord. Mais je ne me laisse pas démonter, je feins de ne pas comprendre et je monte. Je sais que je suis au bon endroit. Puis finalement, une fois sur la route, ils finissent par m’adopter. Ils me font même picoler leur alcool artisanal de noix de coco.
Après quelques heures de navigation, où l’on se bat un peu avec les vagues et le vent pour rester à flot, on arrive enfin sur une des îles de l’archipel. Un endroit perdu sur la carte. Une parcelle de terre minuscule d’environ 60 mètres de long, 10 mètres de large. C’est à peine plus grand qu’une piscine olympique. Sur place, pas grand-chose. Quelques cases en tôle complètement rouillées, un arbre, deux trois rafiots amarrés mais aussi et surtout une centaine de pêcheurs entassés les uns sur les autres. Parmi eux, je retrouve mon contact, qui, bienheureux d’avoir recruté un petit nouveau, me prend sous son aile et m’intègre au reste du groupe. Mon surnom : ce sera The Whiteman – rapport à ma couleur de peau. Les présentations faites, j’installe mon hamac sous un toit en tôle et je me couche. Demain, nous devons décoller aux aurores.
« Je crois qu’elle est interdite à certains endroits parce que trop dangereuse »
6h, départ direction la pleine mer. On doit être une vingtaine à bord de notre embarcation de fortune. Un bateau à moteur en piteux état. Comme le reste du matériel, d’ailleurs. Des équipements ancestraux, qui doivent avoir bien 30 ou 40 ans. Je me rends compte également qu’ils n’ont en réalité aucune connaissance de la plongée. Aucune connaissance des règles de sécurité qui encadrent normalement la pratique. Je reste un peu bouche-bée. Je comprends mieux pourquoi la moitié de l’équipage est paralysé. Ils enchaînent les accidents de décompression.
Au bout d’une quinzaine de minutes de voyage, les premiers pêcheurs plongent. Ça va bientôt être mon tour. J’enfile donc mon équipement. Enfin, équipement, c’est vite dit. Le plus gros du matériel est un long tube à attacher à sa taille – qui ressemble à un genre de tuyau d’arrosage – avec un embout pour respirer. Tout ça, est relié à un compresseur thermique qui reste sur le bateau (en gros, c’est la machine, qui va permettre d’avoir de l’air sous l’eau). Bref, encore une fois, on est sur la relique des techniques de plongée – d’ailleurs je crois qu’elle est interdite à certains endroits dans le monde parce que trop dangereuse -.
«Je me retrouve sans oxygène, à 25 mètres de profondeur»
Mon tour arrive. Je plonge. Je descends. Tant bien que mal. En bas, la visibilité est super mauvaise. Je ne vois rien du tout. Je continue à descendre. J’arrive à une vingtaine de mètres de profondeur. Toujours aucune visibilité. En plus, je me fais à moitié emporter par le courant. Mon masque a pris l’eau. C’est la cata. Et ça ne s’arrange pas. Je ne sais même plus où est la surface. Ah oui, et les langoustes sont super rapides, impossible de les attraper – quand j’arrive ne serait-ce qu’à les repérer, et c’est rare, tant l’eau est opaque. C’est de loin la pire plongée de ma vie. Et pour couronner le tout, d’un coup, mon détendeur se bloque. Je me retrouve sans oxygène, à 25 mètres de profondeur. J’inspire, j’inspire, j’inspire fort dans mon tuyau, mais rien. Le temps s’arrête. Mon sang ne fait qu’un tour : qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je risque la paralysie en remontant à la surface d’un coup ? Est-ce que je tente de remonter en respectant les paliers de sécurité ? Est-ce que je reste là à essayer de chercher une solution ? Je réfléchis à peine une fraction de seconde et je remonte. Mon cœur bat la chamade. 20 mètres. 15 mètres. 10 mètres. J’aperçois la surface. 7 mètres. 5 mètres. 3 mètres. Je suis en grande difficulté. 1 mètre. Eureka, c’est bon ! J’arrive à la surface et je prends la plus grande bouffée d’air frais jamais respirée. Je nage jusqu’au bateau encore complètement sous le choc. Je monte à bord. Je m’empresse de vérifier que je vais bien. C’est le cas. Ouf ! Je l’ai échappé belle. Toujours totalement paniqué, je m’empresse de tout raconter au reste du groupe de pêcheurs. Pas surpris pour deux sous, ils me répondent en chœur : « Ça ? Bah quoi ? C’est normal non ? ».
Si vous aussi, vous avez vécu une histoire incroyable et voulez la partager avec nous, n’hésitez pas à nous écrire à [email protected] (à l’attention d’Anne-Laure Mignon).