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L’histoire improbable de Stan : « Pendant tout le trajet, il doit protéger la chair de son menton, qui pend, avec un mouchoir »

Un voyage, et toute une histoire.

Par
Anne-Laure Mignon
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Tous les vendredis de cet été, URBANIA vous propose une série de témoignages qui retrace des moments de vie en voyage (des naissances, des ruptures, des rencontres incroyables, des défis improbables, des histoires insolites…). Le genre de série que l’on a envie de scroller sur son téléphone à la plage. Aujourd’hui, Stan, 28 ans, raconte…

C’était en février 2020. Avec deux amis, avec qui je partage la passion du vélo et celle du voyage, nous avions pour projet de rallier Pékin à vélo depuis Paris en suivant la route de la Soie. Le tout, en 9 mois.

À ce moment-là, on est aux prémices du Covid. Enfin, on entend vite fait parler d’un virus qui sévit à Wuhan, mais cela nous fait doucement sourire. On se dit que ça n’arrivera jamais jusqu’en Europe et que le temps qu’on voyage jusqu’en Chine, ce sera déjà du passé. Bref, le 1er février, on enjambe nos bicyclettes et on se met en route.

« On a l’impression d’être à Tchernobyl »

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Au départ, tout se passe bien. On traverse la France, on longe la côte méditerranéenne, et on arrive en Italie. Là, toujours rien à signaler. On n’entend pas mal de choses sur le Covid en Italie, mais dans la pratique, on a l’impression qu’il n’existe pas. Du moins pas jusqu’au village de Vo’ Euganeo près de Padoue dans la région Vénétie. Là, on se retrouve nez à nez avec un char de militaires en combinaisons intégrales, masques et gants à la Tchernobyl, qui nous annoncent que le village est en quarantaine et que nous ne pouvons pas le traverser. On est un peu surpris, c’est la première fois qu’on entend ça. On a l’impression d’être dans un film.

Mais pas de quoi nous faire renoncer. On ne prend pas du tout la mesure de la pandémie. On pense toujours qu’elle va être canalisée par les pays touchés. On fait donc 40 bornes pour contourner la commune isolée et on continue notre périple. On atteint la Slovénie. À peine a-t-on franchi la frontière, qu’on apprend que l’Italie a décrété un confinement général. Que le pays est complètement à l’arrêt et qu’à 48 heures près, on restait bloqué dans la botte. On réalise : cette histoire de Covid, ça ne sent pas bon.

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Mais toujours pas de quoi nous ralentir dans notre course. On roule jusqu’en Croatie. Il fait super beau, super chaud. On profite à fond. Le 17 mars, la France annonce également quinze jours de confinement. Mais pareil, malgré les appels de phares, on ne réalise toujours pas. On a l’impression que le virus n’arrivera jamais jusqu’à nous. On nargue d’ailleurs un peu nos potes en leur envoyant des photos de paysages de rêves. Jusqu’à ce qu’on réalise que le Covid se propage également comme une trainée de poudre en Croatie et que, comme ses pairs européens, le pays s’apprête à fermer ses frontières.

Là, on se fait un petit point entre nous pour réfléchir. Qu’est-ce qu’on fait ? Hors de question de rentrer. Avec un de mes compagnons de voyage, nous décidons de changer de programme, de nous rendre à Istanbul et de traverser la Turquie pendant un ou deux mois, le temps que le Covid passe. Le troisième mousquetaire, lui, décide de suivre notre chemin initial et de passer par la Serbie.

« Une fois de plus, notre plan tombe à l’eau »

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On se sépare donc. À Split, pour bien conjurer le sort. De son côté, notre pote est rentré au bout de quelques jours de crevaison à répétition et de galères pour trouver des endroits où dormir. Du nôtre, on prend donc un billet direction la Turquie, où l’on sait qu’un interrogatoire Covid nous attend. Nous nous sommes mis d’accord : à la question « Avez-vous transité par l’Italie au cours du dernier mois ? – Si c’est le cas, vous devrez effectuer une quarantaine de deux semaines – », nous mentirons alors effrontément : « non, nous n’avons pas traversé l’Italie ».

Karma oblige, la veille de prendre l’avion, on apprend que la Turquie a fermé ses frontières aux Français.

Sur le chemin, rien à signaler. On se fait contrôler par des policiers plutôt sympas dans un endroit assez improbable, en pleine campagne croate. Ils nous laissent passer. « C’est que c’est bon », se dit-on. « Le Covid doit être derrière nous ». Le lendemain, on décide quand même de téléphoner à l’ambassade de France pour faire le point sur la situation en Croatie. On avait faux sur toute la ligne : le pays est confiné. Merde.

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On réussit tout de même à réserver un Airbnb dans le vieux centre de Zagreb. On s’y rend avec hâte. Primo, parce qu’on va pouvoir enfin dormir dans un vrai lit, secundo, parce qu’on rêve d’une bonne bouffe. C’est vrai que durant notre périple, nos apports alimentaires n’étaient pas suffisants par rapport aux efforts accomplis sur le vélo.

Bref, on arrive. Premier coup de théâtre : il fait -2 °C. Une température beaucoup moins agréable pour rouler que les 25°C que nous avions jusqu’à présent. Deuxième surprise : dans la rue, les gens sont tous masqués. C’est la première fois que l’on est confronté à ça et ça nous fait très bizarre. On a l’impression d’être dans un film. Crevé, on se couche en se disant qu’on réfléchira à un énième plan demain.

« Ce soir, on dormira avec nos casques de vélo à portée de main »

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5 h du mat’, un bruit assourdissant nous réveille. On a l’impression qu’une tractopelle rentre dans notre chambre. C’est en fait un tremblement de terre. Un séisme de magnitude 5,3 sur l’échelle de Richter. Le plus violent depuis 1880. Les murs tremblent. La terre bouge. Les bouteilles se cassent. Je me réfugie sous mon lit. Le verre d’eau posé sur ma table de chevet tombe, se brise et me blesse le bras. Une blessure peu profonde mais il y a du sang partout sur le sol. Terrorisé, je vois ma vie défiler.

Avec mon pote, on sort de l’immeuble et on se met à l’abri dans un parc pour se protéger au cas où il y ait d’autres secousses. Bingo, une heure plus tard, la terre tremble de nouveau. Sauf qu’il fait trop froid pour rester là, donc au bout d’une heure trente, on décide de bouger. On fait un petit tour à vélo dans la ville pour constater l’étendue des dégâts puis on retourne en direction de notre appartement.

Là, on est carrément estomaqué. Notre rue est ravagée. Si la première secousse avait déjà bien fragilisé les infrastructures, la deuxième a été fatale. Certains immeubles sont à terre. Les voitures garées sont complètement détruites par les briques des façades. Traumatisés, ce soir, on dormira avec nos casques de vélo à portée de main.

« On sait qu’on devrait se rendre aux urgences mais en pleine pandémie… »

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Le lendemain, on reprend les recherches dans le but de changer de logement. On trouve un Airbnb à 30 km de Zagreb. Une petite maison de campagne dans laquelle on s’imagine bien se confiner pendant quelques semaines, le temps que le Covid passe. Le plan parfait. On reprend donc la route.

On roule. 10 km. 20 km. Quand d’un coup, mon pote heurte le dispositif métallique qui sépare la piste cyclable de la route et fait ce qu’on appelle un soleil. Dans le jargon cycliste, cela signifie qu’il passe par-dessus son guidon. La chute est impressionnante. C’est sa tête et son avant-bras qui le rattrapent. Il s’ouvre le menton et se fait mal au poignet. Le cadre de son vélo se plie en deux. Merde. Merde. Merde.

Il reste 10 km pour arriver jusqu’à la maison de campagne. On n’a pas le choix. Pour qu’il soit plus confort, on échange nos vélos. Enfin, plus confort, façon de parler. Il a très mal au poignet. Et pendant tout le trajet, il doit protéger la chair de son menton, qui pend, avec un mouchoir. Ah oui, et j’ai oublié de mentionner : il neige.

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On roule et on arrive tant bien que mal au Airbnb. On a à peine le temps de prendre notre respiration pendant une demi-seconde que les propriétaires nous annoncent qu’on ne pourra pas dormir ici ce soir. Ils ne veulent pas d’étrangers à cause du Covid. OK, là, ça commence à faire beaucoup. Manque de nourriture, neige, tremblement de terre, accident et maintenant ça… On est complètement abattu.

On négocie pour avoir le logement pendant 4h, le temps de faire des allers-retours à la pharmacie pour soigner mon pote et de se trouver un plan B pour la nuit. On sait qu’on devrait se rendre aux urgences mais en pleine pandémie, on préfère miser sur des steri-strips. Je le soigne comme je peux puis sans perdre de temps, on se replonge dans les recherches d’appartements. Après 7 refus, quelqu’un accepte notre demande. Il faut qu’on retourne dans le centre de Zagreb. Les propriétaires nous commandent un taxi et on se met de nouveau en route, les vélos dans le coffre.

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Dans l’appart, on fait le bilan. Le Covid a gagné, il est l’heure de rentrer à la maison… Et comme si on n’avait pas eu suffisamment de galères comme ça, il faut que la Croatie ait décrété son confinement pile à ce moment-là. Ce qui fait que tous les magasins sont fermés et qu’il nous est impossible de trouver de quoi transporter nos vélos dans l’avion. Qu’à cela ne tienne, on finit par emballer nos vélos en scotchant des cartons de TV trouvés dans la rue. Et puis on rentre. Avec l’idée de repartir après la pandémie. Avec l’idée de repartir une fois que mon pote aura enlevé son plâtre. Oui, parce qu’il se trouve qu’il avait le poignet cassé…