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L’histoire improbable d’Aurélien : « On s’interdit de s’endormir parce qu’on a peur de ne jamais se réveiller »
Tous les vendredis de cet été, Urbania vous propose une série de témoignages qui retrace des moments de vie en voyage (des naissances, des ruptures, des rencontres incroyables, des défis improbables, des histoires insolites…). Le genre de série que l’on a envie de scroller sur son téléphone à la plage. Aujourd’hui, Aurélien*, 28 ans, raconte…
« Trois pas de plus et nous aussi, on tombait dans le vide »
C’était en 2014. J’étais en échange universitaire pendant un an en Nouvelle-Zélande. Je n’avais pas beaucoup de cours, j’en profitais donc pour m’échapper barouder régulièrement. Grosses randonnées à droite à gauche, trek à cheval, trip en van… Et puis un jour, avec un pote, on décide de s’attaquer au Mont Cook, le plus haut sommet de Nouvelle-Zélande. Au programme : dix jours de marche en itinérance, dodos sous la tente et nuits en refuge. L’histoire se déroule au milieu du séjour. Au départ, rien de bien transcendant, on repère une rando “sympa” de trois-quatre heures de marche avec un refuge au bout. On fait un tour par l’office du tourisme, on choppe une carte et on part.
On décolle en début d’après-midi, censé atteindre le refuge vers 16 heures au plus tard. La rando commence, rien à signaler. On évolue le long d’une rivière. Le sentier est sympa. Hyper sauvage. Pas vraiment balisé mais on se dirige avec la carte. On marche, on marche. Toujours rien à signaler. Mis à part que le dénivelé devient de plus en plus important. Mais bon, on a l’habitude de randonner, on ne se méfie pas, on continue.
Petit à petit, on a les pieds dans la neige. On n’est pas vraiment équipé pour ça mais on persiste à aller de l’avant. On suit la carte, sans se poser trop de questions.
Et puis, ça se corse encore. Le dénivelé augmente. Les traces de chemins et de passages sont de moins en moins visibles. Mais bon, on a déjà bien avancé donc on persévère. Encore une fois, sans trop se poser de questions. Il est 15 heures, on ne doit plus être bien loin.
On marche, on marche. Puis on commence à hésiter. Les conditions sont de plus en plus difficiles : la pente, de plus en plus raide, le froid, de plus en plus handicapant. Il gèle. La question nous taraude désormais l’esprit : qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on fait demi-tour ? Est-ce qu’on avance encore ? On réfléchit et on décide de continuer. Il est 16 heures, on ne doit plus être bien loin. Sauf que ça ne s’arrange pas. Cela s’apparente davantage à de l’escalade qu’à de la randonnée. Pour progresser, on est même obligé de casser la glace avec nos chaussures. On est carrément frigorifié. Et pour couronner le tout, la nuit tombe. (L’hiver en Nouvelle-Zélande, le soleil se couche aux alentours de 17h/18h, NDLR).
« On a l’impression d’être dans un univers paranormal »
Le verdict aussi : il est trop tard pour rebrousser chemin. Même si c’est ce qu’on aurait dû faire depuis le début. Pas le choix, on poursuit, on escalade, on escalade. Et on commence un peu à flipper. Pour ne pas dire que nous sommes tétanisés. Il fait super froid. On a de nouveau les pieds dans la neige. Et il fait carrément nuit.
Mon pote sort notre lampe torche. Faux mouvement, il la lâche. Elle tombe dans le vide. Et là, on réalise : nous sommes en haut d’une falaise. Trois pas de plus et nous aussi, on tombait dans le vide. C’est la merde ! Ça doit faire six heures qu’on marche, on a de la neige jusqu’aux genoux, les pieds engourdis, plus de lampe et aucun refuge en vue. On décide d’appeler les secours. Eureka, ça décroche ! Lueur d’espoir… Qui s’éteint aussitôt. La personne au bout du fil ne comprend pas notre accent français. On ne comprend pas le sien. Impossible de communiquer. Elle nous promet : « Elle va trouver un meilleur interlocuteur et nous rappelle ». Notre portable s’éteint. La batterie s’est vidée d’un coup à cause du froid.
Qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on fait ? Un peu instinctivement, on se décide à creuser un trou pour se mettre dedans. On se dit qu’il va nous protéger du vent et qu’il nous permettra de casser la pente. On sort nos sacs de couchage. On se change avec des vêtements secs (20 minutes environ pour retirer un pantalon) et on se met dedans. On est littéralement gelés. On se colle l’un contre l’autre et on ne bouge plus pour économiser notre énergie. Avec une seconde lampe, plutôt un flash, qu’on avait également pris avec nous, on essaie de renvoyer des signaux face à la vallée. Sans succès.
S’ensuivent alors des heures de silence, de discussions, d’introspections. On se dit qu’on va mourir ici. On se remémore les bons moments. On contemple le ciel, les étoiles et on écoute les mouvements de glace qui bougent. Elles font un bruit de tonnerre. On a l’impression d’être dans un univers paranormal. Le temps est totalement suspendu. Dans un premier temps, on s’interdit de s’endormir parce qu’on a peur de ne jamais se réveiller. On parle, on parle, on parle. Puis finalement, on tombe de fatigue et on s’endort. D’ailleurs juste avant de fermer nos yeux, on a pu observer une étoile filante percer le ciel. C’était hallucinant. La plus belle chose qu’on ait vu de notre vie. On s’est dit que c’était un signe.
Puis on a rouvert les yeux. Il faisait jour, il faisait beau et on était vivant. C’était irréel. La vue était incroyable. On avait les cheveux, le visage et les vêtements complètement givrés. Mais c’est bon, on avait survécu et on allait pouvoir rentrer chez nous. On dégèle nos affaires, on range nos sacs de couchage et on s’apprête à reprendre la route, quand on aperçoit, juste derrière nous, le toit du refuge. Il était donc là pendant tout ce temps.
On s’y rend à la hâte. Le calvaire est enfin terminé. Et on ne croit pas si bien dire : cent mètres avant le rejoindre le bâtiment, on entend le bruit des pales d’un hélicoptère. Les secours ! Ils descendent et viennent à notre rencontre. Nous expliquent : ils ont reçu plusieurs appels de personnes ayant aperçu nos signaux de détresse hier mais les conditions météo étaient telles qu’ils n’ont pu décoller que ce matin.
On redescend avec eux dans la vallée. Sur place, un médecin nous attend pour nous ausculter et pour vérifier qu’on va bien. Le maire de la ville et la police sont également présents. Heureux qu’on soit sains et saufs, (chaque année, ils retrouvent des dizaines de personnes qui perdent la vie en montagne, NDLR), ils n’hésitent pas à nous gratifier d’une morale : nous avons été complètement inconscients. Là-haut les températures avoisinaient les -12°C. « D’ailleurs, si la météo avait été moins clémente ce matin, sûrement que nous ne nous serions jamais réveillés », nous indiquent-ils. Leurs conseils attentivement écoutés, on rejoint ensuite notre voiture.