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L’habile danse des stéréotypes de « Sugar »

Les détectives privés du petit écran se suivent, mais ne se ressemblent pas.

Par
Benoît Lelièvre
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J’ai toujours eu un faible pour les histoires de détectives privés.

Quelque chose à propos de la moralité en marge de la loi et de la solitude existentielle générée par les convictions profondément ancrées chez ces guerriers de la vérité provoque chez moi des bouffées de romantisme comme peu d’autres personnages en sont capables. En d’autres mots, j’aime regarder des gars déprimés et vaguement alcoolos affronter le système autant à coups de gueule qu’à coups de poing.

C’est pas exactement ce que nous offre la nouvelle série d’Apple TV+ Sugar, mettant en vedette Colin Farrell dans le rôle du titulaire limier, mais le regard divergent de l’auteur Mark Protosevich jette une nouvelle lumière sur l’existence dénuée de certitudes des détectives privés et défie redoutablement les stéréotypes du genre. Sugar est parfois inconfortable, mais la série surfe de main de maître la ligne entre la bonne vieille baston réconfortante et les idées plus abstraites, par exemple celle d’un détective privé ayant lui-même forgé son identité autour de personnages de films. Oui, c’est étrange… mais juste un peu !

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L’inquiétante étrangeté de Los Angeles

Sugar raconte l’histoire d’un détective privé nommé John Sugar (Colin Farrell), spécialisé dans les dossiers de personnes disparues. Ce dernier revient d’une mission à Tokyo lorsqu’il est convoqué par un légendaire producteur hollywoodien (le tout aussi légendaire James Cromwell) pour retrouver sa petite fille disparue. Un peu ébloui par le showbiz, ce dernier accepte, même si tout son entourage semble trouver qu’il s’agit d’une très mauvaise idée.

John Sugar est un drôle d’oiseau. Cinéphile, polyglotte et résolument pacifiste (sauf en cas d’urgence), il fait office d’anachronisme ambulant dans les rues de la cité des anges d’aujourd’hui avec son costume trois-pièces et sa Corvette décapotable bleu poudre du siècle dernier. Los Angeles est un rêve pour lui seul, les autres personnages de la série y souffrent chacun à leur manière.

Souvent, les séries et films mettant en vedette des détectives privés se déroulant en Californie essaient de déconstruire Los Angeles, et dans le cas de Mark Protosevich, il y arrive en confrontant la vision de la ville romantique et rapiécée de John Sugar avec le caractère glauque et hypocrite de la disparition sur laquelle il enquête. Le monologue intérieur de ce dernier (un immense stéréotype du genre) jette une lumière solipsiste et poétique sur les actions méprisables d’une famille influente en déroute et les conséquences qui en découlent.

Le résultat est un brin hallucinatoire, mais pas déplaisant du tout.

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Sugar ne romance pas Los Angeles, mais elle offre un regard sur des personnages qui la romancent chacun à leur manière, nous renvoyant ainsi à nos propres idées parfois malsaines à propos de la cité des anges. Tout le monde y joue consciemment et inconsciemment un rôle.

Le discret retour de Fernando Meirelles

Mis à part l’imprévisible, mais toujours intéressant Colin Farrell, l’autre star de Sugar est sans l’ombre d’un doute le réalisateur Fernando Meirelles, de retour derrière la caméra après une pause de 5 ans. On connaît ce dernier grâce à ses films City of God (mis en nomination pour 4 Oscars en 2003) ainsi que son adaptation du roman de José Saramago Blindness en 2008.

Avant de signer cinq épisodes de Sugar, le dernier projet de Meirelles remontait à 2019 avec le film The Two Popes. Un projet intéressant, mais peut-être un peu trop impressionniste pour le grand public et qui était tombé rapidement dans l’oubli.

La narration visuelle de Meirelles est intégrale à l’élaboration du côté onirique de Sugar.

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Ensoleillée, discrète et empreinte d’une nostalgie tranquille qui ne se prête pas nécessairement aux événements qui se déroulent, elle nous emprisonne comme dans un rêve et donne au déroulement de l’enquête un caractère irréel. Comme si les personnages secondaires jouaient dans un film d’époque au beau milieu d’une Los Angeles contemporaine.

Malheureusement, les épisodes réalisés par Adam Arkin se font un peu plus directs et sont moins soignés. Les éléments incongrus y cohabitent de façon plus rigide, ce qui casse un brin l’aspect onirique de l’œuvre. C’est monnaie courante pour une série de bénéficier du talent de plusieurs réalisateurs, mais dans le cas d’une série aussi singulière que Sugar, ça rend le tout un peu inégal.

Cette courtepointe de visions et de textures fait de Sugar une histoire de détective privé habile et unique. Elle est à la fois (un peu) prévisible au niveau de la narration et complètement déroutante au niveau du ton. C’est un OVNI télévisuel pas trop compliqué qui se regarde bien à la fin d’une longue semaine. Il y a cinq épisodes sont disponibles en ce moment sur AppleTV+ et on aura droit à un nouveau par semaine chaque vendredi, jusqu’au 17 mai.

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