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Lettre ouverte d’un daltonien qui s’assume
« Hey. Cool ton dessin. Mais pourquoi est-ce que ton ciel est rouge? Ah ouais? T’es daltonien? Énorme! Il est de quelle couleur mon tee-shirt? Voyons. Et ça, c’est quelle couleur? Ah. Et ça? Mais comment tu fais? Ça doit être méga relou non? Tu vois tout en noir et blanc, en fait?»
Non. Pitié. Il faut que ça cesse.
J’avais 7 ans lors du 1er rendez-vous chez l ’ophtalmo
Beaucoup de difficultés à dealer avec mes couleurs à l’école et on a commencé à se poser quelques questions. Soit. 6 mois d’attente pour obtenir un rendez-vous, puis finalement 5 minutes suffiront. « Bon! Ben tu es daltonien. Tu ne seras jamais pilote d’avion, ou conducteur de train, désolé ».
Thumbs up. Merci monsieur le docteur. Ça, c’est vraiment encourageant pour un petit garçon de 7 ans. Bon, j’avoue que dans le fond, je n’ai jamais rêvé d’être pilote d’avion, j’imagine à quel point cela doit être violent pour un passionné d’aviation. Non, moi à l’époque, j’attendais ma lettre pour Poudlard et je voulais devenir Harry Potter. C’était ça mon plan de carrière. Mais là. J’ai 7 ans. Et le simple fait de me fermer cette porte, je n’ai qu’une envie, c’est de l’ouvrir, voir ce qu’il y a derrière.
Pour nous, la couleur possède une vraie symbolique profonde. Elle codifie, formate et façonne notre environnement, nos actes et manières de penser, de fonctionner, d’agir.
Rapidement, j’ai commencé à me rendre compte de ce que cette condition impliquait. Déjà, il faut l’avouer, être daltonien, ça peut être super handicapant. Parce que la réalité c’est qu’on ne vit pas dans un monde d’artistes ou de designers où la couleur n’a qu’une valeur esthétique, intuitive ou décoratrice.
Pour nous, la couleur possède une vraie symbolique profonde. Elle codifie, formate et façonne notre environnement, nos actes et manières de penser, de fonctionner, d’agir. J’aurais un million d’exemples. Pour n’en citer que quelques-uns, quand tu es daltonien tu as énormément de misère : à te repérer sur une carte de métro (try London), en randonnée (impossible de voir la peinture rouge ou jaune dans la nature), à discerner du rouge sur du vert (des années de solitude à loucher sur les tableaux à craie de l’école)
Mais bon, j’avoue. Tout ça n’est finalement qu’assez anecdotique. Je ne suis vraiment pas à plaindre (et là n’est pas mon but). Je sais que mon type de daltonisme reste assez « léger » et j’ai la chance de pouvoir encore admirer un coucher de soleil.
Les gens
Non. Selon moi le plus dur dans tout cela, c’est l’ensemble des personnes que tu vas rencontrer et qui vont absolument vouloir te faire rentrer dans le moule, dans leur moule. Ce sont eux qui vont pointer tes erreurs, te corriger en voulant t’apprendre la vie, ce sont généralement les mêmes qui te demandent la couleur de ton pull et qui s’amusent de ton incertitude. Au fur et à mesure, tu arrêtes un peu de lutter. Tu te confortes dans la norme, admets ton erreur et viens même à la redouter. Puis tu finis par te ranger. J’avais plus de mal à peindre, dessiner, retoucher des photos… Beaucoup plus hésitant, j’ai longtemps privilégié le bleu marine, le gris dans mes choix vestimentaires aussi.
Non. Selon moi le plus dur dans tout cela, c’est l’ensemble des personnes que tu vas rencontrer et qui vont absolument vouloir te faire rentrer dans le moule, dans leur moule.
J’ai repensé à ce rendez-vous chez l’ophtalmo, à ces tests avec les petits points de toutes les couleurs, ceux sur lesquels tu es, en théorie, censé voir apparaître des numéros. À partir du 3e cercle environ, j’ai commencé à tracer des chemins complètement chelous avec mon doigt. Je ne voyais plus aucun chiffre, mais j’y allais, sûr de moi. Ma mère, qui commençait à paniquer et à remettre en question sa propre vision des couleurs en me voyant à l’œuvre s’est tournée vers l’ophtalmo. « Bienvenue dans le monde d’Owen » il lui a dit. Ce n’est que très tard que j’ai accepté et compris le sens de ces mots. J’ai trop lutté, voulu me fondre dans la team des non-daltoniens. Aujourd’hui, c’est un fuck off général que j’assume avec fierté. Si l’envie me prend, rouge mon ciel sera.
Voyage en Daltonie, allez viens!
C’est avant tout un monde où règne la matière, plus que la couleur. Appliqué à la mode c’est un monde de coupes, d’allures, de drapés. Pas un monde de nuances, de teintes ou d’éclats.
C’est un monde où la notion de nuancier, de dégradé n’a aucun sens. Ici, les couleurs se divisent en 2 catégories, les couleurs chaudes, naturelles, de la terre (rouge, vert, jaune, orange…) et les couleurs froides, du ciel (bleu, violet, rose, mauve, fushia…)
Ici, les couleurs se divisent en 2 catégories, les couleurs chaudes, naturelles, de la terre (rouge, vert, jaune, orange…) et les couleurs froides, du ciel (bleu, violet, rose, mauve, fushia…)
C’est un monde où on ne se limite pas à un nom, une étiquette apposée sur une couleur. Un monde où tu ne vas pas choisir du vert pour peindre des feuilles, du bleu pour le ciel ou du marron pour le tronc. Car cela n’a aucun sens ici. On dessine en fonction de ce que l’on ressent, pas de que l’on nous impose.
C’est un monde où l’arc-en-ciel n’a jamais plus de 3 rayures. Il n’est pas moins beau. Il est juste différent. Plus concis, plus efficace, straight to the point, en somme.
Et puis regardez 2 secondes ma team de winners: Christopher Nieman, Mark Zuckerberg, Bill Clinton, Prince William. Tous daltoniens. Même combat. Tu connais Nicolas Winding Refn? D’où lui vient cette passion pour la pop néon aux couleurs éclatées? De son daltonisme. J’aime à penser que c’est une force qui apporte un regard différent sur ce qui nous entoure. Une autre façon de voir les choses, une autre logique.
Les gens ont généralement du mal à se rendre compte à quel point la couleur influence et structure leur pensée. Halte! Lâchez tout, libérez-vous de ce despotisme de la couleur, et laissez-nous tranquilles!