Lettre aux Bogdanoff

À l’occasion de la mort de Grichka Bogdanoff, notre collaborateur, Olivier Bruel, a souhaité écrire une « lettre aux Bogdanoff » puisqu’il est « de la génération de ceux pour qui ils étaient quasiment des héros ». On a donc décidé de lui laisser la parole.
Comme pour chaque tribune publiée sur URBANIA, les propos n’engagent que leurs auteurs.trices. En l’occurrence, ici, son texte ne fait pas allusion à la plainte qui avait été déposée contre Igor Bogdanoff par sa compagne, Julie Jardon. Mais la rédaction d’URBANIA trouvait cela important et nécessaire d’en faire mention.

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Chers jumeaux Bogdanoff,

Ça me fait un peu bizarre de vous écrire aujourd’hui, alors que Grichka vient de mourir et qu’Igor est malade. Voilà une tragédie de calibre cosmique.

Je vous adresse cette lettre en tant que représentant de la génération X, dont vous étiez les héros.

Vous avez débarqué dans le morne paysage télévisuel de la fin des années 1970 avec vos combinaisons métallisées et votre studio en forme de vaisseau spatial, et tout a changé.

Vous vous êtes adressés à nous, jeunes spectateurs du mercredi après-midi, comme à des gens curieux et intelligents. Jamais, sur nos trois pauvres chaînes publiques, nous n’avions entendu parler d’Isaac Asimov ni d’Arthur C. Clarke. Jamais une émission « jeunesse » n’avait cru pouvoir nous intéresser aux concepts d’espace-temps ou de physique quantique (eh oui, déjà!).

Bien sûr, l’ado que j’étais ne comprenait pas tout, mais il était flatté que vous le preniez pour autre chose qu’un amateur de marionnettes.

Vous étiez fascinants parce que vous étiez parfaits. Deux Terriens identiques, sages, brillants et beaux. Un kick pour certain(e)s, un modèle pour les autres. Deux cerveaux d’exception dans des corps d’Adonis de l’espace.

Après huit saisons de Temps X, l’émission est sortie des ondes sans être remplacée. L’OVNI avait quitté le champ gravitationnel de notre trop petite planète et nous laissait en sevrage brutal d’une bonne dose de vulgarisation scientifique assaisonnée de science-fiction.

Des échos de vos voix ont apparemment été perçus dans les décennies suivantes, mais je n’en ai personnellement aucun souvenir.

Dans les années 1990, c’est le début d’une saga un peu moins glorieuse que La guerre des étoiles. Publication de thèses aux noms ronflants (« Fluctuations quantiques de la signature de la métrique à l’échelle de Planck » pour Grichka, et « État topologique de l’espace-temps à échelle 0 » pour Igor), sérieuse mise en doute de leur validité par la communauté scientifique, scandales, escroqueries, procès : votre vaisseau prend l’eau.

Et puis il y a vos tronches. Vous avez toujours nié avoir eu recours à la chirurgie plastique, mais vos visages ont depuis longtemps dépassé le stade de la correction esthétique ou du lifting de jouvence pour atteindre le stade grotesque des Guignols de l’info.

Chers Igor et Grichka, vous alimentez votre propre mystère, dans un charabia scientificolittéraire autofictif qui n’est pas sans rappeler Eddy Malou, le célèbre savant congolais.

Si j’ai bien compris, votre quête scientifique vous a amenés à refuser la vaccination anti-COVID. Vous êtes déjà à moitié morts, et croyez bien que personne sur notre planète ne s’en réjouit.

Il me semble qu’il y avait des façons plus flamboyantes d’accéder à l’éternité.

Adieu donc, on se reverra dans une autre dimension.