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Lettre à mon trouble

« Vous présentez tous les traits d'une personnalité borderline ».

Par
Abigail
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Mon cher trouble,

Toi qui as été caché pendant tant d’années, que j’ai camouflé, et qui m’a valu mes pires états.

Au début, tu étais là, présent dans ma tête, mais étrangement nous cohabitions ensemble. Je ressentais ce vide quasi constant, ce manque d’émotion ou d’attachement à l’égard de la vie. « J’existe, mais je ne suis pas vraiment là ». Ce vide qui m’a valu aussi mes plus grandes ambitions : « Je veux être extraordinaire ou je ne veux pas être du tout » ; « Je veux vivre mille vies en une, car une existence platonique me terrifie » ; « Je veux que la vie donne un sens à ma personne, sans cela, je ne suis qu’un déchet bloqué dans une errance infinie », etc.

Et puis, une colère est apparue, cette colère d’être là : « Je n’ai pas demandé à vivre, on me l’a imposé, et maintenant je ne sais plus quoi en faire ».

Des états d’extrême idéalisation de ma personne : « Je suis la meilleure, je peux tout accomplir » VS des états de dévalorisation : « Je suis un monstre, je ne mérite pas de vivre ». Ce qu’il y a cependant de commun à ces deux extrêmes c’est leurs intensités et leurs manques de cadre, les deux me poussent à outrepasser toutes mes limites. Ce qui me conduit toujours à l’effondrement.

« Je retrouve cette haine, ce miroir qui ne reflète qu’un monstre inadapté à vivre, arrivé là par erreur et qui réclame de repartir. »

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Je ne sais pas faire autrement que tout donner, dans mes liens familiaux, amicaux, sentimentaux, et professionnels. Grâce ou à cause de toi, je me suis perfectionnée dans l’art du faux semblant. Ne supportant pas ce sentiment d’être en permanence dysfonctionnelle, hors norme, différente dans le sens péjoratif du terme, inadaptée et de le vivre mal. « Mais regarde, les autres y arrivent, mais moi j’y arrive pas ! » Alors j’ai fini par porter un masque social et professionnel pour être perpétuellement en sur-adaptation à mon environnement, pour être « incluse », « valide » mais surtout « normale », ce mot m’obsède. Ce masque, qui remplit à la perfection son rôle, comporte quand même des failles : il est lourd à porter. Il me bouffe toute mon énergie et quand il devient trop pesant alors il craque. C’est là que surgissent des comportements d’auto-destruction et d’auto-sabotage : une implosion totale d’un verre trop rempli. Je retrouve cette haine, ce miroir qui ne reflète qu’un monstre inadapté à vivre, arrivé là par erreur et qui réclame de repartir.

« La vérité, c’est que je me sens asphyxiée en permanence. (..) Peur du rejet et de l’abandon, j’ai abandonné avant de l’être »

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Car oui, cher trouble, tu m’as plus d’une fois poussée à me faire saigner. Je garderai à vie les marques de cette haine sur mes bras. J’aurais toujours ces regards d’interrogation face à mes cicatrices qui témoignent de la fragilité de ma psychée. La vérité, c’est que je me sens asphyxiée en permanence.

Peur du rejet et de l’abandon, j’ai abandonné avant de l’être, j’ai rejeté les personnes que j’aime le plus, car trop indigne du regard que celles-ci portaient sur moi.

Je garde encore aujourd’hui la culpabilité d’avoir rompu des liens avec des personnes avec lesquelles je me sentais tellement connectée, mais aucune thérapie ne répare les liens brisés.

Et puis, il y a eu le point de de non-retour : les urgences psychiatriques, puis l’hôpital. Pyjama, blouse blanche, médicaments… J’étais au fond du trou et personne pour m’en sortir. J’ai touché du doigt mon envie de mourir et de disparaître. Refusant de m’alimenter, de communiquer, mais surtout d’exister. J’ai fait la grève de la vie et ça a plutôt bien marché. Pendant un temps, je me suis véritablement sentie disparaître et c’était profondément soulageant. Pourtant il a bien fallu que je me réveille, que je fasse la paix avec une partie de moi, et c’est là que tu t’es enfin révélé. Nous sommes en décembre 2020, et en face de moi, un.e psychiatre lance : « Vous présentez tous les traits d’une personnalité borderline ». « Border … quoi ? » « Borderline. »

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À ce moment-là, j’étais terrorisée à l’idée d’avoir une pathologie psychiatrique, mais étrangement cela a enfin donné du sens à toutes mes souffrances, toutes mes incompréhensions, toutes mes rebellions, bref à toute ma vie.

« On m’a collée tellement d’étiquettes, tellement de mots : ils n’ont plus de sens à mes yeux. »

Et figure-toi que depuis que tu as été nommé, j’ai peut-être enfin trouvé ma place ! Ma place, c’est là où je me sens le mieux, là où je me sens moi-même, et cette place c’est là où les autres ne sont pas. C’est parmi celleux qu’on qualifie « de fous.folle », les marginaux, celleux qui n’ont nulle part où aller et qui tracent leurs propres chemins, celleux qu’on regarde en soirée ou en diner de famille avec mépris parfois, celleux qui sont stigmatisés, celleux qui sont finalement en minorité, mais qui sont les plus rebelles, celleux qui ne peuvent pas s’adapter mais qui résistent en prônant leurs différences. L’inverse n’a jamais rien donné.

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Tout faire pour rentrer dans les cases : cela m’a conduit à l’hôpital psychiatrique. Avoir une pathologie psychique serait donc ma porte de sortie ? Quitte à être considérée comme « folle » aux yeux des autres pourquoi ne pas vivre au plus intense de ma folie ? Quitte à être vu comme « Border » dans une société linéaire « line ». Autant véritablement montrer ce que « border-line » peut être. J’ai trouvé une place là où on ne m’attendait pas, et qu’on le veuille ou non, ça reste une place. Et je suis à la limite de quoi, en réalité ? De l’extraordinaire, de l’insoutenable, de la décadence, du gène , de la morosité, de l’émotivité dérangeante ?

On m’a collée tellement d’étiquettes, tellement de mots (« hyper sensible », « hyper émotive », « hyper impulsive », etc) : ils n’ont plus de sens à mes yeux.

Je me définis surtout comme une éponge, qui absorbe tout ce qui l’entoure et qui, une fois remplie de ce trop-plein émotionnel, n’a pas d’autre option que d’évacuer le flot de tout ce qui me pèse. Rien ne définit mieux qu’une éponge. Une éponge à deux facettes : une rugueuse et une lisse. Reproche-t-on à une éponge d’avoir deux faces ? Non. Pourquoi ? Parce que les deux ont leurs utilités et leur importance, parce que l’une ne va pas sans l’autre. Mes états fonctionnent de la même façon, les deux sont nécessaires à mon fonctionnement, les deux sont radicalement opposés, et pourtant les deux méritent le même amour et la même écoute.

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Cher trouble, peu importe ce que tu m’amènes à être ou à ressentir, je ne veux plus lutter.

Je veux trouver ma place parmi les personnes qui me ressemblent, et si ma place est nulle part, tant pis ou tant mieux mais j’y serai toujours plus heureuse qu’ici.

Je n’ai pas de but précis, ma vie n’a souvent aucun sens, et la vie en général n’a pas de sens. Laissons-la simplement nous offrir ce qu’elle peut.

Ce qui m’apaise le plus quand rien ne va : garder en tête que la vie serait terriblement ennuyeuse si tout le monde se ressemblait. La différence apporte de la couleur dans un monde encore souvent très noir ou blanc.

Ce texte n’a certainement aucun sens, mais je crois que c’est ça qui me plait.

Merci cher trouble, de me faire vivre une vie, pas la plus simple, mais certainement des plus intense. Je t’aime autant que je te déteste, à l’image de ma personne. C’est une vie que je n’ai pas choisie, mais au moins j’en ai une. Un cadeau empoisonné parfois, mais un cadeau quand même.

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J’apporte tout mon amour aux prétendus « fous » et aux « folles » de notre société. Je vous aime, vous admire, et (peut-être) vous comprends.