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Lettre à mon père

« C’est grâce à tes mots si, malgré l’incertitude de l’avenir, je persiste à croire que j’irai mieux. »

Par
Dominique Garcia-Lemieux
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Salut papa,

Tu dois sûrement te demander pourquoi je t’écris ici et maintenant. Ça change de nos appels téléphoniques dans lesquels je n’ose jamais être aussi sentimental que j’aimerais l’être. C’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire. À chaque anniversaire et chaque Noël, j’y ai pensé, sans jamais prendre vraiment le temps de t’écrire combien tu comptes pour moi.

J’ai du mal à dire aux autres à quel point je les aime. Rendu à mes 22 ans, j’essaie de changer certaines habitudes, d’être plus honnête avec moi-même et avec les autres. Cette année, pour la fête des Pères, je veux te rendre la pareille.

Quand je repense à mon enfance, je ne vois que de beaux souvenirs. Une vie tranquille en banlieue, comme beaucoup de jeunes de mon âge. Les jours se ressemblaient à travers les saisons qui s’entrecroisaient.

C’est sûrement la période de ma vie où tu as été le plus présent, mais aussi celle où on était le moins proches. Tu m’énervais parfois et je t’énervais souvent. Je n’avais pas l’impression que tu comprenais mes goûts, je craignais ton jugement.

Je me disais qu’un père qui voit son fils choisir le ballet au lieu du foot et regarder La Belle au bois dormant à répétition devait se poser des questions.

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Je me disais qu’un père qui voit son fils choisir le ballet au lieu du foot et regarder La Belle au bois dormant à répétition devait se poser des questions. Jamais tu ne m’as empêché de faire ce que j’aimais. Jamais tu n’as jugé mes préférences. Tu as toujours voulu me comprendre et m’encourager, même si beaucoup de pères auraient fait le contraire. Ça m’a pris 12 ans avant de le réaliser.

À mes 16 ans, quelque chose a changé. J’ai relié les points et résolu les équations dans ma tête. Ding ding ding : j’aime les hommes. Amoureusement, affectueusement, amicalement, sexuellement, de toutes les façons qui existent. J’étais incapable de vous le dire à toi et maman. Aucun enfant ne veut décevoir ses parents. Dans ma tête, j’étais un échec. Je n’ai pas été assez fort pour vous l’annoncer moi-même.

Vous êtes venus à l’école, une éducatrice avec qui je discutais depuis déjà quelques semaines vous a parlé de mon orientation sexuelle. Je n’ai pas pu être témoin de votre réaction immédiate. J’ai dû attendre le soir, en revenant de l’école, pour vous voir. Je peux encore rejouer cette soirée dans ma tête. Je suis sorti de l’autobus et j’ai réfléchi une bonne quinzaine de minutes avant d’entrer dans la maison. Je fais quoi là ? Je réagis comment ?

J’ai ouvert la porte en prenant la plus grande respiration de ma vie. Je suis tombé face à face avec maman, qui m’attendait avec un sourire que je n’avais jamais connu avant. Un sourire qui dit : « Dominique, je suis si fière de toi. »

Tu m’as pris les mains en me regardant droit dans les yeux : « Dominique, tu as un courage en toi que je n’aurais jamais eu à ton âge. »

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Toi, tu n’es pas venu me voir tout de suite. Tu as attendu que je descende dans le bureau, que je m’installe devant l’ordinateur. Tu es entré en cognant comme tu fais tout le temps, tu t’es assis et tu m’as pris les mains en me regardant droit dans les yeux : « Dominique, tu as un courage en toi que je n’aurais jamais eu à ton âge. »

Moi, courageux ? Jamais je ne m’étais considéré comme une personne courageuse. Mais tu as pris une bonne heure pour m’en persuader. Je ne me rappelle pas chaque phrase que tu m’as dite et je ne suis toujours pas convaincu d’être la personne courageuse que tu penses que je suis. J’ai tout de même retenu la plus importante des choses : tu m’aimes inconditionnellement. C’est tout ce que je voulais.

À mes 17-18 ans, un autre événement majeur est survenu. Mon cerveau ne fonctionnait plus. Les pensées étaient incontrôlables. Les obsessions étaient omniprésentes. Les nuits étaient longues et insupportables. J’étais emprisonné, incapable de contrôler ces pensées qui n’étaient pas miennes.

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Tu m’as vu en sanglots dans la détresse et l’incompréhension. J’ai essayé de t’expliquer ce je vivais et même si tu ne comprenais pas exactement ma tourmente, tu me croyais. Je n’étais pas seul. Tu as utilisé toutes les ressources dont tu disposais pour m’aider, jusqu’à me partager tes traumatismes passés pour me rassurer. À chaque rendez-vous avec la psychiatre, chaque nuit où les obsessions me hantaient, chaque rechute, tu étais là. Je ne pourrai jamais assez te remercier.

Je suis désormais âgé de 22 ans. Ça fait trois ans que j’ai quitté la banlieue pour la grande ville. C’était surtout pour les études, mais au fond de moi, j’étais convaincu que j’allais pouvoir être davantage moi-même là-bas.

J’avais tort. Je n’ai jamais autant ressenti le besoin de ne pas être moi-même que là-bas. Dans la communauté gay, je me suis senti jugé, catégorisé, sexualisé. Mais tu connais mon désir de plaire. J’ai voulu être plus cultivé pour les intellectuels, plus mince pour les athlétiques et plus charismatiques pour les beaux parleurs. Malgré tous mes efforts, rien n’a vraiment changé. Se dénaturer pour les autres, ça ne mène nulle part.

J’ai tout de même retenu la plus importante des choses : tu m’aimes inconditionnellement. C’est tout ce que je voulais.

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Tu n’as jamais trop compris ce besoin, mais je crois bien que c’est un truc imprégné dans notre génération. Le problème, c’est que cette façade nous étouffe rapidement et on oublie trop souvent qui on est vraiment. J’ai trop souvent délaissé mes limites et ma personne pour obtenir l’attention d’un certain garçon. Mais toi, tu me connais. Tu viens toujours me rappeler qui je suis. Même dans mes mensonges, mes impulsions, mes mauvaises fréquentations ou consommations, tu as toujours vu le meilleur en moi.

Un jour, tu m’as demandé pourquoi j’étais peu affectueux, voire froid avec les autres. J’ai évité la question. C’est parce que, papa, à force de donner mon amour à des garçons qui n’en ont pas voulu, j’ai décidé de cacher ma sensibilité. Les personnes sensibles comme toi et moi ne l’ont pas facile dans la vingtaine, à trop aimer et à trop souffrir quand le cœur se fait délaisser.

J’aurais dû te parler de celui qui me trouvait trop et de celui qui me trouvait pas assez. Ou encore de celui qui pense encore à son ex ou de celui qui trouve que je ne ressemble pas assez à sa dernière fréquentation. Ou bien de celui qui m’écrit seulement à 3 h du matin pour savoir « comment je vais » ou celui qui m’écrit après deux heures à l’attendre au parc : « Désolé, je suis allé jouer au golf. »

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À ma dernière peine d’amour, après ton long discours pour tenter de me réconforter, je t’ai demandé d’une voix tremblante si je trouverais quelqu’un un jour. Tu as pris une petite pause avant de répondre, avec la voix la plus sereine : « J’en suis convaincu. »

C’est à ces mots que je m’accroche. C’est grâce à tes mots si, malgré l’incertitude de l’avenir, je persiste à croire que j’irai mieux. Même si mes amours partent et viennent, je sais que tu seras encore là pour moi jusqu’à ton dernier moment.

Papa, tu as été le premier homme à vraiment m’aimer.

Je ne vous oublie pas, toi et maman. Même si je ne vous appelle pas autant que je le devrais, je pense à vous tous les jours.

Je t’aime tellement,

Ton fils