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L’essence éternelle de Twilight

Au premier ou au millième degré, il y aura toujours une bonne raison d’aimer Twilight.

Par
Pauline Allione
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Difficile de passer à côté de la recrudescence d’images liées à Twilight sur les réseaux. Pêle-mêle : les séquences les plus iconiques du film – les mains d’Edouard qui rattrapent une pomme sur le vif – , des imitations de Bella qui arrose sa nourriture de ketchup, des mèmes tout en paillettes de Robert Pattinson parce que “It’s the skin of a killer, Bella”, tu sais. Entre images issues de la fan culture et parodies du jeu des acteurs principaux, Twilight semble aussi immortel qu’un membre de la famille Cullen. Analyse d’un retour de flamme passionné et teinté d’ironie.

Pas de morsure avant le mariage

J’ai 13 ans, une grosse mèche qui couvre la moitié de mon visage et un portable LG coulissant. Cette année-là, Twilight débarque en salles et se plante dans ma rétine pour chambouler mon imaginaire de collégienne conforme à la masse. Devenue fan absolue de la saga, les ouvrages de Stephenie Meyer s’empilent à côté de mon lit, lui-même entouré d’images de la promo du premier film placardées aux murs. Comme de nombreuses adolescentes, je suis conquise par Bella, ou plutôt par ce que vit son personnage. Campée par Kristen Stewart, Bella est belle malgré un look banal qui mise sur le confort, en plus d’être maladroite et pas hyper sociable. Elle n’est pas vraiment censée se distinguer des autres filles de son âge, mais c’est sur elle, petite nouvelle débarquée de l’Arizona, qu’Edward Cullen, 1m90 de mystère et de peau pâle, jette son dévolu. Vieux d’une centaine d’années, Edward est un mélange entre Peter Parker, Roméo et Nosferatu, le tout dans la plastique de Robert Pattinson. Il est cet amant fort et protecteur : il arrête un van d’une seule main, drague comme au siècle dernier, veille sur sa belle quand elle dort et se refuse au sexe et à la transformation de Bella avant le mariage. Il y a quand même un baiser, mais comme Bella manque d’être vidée de son sang, le couple n’est plus très partant pour retenter l’expérience.

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L’autrice de la saga Stephenie Meyer étant mormone, ses livres véhiculent en effet une vision puritaine de l’amour romantique, où les pulsions sexuelles et vampiriques sont soit contrôlées, soit punies. Ce qui n’empêche pas ses livres de cartonner, au point de remettre la bit littérature (bit, pour “mordre”) et les romances sur fond de surnaturel au goût du jour (Hunger Games, Divergente, The Vampire Diaries). “Twilight puise certainement une part de son succès dans cette dimension morale, chaste et rassurante pour une génération d’adolescentes en mal de romantisme. Cette génération a en effet grandi dans un environnement et des références culturelles submergés par l’omniprésence de la sexualité et de la pornographie” analyse Sébastien Dupont, psychologue et maître de conférences dans L’adolescente et le cinéma (Ed. érès). Couvert d’un vernis émo, le film fait l’effet d’une bombe chez les ados – sauf chez les mecs hétéro qui n’en sont de toute façon pas la cible – en plus de donner à voir l’une des scènes de baseball les plus mythiques du cinéma. Twilight devient une machine à fantasmes adolescents qui déchaîne les passions, pendant que les parents restent imperméables à ce romantisme pensé pour les jeunes filles.

Bijou de second degré

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Réalisé par Catherine Hardwicke avec un petit budget de 37 millions de dollars avant que Twilight ne devienne une superproduction pilotée par des hommes, le premier film indépendant reste le bijou de la série. De loin le plus réussi et le plus charmant, il a aussi des défauts qui n’auront échappé à personne et avouons-le, certaines scènes visionnées à l’âge adulte prêtent clairement plus au rire qu’au fantasme. Difficile de rester de marbre devant Edward qui déracine un arbre d’une seule main dans une démonstration de force torturée, ou face à l’expression de dégoût du vampire lorsqu’il respire l’odeur de Bella pour la première fois. En parallèle du culte adolescent au premier degré s’est donc construit un autre culte, pétri d’ironie et bien plus critique, qui ne se range pas non plus dans la catégorie du hate-watching.

Côté scénario, bien sûr que Twilight met en scène une relation toxique : c’est l’histoire d’une jeune fille banale qui est choisie par l’être le plus exceptionnel, et de loin le plus vieux du bahut. Pas étonnant que Bella devienne une princesse en détresse dépendante d’Edward, qu’elle se livre à des pulsions suicidaires lorsqu’il la quitte et ne prenne de l’assurance qu’une fois changée en vampire – après que son adorable bébé ait détruit son corps d’humaine. On peut aussi reprocher au film des dialogues qui tombent souvent à plat, une réalisation souvent prévisible et un montage pas toujours réussi. Kristen Stewart, surtout, a beaucoup été critiquée et parodiée pour son interprétation peu développée et ses mordillements de lèvres et ses battements de cil à répétition – un jeu qui, selon mon humble avis, colle plutôt bien au faux détachement de Bella et à sa nature anxieuse… Mais honnêtement : le film ne serait pas ce qu’il est sans les bégaiements de Bella et sa façon gênée d’occuper l’espace.

Une aura goth éternelle

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Il y a à peu près autant de raisons de regarder Twilight pour la teen romance qu’elle est que pour son kitsch et ses défauts. De la même façon que relire son journal d’ado peut provoquer un malaise a postériori, le romantisme émo du film peut être plus facile à ingérer au second degré lorsqu’on n’est pas (ou plus) une fille de 15 ans. Comme ce genre de phrases, que Bella elle-même aurait du mal à relire sans se tortiller de gêne à l’âge adulte : “J’étais à peu près certaine de trois choses. Un, Edward était un vampire ; deux, une part de lui – dont j’ignorais la puissance – désirait s’abreuver de mon sang ; et trois, j’étais follement et irrévocablement amoureuse de lui”.

Sans renier les passions brûlantes de son passé de collégienne, il est possible d’aimer vraiment le film et de chérir ses imperfections : et c’est peut-être ça, la maturité. Parce que le premier opus de la saga renferme cette aura gothique, authentique et indépendante que l’on perdra malheureusement dans les films suivants, aux budgets toujours plus gonflés. Je vous laisse sur l’une des nombreuses scènes que Catherine Hardwicke a dû couper au montage, et qui devrait ravire les fans absolus comme les amoureux du cringe. Invitée dans la chambre d’Edward pour la première fois, Bella lui raconte comment, petite, elle jouait avec les crottes de son chinchilla avant d’ajouter : “Maybe it’s weird”. Peut-être. Ou peut-être que c’est juste Bella.

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