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Les rudiments du survivalisme en période de pandémie: on a testé pour vous

Faire du feu en frottant des bouts de bois.

Par
Hugo Meunier
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Par un drôle de hasard, je suis allé suivre une formation avec Les Primitifs il y a quelques semaines, où j’ai appris le temps d’un week-end les rudiments du survivalisme. Faire du feu, se faire un abri en situation d’urgence, dormir à la belle étoile en plein hiver : 36 heures éprouvantes loin du Wifi et du monde civilisé. Un défi colossal pour moi qui déteste tout ce qui implique de ne pas dormir dans un lit douillet. Avec le recul et devant le climat ambiant où l’achat de papier cul vire à l’émeute, cette formation s’avérera peut-être au final l’expérience la plus utile de ma vie.

Mathieu Hébert pointe du menton les conifères, les chênes et les bouleaux enneigés qui s’étendent à l’horizon. Le ton est donné. Malgré tout son amour de la nature, ce survivaliste n’entretient pas de romantisme envers la forêt.

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Pour lui, c’est un lieu utilitaire qu’on a intérêt à connaître aussi bien que les rangées du supermarché pour avoir ne serait-ce qu’une chance de s’en tirer en cas de « bris de normalité » (comme on dit dans le jargon de la survie).

Au loin, on distingue un stationnement, nos voitures, la civilisation. Ce même stationnement où j’ai laissé ma voiture la veille au matin sans me douter une seconde de ce qui allait suivre. Trente-six heures de survie hivernale plus tard, j’ai l’impression de revenir de loin, vaguement désorienté, pris dans une sorte d’état d’apesanteur.

Throwback.

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Samedi matin, le stationnement à l’entrée du Centre aérorécréatif ULM de Saint-Cuthbert, dans Lanaudière, est désert lorsque je m’y gare pour assister au cours de survie en forêt des Primitifs, l’entreprise de Mathieu Hébert. Dans mon sac à dos, les quelques effets exigés : des vêtements chauds (plusieurs couches), un couteau non pliant, un peu de bouffe et un cahier de notes. Pas de duvet, pas de tente : on est en mode survie.

J’étais convaincu que personne n’était assez fou pour payer 100 $ pour se faire chier une nuit dehors en plein hiver. Je me suis trompé.

À ma grande surprise, les voitures affluent. J’étais convaincu que personne n’était assez fou pour payer 100 $ pour se faire chier une nuit dehors en plein hiver. Je me suis trompé. Une trentaine de participants ont répondu à cet appel de la nature.

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Y a pas à dire, le survivalisme connaît son heure de gloire. Sur nos écrans, la réalité des nouvelles rejoint la fiction de la série Épidémie de TVA ou de Jusqu’au déclin, le premier film québécois produit par Netflix qui raconte un cours de survie qui vire mal. Sur le terrain, l’intérêt est aussi palpable. Fondés en 2007, les Primitifs connaissent un engouement depuis 3 ou 4 ans. Les formations – qui vont de faciles à extrêmes, et incluent des ateliers sur les plantes, le camouflage, le pistage, la trappe, la fabrication de panier, etc. – sont complètes des mois à l’avance. Un intérêt qui ne risque pas de se démentir dans le contexte coronavirus-pollution-écoanxiété-Greta actuel. Bref, le timing peut difficilement être meilleur pour apprendre à se débrouiller seul en situation d’urgence.

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Mon nouveau héros

Sérieux, je m’attendais vraiment à une affaire de cinglés qui se construisent des bunkers dans leur cours. Je suis surpris de voir que l’activité attire monsieur et madame Tout-le-Monde. Bon, monsieur surtout, mais il y avait quand même une dizaine de filles, en incluant les instructrices.

Moi à cet âge-là, je ne savais pas mettre du lave-glace et la dernière chose que je souhaitais au monde était de me faire larguer seul dans le bois avec une gang d’inconnus.

Parmi les participants, il y a Gaël Vendette, 16 ans. « J’aime être capable de m’arranger s’il arrive quelque chose, n’importe quoi », m’explique cet adolescent probablement unique en son genre, qui rêve d’acheter une terre à bois avec une serre quatre saisons pour subvenir à ses besoins. Sa mère est venue le reconduire de l’Assomption, l’a déposé avec son sac et est repartie. Moi à cet âge-là, je ne savais pas mettre du lave-glace et la dernière chose que je souhaitais au monde était de me faire larguer seul dans le bois avec une gang d’inconnus.

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Je ne le sais pas encore, mais Gaël deviendra mon héros de la fin de semaine. Déjà, il m’impressionne avec son équipement – une poêle qu’il a fabriquée en soudant un cul de poule à un morceau de métal et une hache homemade. « J’ai pris le manche qui appartenait à mon grand-père et j’ai fabriqué l’étui avec de la tôle », m’explique-t-il. Il dort parfois dehors l’hiver, seul, POUR LE FUN.

Il n’est même pas en train de se la péter. Il est plutôt réservé et je dois lui tirer les verres du nez. Pas comme moi, qui compte me vanter pour les six prochains mois de cette nuit de survie en forêt.

À part Gaël, il y a les frères Plantes – Hugo, Francis et Stéphane, qui veut se faire appeler Rambo dans ce reportage – venus vivre l’expérience en fratrie. Linda, venue avec son fils cadet après une année difficile, et Guillaume, un citadin qui s’est laissé convaincre par un ami déjà initié et qui vient un peu à reculons comme moi. Sans oublier les nombreux Français probablement en quête de leurs grands fantasmes canadiens.

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Retour aux sources

L’aventure débute. On part avec nos sacs pour le briefing d’accueil dans le bois. « Bienvenue aux Primitifs! », lance Geneviève, une instructrice de survie et la conjointe de Mathieu.

Les Primitifs enseignent la survie dite primitive, en phase avec celle de la Tom Brown Jr’s Tracker School. Cette école américaine, fondée il y a une quarantaine d’années par le célèbre (et toujours en poste) survivaliste et pisteur Tom Brown Jr, prône notamment un retour aux sources et aux savoirs traditionnels de nos ancêtres pour atteindre l’autonomie par la nature. Tom Brown Jr aurait lui-même appris dès son plus jeune âge auprès de Stalking Wolf, un Apache qu’il surnommait Grand-père. Le nom de Tom Brown et ses méthodes résonneront à plusieurs reprises au cours de la fin de semaine, notamment de la bouche de Mathieu, qui a suivi des formations à la Tracker School au New Jersey.

« Messieurs, les femmes sont ici pour la formation. Ce n’est pas une agence de rencontre ». Désolé mesdames, mais même l’apocalypse ne vous sauvera pas des gars lourds.

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Le temps est doux et le soleil, radieux, mais c’est l’hiver pareil. Résultat : mes pieds commencent déjà à geler dans mes bottes enfoncées dans la neige pendant que Geneviève évoque les quatre piliers de la survie : abri, feu, eau et nourriture. « Vous allez dépasser vos limites! Vous êtes chanceux, il ne fait pas froid, mais il y aura d’autres défis comme l’humidité. » Elle énumère les quelques règlements de la formation, qui concernent notamment le respect des femmes : « Messieurs, les femmes sont ici pour la formation. Ce n’est pas une agence de rencontre ». Désolé mesdames, mais même l’apocalypse ne vous sauvera pas des gars lourds.

Les instructions de Geneviève sont partiellement étouffées par le vrombissement incessant des motoneiges dans les nombreux sentiers autour, nous rappelant qu’on n’est pas réellement en Nouvelle-France au début du 17e siècle.

Les présentations sont terminées, c’est enfin le temps de se mettre à l’ouvrage. Une bonne chose avant que je doive m’amputer les pieds.

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Notre première mission est d’aménager à l’endroit même où nous sommes, au milieu d’un champ, un lieu de rassemblement baptisé « la salle de classe ». Pas de pelle, pas le choix de se démerder avec les moyens du bord. On pousse la neige pour ériger des murs avec nos mains, nos pieds et, pourquoi pas, nos raquettes (ceux qui en ont). On découpe avec nos bottes des blocs de neige qu’on empile les uns sur les autres. En moins d’une heure, on a bâti un impressionnant abri circulaire avec des murs d’environ 5 pieds, assez haut pour se protéger du vent si on s’assoit à l’intérieur.

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Deuxième mission : ramasser du bois. Comme le feu au centre de l’abri doit brûler toute la nuit, il en faut beaucoup. Pour trouver les branches et rondins nécessaires, il faut avancer dans la neige folle, parfois jusqu’à la taille. Mais à la gang, on parvient en une trentaine de minutes à en charrier des montagnes, réparties ensuite par grosseurs.

Impressionné par le travail accompli en si peu de temps, je songe à aller me faire tatouer « L’union fait la force » en lettres celtiques. On verra.

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La bonne nouvelle, c’est que je n’ai plus froid du tout. Au contraire, je suis en sueur, si bien que je dois déposer mon manteau dans la neige. Mon dos meurtri lors d’une séance de pelletage il y a quelques jours commence à me faire souffrir. Fuck. C’est intense la survie. Mais je suis orgueilleux, je me défonce. Les mots de Geneviève tournent dans ma tête. « Vous allez dépasser vos limites! » Dans mon cas, c’est déjà fait.

Les instructeurs (surnommés padawans, comme dans Star Wars) aménagent des bancs à l’intérieur de la « salle de classe » pendant qu’on nous scinde en petit groupe de cinq. Je me jette sur Gaël, ma meilleure chance de survie. Se greffent à nous Charlot Fontaine et son fils Yohan, 14 ans, ainsi que Maggie, une padawan spécialisée dans le textile qui suit cette formation pour la première fois.

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L’histoire se répète. On doit se trouver un spot et reproduire à petite échelle la salle de classe. Ça sera notre abri pour la nuit.

On s’enfonce dans la forêt en quête d’un endroit propice. Gaël trouve une sorte de clairière au milieu des arbres, à quelques mètres d’un sentier de motoneige. Charlot, un gaillard à la barbe hirsute de Saint-Alexis-des-Monts, commence déjà à pousser de la neige pour monter les murs, imité par son fils.

Maggie – qui a déjà plusieurs formations derrière la cravate – refuse de nous dire quoi faire, histoire de ne pas trop téléguider notre expérience. Nos efforts portent rapidement leurs fruits, notre abri prend forme.

Foyer doux foyer.

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« COME ON IN! », s’égosille une voix en provenance de la salle de classe. « Come on in! », répondent d’une même voix les élèves, comme on nous l’a appris plus tôt. Par respect pour l’école de Tom Jr. Brown, les Primitifs ont adopté le même cri de ralliement. Lorsqu’on l’entend, il faut arrêter ce qu’on fait et converger vers le gros abri des instructeurs.

Jerky et hypothermie

C’est l’heure du cours Hypothermie 101. Ça tombe bien, mes pieds recommencent à geler dès que j’arrête de bouger. Mathieu propose plusieurs trucs franchement intéressants (et rustiques), de catégorie « fais chauffer ta gourde d’eau et colle-la sur ton chest pour te réchauffer ».

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Il explique aussi comment fabriquer un abri de fortune rapide en situation de danger, avec des branches de « vert » et une toile. En guise de démonstration, il s’enroule dans une bâche comme un saucisson. C’est, disons, très « de base », mais ça fonctionne, assure-t-il. « Et quand le froid se fait sentir, tu fais des redressements assis jusqu’à ce que la chaleur revienne. »

Il en fait un peu trop, avec sa vaste expérience et ses bottes de coureur des bois, mais on lui pardonne. Il est plutôt charismatique et convaincant. Il calcule dormir plus de 100 nuits par année à la belle étoile et on le croit. Il a fondé son école pour transmettre son savoir à l’heure où la nature et ses rudiments (plantes comestibles, pêche, chasse, feu, etc.) nous sont devenus complètement étrangers. « On s’habitue à manger du raton laveur! », lance-t-il, au moment où je retourne bricoler notre abri.

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Il avance rondement d’ailleurs. On est de loin la meilleure équipe, grâce à Gaël, notre survivant né. L’autre ado, Yohan, se débrouille pas mal aussi et ramasse des « balais de sorcière ». Ces petites branchailles serviront de lit dans notre « tombeau », un espace recouvert d’un toit de feuilles, de bois et de neige qui peut accueillir une personne à la fois à tour de rôle pour un peu plus de confort. Les autres dormiront autour du feu dans l’abri, à la belle étoile. Sans sleeping bag, je tiens à rappeler.

J’ai mal partout et je sue comme un cochon. Je n’ai plus froid, au contraire, j’enlève à nouveau mon manteau. J’ai le vertige juste à imaginer devoir répéter le même manège tous les jours si j’étais réellement dans une situation de survie.

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Comme le feu sera notre meilleur ami, le ramassage de bois est une étape cruciale. Charlot s’y démène assidûment, avec Gaël et moi. « C’est un bon début, ramassez-en dix fois plus », nous lance une instructrice en voyant notre butin déjà considérable. J’ai mal partout et je sue comme un cochon. Je n’ai plus froid, au contraire, j’enlève à nouveau mon manteau. J’ai le vertige juste à imaginer devoir répéter le même manège tous les jours si j’étais réellement dans une situation de survie.

Gaël me prête sa hache pour couper des billots pour solidifier le tour de notre tombeau. Je ne me suis pas senti aussi viril depuis mes cours de chasse au dindon sauvage, il y a quelques années (oui, j’ai vraiment fait ça).

Je commence à kiffer pour de vrai, comme si j’avais appris à me concentrer sur la seule chose importante sur terre présentement : me fabriquer un abri et ne pas mourir gelé.

J’ai faim comme jamais. Gaël sort du jerky séché, Charlot et son fils ont d’appétissants sandwichs. Comme j’ai lu un peu vite la portion « apportez votre bouffe » des consignes, je mange des amandes en sachet.

Plus que 24 h avant de retrouver la civilisation ET mon micro-ondes.

Entretien avec un feu de camp

Je profite de notre première pause pour faire plus amples connaissances avec mes colocs. Charlot habite dans une « maison de hobbit » en bois rond, sur une terre. Un vrai de vrai gars de bois. La formation ne le dépayse pas trop. Son fils partage son temps entre chez lui et Montréal, où habite sa mère. Il préfère la ville, mais semble quand même à l’aise dans le bois.

J’ai le dos en compote. Dire qu’il y a deux jours, l’ostéopathe me l’a ramanché en me souhaitant que ce week-end ne soit pas trop pénible. Ça l’est.

Mais c’est aussi magnifique. Le jour tombe et un ciel de feu disparaît derrière le sol immaculé et la cime des épinettes. Un motoneigiste s’arrête pour immortaliser la scène avec son téléphone.

« COME ON IN!!!! »

On nous convoque à nouveau. Lucie, une instructrice, nous donne des devoirs pour la nuit : fabriquer une cuillère ou une lance avec le feu (j’ai oublié le nom de la méthode, mais les chasseurs de mammouths faisaient ça, il paraît). Et se faire une tisane avec les épines de n’importe quel conifère des environs, sauf un qui est mortel et dont j’ai oublié le nom. (Si je meurs, je vais réaliser en expiant l’importance de retenir les noms.)

Fuck les devoirs. Cette expérience est déjà assez pénible de même, pas question de m’infliger en plus une tisane au sapin, putain.

On nous prépare à la nuit qui s’en vient. Ça ne sera pas facile, puisque notre corps passera son temps à nous crier très très fort des choses du genre : C’EST L’HEURE DE RENTRER, BORDEL. On nous prédit tout au plus quelques siestes ponctuelles. « Pour moi, 20 siestes de 5 minutes, c’est une bonne nuit », lance Dominic, un instructeur.

Brûle en enfer, Dominic.

Bon, ça caille. C’est l’heure de partir notre feu et se faire une bouffe. Mes amandes commencent à être loin. Je ne veux pas trop manger pour m’éviter des visites aux chiottes à l’extérieur par contre. Un fin renard, je suis.

En attendant la leçon « frotter du bois pour partir un feu », qui est demain, on utilise des bonnes vieilles allumettes. La chaleur du feu est jouissive. Charlot a une blessure à la clavicule et porte une attelle. « Ouais je me disais aussi que c’était peut-être pas l’idée du siècle de venir quand même… », admet-il, en se roulant un joint.

J’aurais tellement dû amener de l’alcool. Je pensais vivre un truc introspectif en solitaire. Si j’avais su qu’on se la jouerait « feu feu joli feu » en groupe, j’aurais traîné une flasque comme les frères Plante (qui ont eu pitié et m’ont donné une gorgée ou deux, au moins). Sobre, je vis dans le regret, presque autant que cette fois où ma copine m’avait dit « inutile de mettre un préservatif, la méthode du calendrier fonctionne super bien. »

Gaël est déchaîné. Il vient de bricoler un support à vêtements au-dessus du feu avec son couteau, du bois et de la corde, en plus de faire chauffer son eau pour cuire sa soupe. Je fais aussi chauffer de la neige pour mélanger à ma lasagne déshydratée du Canadian Tire. Le résultat est moins appétissant que sur la photo, mais ça va.

Coucher dehors

« COME ON INNNNN! »

Shit! Encore? Juste au moment où on devenait confortable autour du feu. On prend tous place dans la salle de classe, cordés comme des sardines. Un vent sec et glacial siffle au-dessus de nos têtes. Mathieu nous parle à nouveau de Tom Brown et de Grand-père l’Apache.

Il nous invite aussi à l’introspection et suggère d’éviter les sujets polarisants comme la politique, la religion et nos ex avec nos camarades d’abri. Merde, moi qui voulais me défouler au sujet d’Anabelle, qui m’a largéu parce que j’étais trop intelligent, zut. DÉSOLÉ DE NE PAS T’AVOIR MALTRAITÉ ANABELLE!

Le speech de Mathieu est long. Je gèle à nouveau. Après une bonne heure, on retourne à nos abris pour la nuit. Les minutes commencent alors à s’égrainer.

Lentement. Je me couche, je m’écrase, je me rassois. J’essaye 1000 positions pour finir par déterminer que le plus « confortable » est de me mettre en position fœtale, la face vers le feu. Yohan dort déjà dans le tombeau, je l’entends ronfler. (Il dormira presque 8 heures, le petit con.) Gaël est responsable d’alimenter le feu, ce qu’il fait avec brio. On a assez de bois, mais on n’aurait pas pu passer deux nuits avec notre quantité.

À ma grande surprise, je réussis à dormir 4-5 heures, ce qui est vraiment bon pour une première nuit hivernale, me dit-on.

À ma grande surprise, je réussis à dormir 4-5 heures, ce qui est vraiment bon pour une première nuit hivernale, me dit-on. J’étais pas trop mal, étendu sur mes billots et réchauffé par une couverture en laine que m’a gentiment prêtée Morrigane, la fille de Mathieu. (Le culte de la laine est très fort, dans le milieu de la survie, où on préfère les fibres naturelles aux « manteaux en plastique ».)

Étendu proche du feu, j’avais un peu peur que ma couverture me transforme en torche humaine et j’ai respiré plus de fumée en une nuit que feu ma grand-mère durant ses 58 ans de tabagisme. Mais j’ai quand même suivi le conseil de l’introspection. Loin du WiFi, nous étions juste cinq étrangers déterminés à survivre jusqu’au matin. Toutes nos conversations tournaient autour du moment présent, du concret : le feu qui baisse, le bois à ramener, les bas à sécher.

Il faut dire qu’on s’en fout un peu de ton point de vue sur la loi machin quand le seul but est de ne pas mourir d’hypothermie. J’ai même été capable de dealer avec les longs silences. Dans un monde post-apocalyptique, on serait tous un peu Paulo Coelho.

Créer une étincelle

Je me lève aux aurores, en même temps que le retour des motoneiges. Gaël doit me soulever tellement mon dos me fait mal. Je finis mon sac d’amandes et mange un bout de saucisse de truite offert par Yohan.

Je visite les frères Plantes à leur campement pas loin. Hugo veille le feu, Francis a sommeillé un peu, mais pas autant que Rambo qui a dormi comme un loir dans l’abri en retrait qu’il s’était patenté. Pas étonnant pour ce maniaque de plein air, qui a escaladé des sommets vertigineux un peu partout dans le monde.

Steve, un des instructeurs qui a fait de la simplicité volontaire un mode de vie avec sa famille, m’offre du café instantané. Jamais le café n’a goûté aussi bon. Ravigoté, je fais le tour des campements voir si tout le monde a survécu. Le campement d’Alex, un Français, est spacieux et une odeur de bacon flotte dans l’air. Mais c’est pas assez pour donner à leur coéquipier Guillaume le goût de répéter l’expérience.

Avant le dîner, nouveau « COME ON IN! », cette fois pour apprendre les techniques de feu sans briquet. L’ultime classique de la survie enfin à ma portée.

En petit groupe, nous ramassons dans la forêt de quoi fabriquer une planchette, une drille, un arc à feu et une pommette, bref tous les outils nécessaires. Ça a l’air compliqué de même, mais ça ne l’est pas tant que ça. Il faut simplement suivre les étapes et s’armer de patience. Beaucoup de patience.

Après avoir gossé mes outils avec mon couteau, je réussis à faire de la fumée, mais pas à allumer le petit lit d’écorce qui n’attendait pourtant que ça. Quelques participants y arrivent du premier coup, notamment un des frères Plante.

Ensuite, Lucie et Morrigane nous entraînent dans le bois pour un atelier sur la flore. En gros, quatre plantes sont vraiment importantes au Québec pour la survie : le pin, c’est plein de vitamine, les cocottes sont comestibles et la gomme est efficace comme pommade. J’ai oublié c’est quoi les trois autres plantes, désolé.

Le passage des motoneiges est assourdissant. Je rate quelques informations, mais pas le bout où Lucie parle de gratitude envers nos amies les plantes. « En survie, apprenez en premier à reconnaître les plantes toxiques qui peuvent vous tuer », recommande Moriganne, en parlant notamment de l’if.

Le sujet passionne les participants, une formation complète sur les plantes est d’ailleurs offerte. Xavier Martel prend des notes. C’est la 3e fois qu’il participe à un atelier des Primitifs. « Cette fois, c’est un cadeau que mes amis m’ont fait pour mon 40e. C’est formidable, on apprend énormément », s’exclame cet enseignant en littérature au Cégep l’Assomption.

Avant la fin, on a droit à un petit cours rapide sur la pose de collets pour attraper les lièvres. Voilà qui complète bien une fin de semaine fort chargée. En deux jours, j’ai appris à me fabriquer un abri, faire du feu, repérer des plantes comestibles ou toxiques et poser des collets. Je suis arrivé avec deux mains gauches, je repars survivaliste.

Juste avant de partir, je croise Linda dans le stationnement, celle qui est venue avec son fils cadet. « C’est une des plus belles fins de semaine de ma vie », s’exclame-t-elle, emballée. Mon cynisme légendaire m’empêche de partager le même enthousiasme, mais force est d’admettre que je ne suis pas prêt d’oublier cette fin de semaine. Et avec la pandémie en cours au moment d’envoyer ces lignes, qui sait si ces quelques notions apprises ici pourront me servir tôt ou tard.