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Les politiques au fight club

Par
Hugo Vincent
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Salut à toi jeune électeur ! Savais-tu que Booba et Kaaris et autres spécimens de la MMA-sphère n’avaient pas le monopole de la castagne ? Nos bien aimés politiciens font eux aussi montre d’un certain savoir faire dans l’art subtil de l’uppercut. Petit florilège de ceux qui ont troqué discours, rhétorique fallacieuse et langue de bois pour le gant de boxe et l’œil au beurre noir. Disciples de Gandhi, détournez les yeux, le parlement se mue en octogone.

Qui aurait pu croire que nos représentants politiques, incarnations achevées de la respectabilité humaine, puissent s’abaisser à de pareilles bassesses musclées. Tout le monde ? Probablement. Et bien que la vue d’un Gérard Larcher en pleine prise de ju-jitsu tranche un tantinet avec l’image prestigieuse que certains se font – pas moi – de la vie parlementaire, force est de constater que le coup de boule est finalement plus rare au football qu’en politique. Pour saisir le délire, en guise d’amuse-bouche, voici quelques exemples historiques et francocorico-français.

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Sous la IIIe République déjà, il n’était pas rare que des Jean Jaurès, Léon Blum et autres Georges Clemenceau règlent leurs divergences à l’hémicycle au sabre, à coups d’épée et au pistolet, dans le cadre très codifié du duel (le dernier en date remonte à 1967 dans les jardins d’une résidence à Neuilly-sur-Seine entre un député socialiste et un gaulliste). Et si la pratique du duel tend à s’affaisser après 1914, ce n’est pas le cas de la violence physique. En 1921, le député communiste Alexandre Blanc inflige une mandale mémorable à l’extrême droitard Léon Daudet, qui rétorque au poing. En novembre 1904 aussi, suite à l’affaire dites des fiches, c’est la maxi baston générale au Palais-Bourbon, plusieurs centaines de députes se foutent des patates de forain dans une ambiance qui n’avait rien à envier à un speed-dating entre supporters PSG-OM. Pour les gourmands, ajoutons une anecdote savoureuse à servir à votre repas de famille pour re-diaboliser le RN : le 15 février 1956, un certain et peu regretté Jean Marie Lepen participe, aux côtes de ses camarades poujadistes, à l’une des plus grandes rixes qu’ait connu le parlement. Selon Combat, celui qui allait devenir le borgne fasciste le plus postillonnant de la vie politique française « accourt, le visage convulsé, et commence à boxer ses premiers adversaires », ce qui donne le signal à une « mêlée générale .

Bigger than life ? Pas vraiment, car le phénomène est vivace et ne connaît pas de frontière. Aujourd’hui encore et à travers le monde entier, la multiséculaire tradition (comme le patriarcat et le café calva) de la bagarre parlementaire se perpétue. Tour du globe de ce qui se fait de mieux en matière de torgnole politicarde.

La plus brutalo-misogyne

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On commence avec du lourd. Nous sommes le 1er décembre 2022 au parlement sénégalais.

Suite à ses propos jugés injurieux envers un chef religieux, la député Amy Ndiaye se voit recevoir une gifle par Massata Samb, un député de l’opposition. Elle réplique avec un lancer de chaise à la technique soignée, une pugnacité exemplaire aussitôt stoppée par un coup de pied dans le ventre, œuvre d’un autre député de l’opposition. S’en suit cohue et valse de poings devant les caméras médusées des journalistes. On n’apprendra plus tard que Madame Ndiaye était enceinte lors de l’altercation. Et sur un continent où près d’un quart des femmes parlementaires disent avoir subi des violences physiques, le retour de baffe est salé. Résultat des courses : amendes substantielles et condamnations à 6 mois des prisons pour les deux députes violents. Cheh !

Mention spéciale pour le lancer de fauteuil, un projectile rarement utilisé comme arme d’assaut, du jamais vu depuis la dernière défaite à Fortnite de mon petit cousin Titouan.

La plus black bloc compatible

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Comment imaginer plus beau spectacle qu’un parlement, allégorie quasi-parfaite de la l’inique domination bourgeoise, en proie aux fusées éclairantes, au gaz lacrymogène et aux banderoles dignes des meilleurs cortèges de tête de vos manifs préférées. Grâce aux Serbes et pour le grand plaisir de nos bas instincts anarcho-communistes, ces vœux sont maintenant exaucés. Depuis novembre dernier et l’effondrement du toit d’une gare qui a fait 15 morts, le pays est secoué par des manifestations anti-corruption massives. Pour l’occaz, l’opposition a mis les petits plats dans les grands. Au menu : fumigènes et jet d’œufs sur gouvernement véreux. Bagarre oblige, plusieurs députés sont blessés dans le nuage de fumée.

Mention spéciale pour le faciès déconfit d’Ana Brnabic, présidente du parlement, qui arbore un seum anthologique, du jamais vu depuis la dernière défaite à Fortnite de mon petit cousin Titouan.

La plus culte

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Nous voilà maintenant le 15 mars 44 avant J.-C à Rome. Faisant fi des rumeurs de complot à son encontre, Jules César et sa légendaire calvasse pavoisent dans la Curie de Pompée, édifice où le Sénat tient ses sessions. Pourtant, des dizaines de sénateurs ont des pulsions de slasher envers le dictateur, craignant pour l’avenir du régime sénatorial et oligarchique. À peine installé dans la salle, Jul en mode passoire, il est frappé de 23 coups de poignard par une cohorte de conspirateurs furibards.

Mention spéciale pour la dextérité au couteau de Marcus Junius Brutus, fiston spirituel du tyran, qui lui porte le coup de grâce. Espérons que son sens de l’initiative puisse encore aujourd’hui susciter quelques vocations du genre parricide (précisons que Elon Musk a eu 14 enfants, il y a quand même moyen de moyenner).

La plus testostéronée

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En Ukraine en 2012, les images parlent d’elles-mêmes. Frange pro-russe VS frange pro-Ukraine. Il n’a suffit que d’une question technique sur le respect du vote personnel de chaque député pour transformer tout ce beau monde en Joe Dalton enragé bave au lèvre.

Mention spéciale à l’actuel maire de Kiev Vitali Klitschko, champion de boxe et golgoth de 2 mètres, qui reste à l’écart des gesticulations puériles. Master class stoicism, Épictète qui twerke de respect dans sa tombe.

La plus archétypale

Le meilleur pour la fin. Quant aux escarmouches parlementaires, Taïwan est un cas d’école,. Sur le net, vous trouverez des dizaines d’articles de presse qui relativiseront un poil l’affirmation selon laquelle LFI bordélise l’hémicycle français : « Bombes à eau et bagarre générale au parlement de Taïwan », « Des entrailles de porc jetées lors d’un débat au parlement », ou encore « Un élu s’enfuit littéralement du Parlement après avoir arraché les bulletins de vote d’un projet de loi ».

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Les bastons y sont réellement récurrentes depuis 35 ans, à un point tel qu’elles servent de point de départ à « Making Punches Count », une étude plus large qui explore la violence dans les législature du monde entier. Pourquoi tant de haine me direz-vous ? Et bien selon les deux auteurs Nathan F. Batto et Émilie Beaulieu, lorsque des politiciens pratiquent la beigne et le coup de savate sur le parquet législatif, il s’agit d’une stratégie calculée. Au delà du dispositif médiatique qui participe à une certaine spectacularisation des échanges, « ils essaient d’envoyer un message sur eux-mêmes, sur qu’ils sont et sur quel genre de personne il sont, à un public spécifique qui peut les aider dans leur carrière politique ». Le public cible serait donc plutôt constitué de fervents partisans, d’électeurs déjà gagnés la cause. « Ils n’aimeront peut-être pas ça non plus, mais ils apprennent quelque chose sur vous. Vous leur envoyez un message crédible : vous êtes un bon soldat partisan, vous allez vous battre pour les positions du parti, vous êtes prêt à en payer le prix. »

En bref : ils sont venus ici pour souffrir ok !

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