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Le(s) pervers de LinkedIn

Ils hameçonnent des jeunes femmes en se faisant passer pour des recruteurs.

Par
Isabelle Delorme
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Lorsque j’ai terminé mes études, on ne faisait pas encore la pêche au stage ou à l’emploi sur LinkedIn et on ne passait pas d’entretiens sur Zoom. J’ai donc toujours rencontré mes potentiels employeurs dans des bureaux respectables ayant pignon sur rue. Un temps que regrettent peut-être les jeunes femmes qui témoignent depuis quelque temps sur LinkedIn où elles ont été la proie d’un pervers. Sa méthode ? Hameçonner des jeunes femmes en se faisant passer pour un recruteur en quête de la perle rare. Mais c’est bien autre chose qu’il recherche en réalité. Comment ce (ou ces) pervers s’y prennent-ils ? Et surtout, comment s’en protéger ? J’en ai parlé avec une experte du recrutement.

Des entretiens bidon

Plusieurs jeunes femmes ont été victimes du même pervers, une affaire judiciaire est actuellement en cours. C’est pourquoi les témoignages que nous restituons proviennent de leurs posts LinkedIn (nous avons changé leurs prénoms).

Carole raconte qu’après avoir déposé son CV sur LinkedIn, elle a reçu un appel dans la demi-heure. Toute contente d’avoir un retour aussi rapide, elle accepte l’entretien de son interlocuteur qui se dit intéressé par son profil. « Le Zoom commence, je suis la seule à mettre ma caméra mais ceci étant mon premier entretien, je ne me suis pas posé de question, rapporte la jeune femme. Il se prétend être une agence de communication avec 22 salariés. Il me demande de me présenter, tout se passait bien, puis me demande 3 qualités/défauts… Il me dit alors qu’il me donne l’alternance dans la journée si je suis capable de répondre à toutes ses “missions”. Il me demande de me lever, de me mettre de profil, de baisser ma caméra vers mes fesses, de réfléchir à des “gages” que je serais capable de faire pour lui. J’ai alors compris, après 15 minutes d’entretien, que j’avais affaire à un pervers avec qui j’ai directement coupé la conversation ».

« Il m’a demandé plusieurs fois de changer de tenue, de baisser la caméra, et me parlait de “châtiments” »

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On aurait pu croire à une malencontreuse aventure isolée si le post de Carole n’avait pas rencontré autant de succès. Car plus d’une vingtaine de jeunes femmes ont réagi en témoignant qu’elles avaient été victimes du même type de fraude, dont certaines – mais pas toutes – avec le même individu. « Le monsieur m’avait demandé de faire un entretien en mode “action – vérité” et du coup j’avais compris tout de suite que c’était fake », raconte Nadège. « J’étais en recherche d’alternance et je me suis retrouvée au téléphone avec un homme qui m’a demandé de citer mes qualités et défauts physiques. Il m’a aussi demandé à quoi j’étais prête pour avoir le job, comment je comptais m’habiller, si j’étais plutôt soumise ou meneuse et si j’acceptais le bizutage… En bref, 20 minutes d’entretien téléphonique pendant lequel j’étais complètement tétanisée… », confie Fanny. « Il m’a demandé plusieurs fois de changer de tenue, de baisser la caméra, et me parlait de “châtiments”, chose d’après lui très courante en agence de publicité », rapporte pour sa part Valérie.

Protéger ses données personnelles

Sophie Bellec est consultante en recrutement à Nantes. Selon la professionnelle, il y a plusieurs moyens d’hameçonner une victime pour de faux recruteurs, car on peut tout aussi bien imaginer une annonce bidon. Mais sur LinkedIn, c’est particulièrement facile car l’hameçonnage n’exige pas une préparation ou des moyens matériels élaborés. Même si on s’entend bien que ces jeunes femmes sont évidemment des victimes et qu’elles ne sont aucunement en faute dans ce genre de traquenard, nous avons demandé à Sophie Bellec ses conseils pour éviter de se faire piéger. Elle nous a livré deux clés importantes.

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En premier lieu, protéger ses données personnelles. « Ne pas afficher son courriel ou son téléphone, ni son CV sur internet », conseille celle qui avoue avoir une divergence sur ce point avec certains de ses confrères et consoeurs. « Avant même d’avoir eu connaissance de ce type d’agissements, je le déconseillais déjà pour se protéger du phishing car une adresse lisible sur le web peut donner lieu à un hameçonnage purement commercial », explique l’experte qui précise que les recruteurs ont généralement un abonnement spécifique sur LinkedIn avec un interface recruteur qui leur permet de contacter facilement les candidats sans que ceux-ci soient exposés. On peut en revanche déposer son CV dans une base de données de l’APEC, par exemple, car cette dernière est mieux protégée, selon la consultante.

Demander des informations

Le deuxième conseil de Sophie Bellec : vérifier l’identité de la personne avant d’accepter tout contact. « Une entreprise sérieuse donnera de l’information. N’hésitez pas à demander un lien vers le site web, l’annonce ou demander la fiche de poste…. “Quelle société, qui, pour quel poste ?” sont de bonnes questions à poser. Cela décourage le pervers qui cherche à sévir sur LinkedIn, c’est un conseil de bon sens pour se préparer à un entretien », conseille celle qui précise que si vous avez un mail d’université ou d’école, c’est une bonne idée de l’utiliser dans le cadre de votre recherche d’emploi. Ainsi, vous préservez votre adresse privée.

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De manière générale, évitez de laisser votre adresse mail traîner sur internet. « Un robot est tout à fait capable d’aller chercher une adresse courriel sur internet. Si vous êtes en recherche active d’emploi ou de stage, il vaut mieux être attentif et réactif lorsque vous recevez des propositions », conseille la consultante.

Et gardez quand même vos sens en alerte quand vous êtes dans des bureaux tout à fait recommandables. Les témoignages que l’on peut lire en ce moment dans la presse concernant un journaliste de renom m’ont rappelé l’époque où mon boss de 50 ans m’avait demandé si je pourrais sortir avec un homme de son âge (j’avais 26 ans et j’étais mariée). Il avait posé la même question à ma collègue du même âge. Certes, il n’a pas eu de geste déplacé, mais si ça m’arrivait aujourd’hui, je crois que je lui sauterais à la gorge.