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Les Noëls de Marie-Noël : quand les délices des Fêtes deviennent synonymes de honte

Les troubles alimentaires s'invitent à la table.

Par
Marie-Hélène Racine-Lacroix
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Marie-Noël a 6 ans. Il fait encore noir dehors et il neige doucement. Elle est déjà levée et attend patiemment sa famille, les yeux brillants devant le sapin qui lui semble infiniment grand. Elle a hâte aux cadeaux, aux câlins de Maman, et particulièrement aux crêpes de Papa.

Marie-Noël a 7 ans. Son frère et elle déballent leurs cadeaux en buvant un grand chocolat chaud avec une grosse guimauve. Dans une grande boîte étoilée, sous une boucle plus grosse que sa tête, elle découvre une petite cuisinette avec laquelle elle jouera beaucoup. Cette année-là, elle fera beaucoup de soupes et de gâteaux imaginaires pour toute sa famille.

Marie-Noël a 8 ans. Elle a chaud dans son gros manteau, sur la banquette arrière de la voiture de Maman. Elle invente une histoire pour son petit frère et a hâte d’arriver chez sa grand-mère. Marie-Noël est excitée, sa grand-maman est la meilleure cuisinière au monde. Elle a particulièrement hâte à ses fameuses patates pilées. On ne mange presque jamais de pommes de terre chez Marie-Noël. Alors, pour elle, c’est très spécial.

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Marie-Noël a 9 ans. Tout le monde rit et parle fort au salon. Grand-Maman entre avec un plateau fumant, plein d’amuse-bouches plus appétissants les uns que les autres. Marie-Noël et sa cousine Zoé en prennent avec plaisir, mais Tante Julie refuse avec un petit sourire. Elle surveille sa ligne, explique-t-elle. Tante Suzanne refuse aussi poliment, expliquant que tout ça lui va directement dans les fesses. Tant mieux, se dit Marie-Noël, plus de bouchées pour nous.

Marie-Noël a 10 ans. Son estomac gargouille quand tout le monde se dirige enfin vers la salle à manger. Grand-Maman décore toujours magnifiquement la table. Devant elle, Marie-Noël observe l’ange tenant une grande chandelle, les petits bibelots festifs et les diverses assiettes blanches et dorées garnies de plats appétissants. Tout le monde se sert et Marie-Noël commence par ses patates favorites. Tonton Guillaume rit, en disant au père de Marie-Noël que sa fille a vraiment un bon appétit. Marie-Noël compare alors son assiette à celle de sa tante Julie. Elle se sent coupable, mais ne comprend pas pourquoi.

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Marie-Noël a 11 ans. Elle a très faim, n’ayant goûté qu’à un seul des petits-fours servis au salon. Elle n’a pas aimé comment ses tantes la regardaient quand elle a voulu se resservir. Elle attend un peu avant de remplir son assiette, imitant celle de sa cousine. Quand Zoé est arrivée, la mère de Marie-Noël a complimenté sa poussée de croissance et sa taille svelte. Marie-Noël regarde ses cuisses et les trouve énormes à côté de celles de sa cousine.

Marie-Noël a 12 ans. Grand-Papa entre fièrement dans la salle à manger avec sa fameuse bûche de Noël. Elle semble aussi appétissante que les années précédentes. La mère de Marie-Noël sert toute la famille. Quand vient son tour, Marie-Noël est perplexe; sa portion est beaucoup plus petite que celle de son frère. Quand il demande un autre morceau, elle dit en vouloir un aussi, mais change d’idée quand elle voit sa tante Suzanne rouler des yeux.

Marie-Noël a 13 ans. Elle s’est portée volontaire pour débarrasser la table. Elle a mal à la tête. Alors qu’elle met les restes dans des plats en plastique, elle se permet quelques bouchées de plus même si elle se sent coupable de manger. De la cuisine, elle entend ses tantes et sa mère parler de leur régime et prend mentalement en note les aliments qu’elle essaiera vraiment fort d’éviter dans la prochaine année.

Marie-Noël a 14 ans. Toute la famille est rassemblée au salon, prête pour les cadeaux. Marie-Noël est de mauvaise humeur. Même si elle n’a pas mangé à sa faim, elle se dit qu’elle a exagéré. Elle a entendu Suzanne dire qu’elle semblait large pour une fille de son âge. Sa mère lui a répondu qu’elle pense que sa fille mange en cachette. Marie-Noël se sent comme un échec.

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Marie-Noël a 15 ans. Elle déballe un cadeau de sa tante Julie. C’est un livre de recettes sans gras. Julie ne sait pas que Marie-Noël ne cuisine presque plus.

Marie-Noël a 16 ans. Elle est contente d’enfin être en route vers la maison. Elle est épuisée.

Marie-Noël a 25 ans. Elle a hâte de voir sa famille, de leur présenter sa copine et de manger la bouffe de sa grand-mère. Elle est quand même anxieuse; elle sait qu’une partie d’elle lui dira qu’elle ne mérite pas de manger. Elle sait aussi que ce n’est pas vrai. Elle décide d’ignorer les conversations sur les diètes au salon et aide sa grand-mère avec le souper.

Marie-Noël est une excellente cuisinière.