Un soir, je me suis retrouvé dans un bar un peu miteux. Je devais avoir à peu près 19 ans, et mes amis et moi avions simplement le goût de boire de la bière cheap et jouer au billard. Un homme plus âgé s’est approché du jukebox près de nous, a inséré ses pièces, et a joué trois tounes de Pearl Jam de suite. « Vous connaissez sûrement pas ça, vous, les jeunes », nous a-t-il lancé. « Ça, c’est Pearl Jam, et si vous aimez pas ça, on peut se battre dans le parking! ».
Bien entendu, je sais que c’était (à moitié) une blague. Mais c’est un truc qui arrive souvent, surtout dans le monde de la musique : les gens plus vieux sont incapables d’accepter que leurs classiques ne valent la plupart du temps absolument rien aux yeux des jeunes.
En décembre 2019, Twitter s’est enflammé, après que Billie Eilish ait avoué au micro de Jimmy Kimmel qu’elle n’était pas familière avec le répertoire musical de Van Halen.
Mon nom de DJ est Ativan Halen, un jeu de mots sur Eddie Van Halen, guitariste du groupe et un des musiciens les plus légendaires de tous les temps. Si vous saviez combien de gens, dans tous groupes d’âge, ne comprennent pas la référence et ne connaissent même pas Eddie de nom. Et c’est vraiment pas grave.
Pourquoi est-ce qu’autant de gens se mettent autant en colère contre une jeune fille de 17 ans, qui fait de la pop, parce qu’elle ne connait pas Van Halen, un groupe qui n’a connu aucun véritable succès radio depuis au moins 4 ans avant la naissance d’Eilish? Même Wolfgang, fils d’Eddie et bassiste pour le groupe, s’est porté à la défense de la jeune chanteuse. « Si vous ne connaissez pas Billie Eilish, allez voir ce qu’elle fait. Elle est cool », a-t-il écrit sur Twitter. « Si vous ne connaissez pas Van Halen, allez voir ce qu’ils font. Ils sont cool aussi. La musique est sensée nous rassembler, pas nous diviser. Écoutez ce que vous voulez et ne riez pas des autres lorsqu’ils ne connaissent pas ce que vous aimez ».
Les jeunes et les vieux ont toujours clashé à propos de la musique. Sûrement que vos parents riaient de vos grands-parents qui préféraient Fernand Robidoux aux Rolling Stones. Rappelez-vous aussi les tollés qu’ont soulevés The Beatles et Elvis Presley à leurs débuts : depuis ce temps, la musique appartient aux jeunes, et les plus vieux ont du mal à s’en remettre.
C’est un phénomène encore plus important dans le hip-hop. Quand Vince Staples a avoué qu’il préférait le hip-hop des années 2000 à celui des années 90, les old heads ont viré complètement fous. Pareil quand Young Thug a dit qu’il n’achèterait jamais un album de Jay-Z.
Mais c’est non seulement normal, c’est sain pour l’industrie de la musique. Imaginez un Québec sans kids comme Hubert Lenoir, jeunes et audacieux qui brisent tout sur leur passage. Si la scène musicale au Québec était ciblée pour les classiques de l’âge médian, se situant à 42 ans, on se retrouverait avec pas grand-chose d’autre que Céline, Marjo et Kevin Parent. Qui sont tous d’excellents artistes, by the way. Mais en tant que société, on mérite du nouveau, et on ne devrait pas avoir à exiger des jeunes artistes qu’ils aient une formation en histoire musicale.
La scène doit avoir de nouveaux artistes ambitieux et qui s’affranchissent du canon musical et culturel pour créer leur propre son. Est-ce que c’est intéressant de connaître la discographie de Van Halen, ou des Beatles? Oui, certainement. Est-ce que c’est nécessaire pour être artiste? Absolument pas, et Eilish le prouve du haut de ses 17 ans et ses six nominations aux Grammys, avec seulement un (excellent) album dans la poche.
Tout ça pour dire, laissez les jeunes écouter ce qu’ils veulent. Je m’imagine mal me fâcher contre mon neveu de 6 ans parce qu’il ne connait pas « Femme Like U »; pas plus que je rirais d’un boomer qui n’a jamais lu Les fleurs du mal.
On a tous nos classiques, et un jour dans 40 ans, une nouvelle pop star ne connaitra pas Billie Eilish. Et c’est très bien comme ça.