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Les insectes sont prêts pour nos assiettes, mais le sommes-nous ?

L’entomophagie ressemble de plus en plus à une inévitabilité plutôt qu’une tendance.

Par
Billy Eff
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Sous la dent, les graines de citrouille craquent avant que n’explose en bouche le goût du cacao, du chocolat et des myrtilles séchées. Dans le ventre, la satiété ne prend pas de temps avant de se faire sentir. Dans cette boule énergétique créée par le chef réputé Daniel Vézina et son équipe, on trouve environ la même teneur en protéines que dans un polpette italien.

Le secret ? Devant nos yeux, le chef Vézina a concocté ces boules en les anoblissant avec des feuilles d’or et des… ténébrions, une espèce d’insectes coléoptères.

Ce n’était, après tout, qu’une question de temps. Dans la dernière décennie, le nombre de start-ups affirmant qu’elles vont « révolutionner » le monde de l’alimentation grâce aux insectes a explosé.

Que ce soit pour leurs vertus nutritives ou pour leur impact beaucoup moins important sur la planète que celui de la plupart des autres sources de protéines, sauterelles, larves de ver à soie, ténébrions et près de 2 000 autres espèces d’insectes comestibles semblent offrir une alternative viable à notre mode d’alimentation, et aux défis climatiques auxquels nous continuerons de faire face pour les siècles à venir.

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Entomo-quoi?

Les boules énergétiques élaborées par le chef Vézina joignent une multitude d’autres offrandes entomophages, dont des friandises type Pocky japonais avec de la propolis d’abeilles, une tapenade aux ténébrions et des amandes aux sel de grillons, dans une nouvelle initiative appelée Entomomiam. Fruit de la collaboration entre Vézina et l’Insectarium de Montréal, cette boîte gourmande a pour but de promouvoir et de démocratiser l’entomophagie au Québec, grâce à des ingrédients du terroir.

« C’est une source de protéine de type ”super aliment” peu énergivore qui ne prend pas de place et qui peut avoir un impact positif sur la biodiversité. En effet, en utilisant moins d’espace, moins d’eau et moins de pesticides pour produire la nourriture nécessaire à la production de viande, on libère cet espace au profit de la nature et de la biodiversité, incluant les insectes », explique Maxim Larrivée, directeur de l’Insectarium de Montréal.

L’Insectarium joint sa voix à celle de plusieurs autres organismes dans le monde qui souhaitent intégrer les insectes à notre alimentation. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (ONUAA) a notamment une équipe dédiée à la promotion et la recherche de l’entomophagie comme solution possible non seulement à l’insécurité alimentaire et à la malnutrition, mais aussi à plusieurs enjeux environnementaux.

Nous consommons chaque année plusieurs grammes, jusqu’à deux livres, d’insectes sans le savoir, comme des fragments se retrouvent dans nos aliments préparés

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Car au-delà de leurs vertus alimentaires, les insectes comestibles contiennent des protéines, des vitamines et des acides aminés essentiels. Ils ont également un taux de conversion alimentaire élevé : les grillons ont besoin de six fois moins de nourriture que les bovins pour produire la même quantité de protéines. De plus, leurs émissions de gaz à effet de serre sont considérablement plus basses, et ils peuvent être élevés sur des matières organiques en décomposition.

Une industrie qui fourmille

Il n’est pas très compliqué de nos jours de trouver des insectes séchés ou broyés qui peuvent servir dans la composition d’aliments, ou être ajoutés, par exemple, à des shakes protéinés pour les athlètes. Certain.e.s ont trouvé le moyen de les ajouter dans des mélanges de pâte à pain, sous forme de farine, ou de sauce spaghetti fauxlognaise avec des morceaux broyés.

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Du côté du Canada, la ferme ontarienne Entomofarms possède plus de 5000 mètres carrés de culture d’insectes divers, et compte parmi ses investisseurs le géant agroalimentaire Maple Leaf Foods. Car comme vous pouvez vous en douter, de grandes entreprises gardent un œil sur ce marché qui est appelé à valoir plusieurs milliards de dollars dans les cinq prochaines années.

Franchir la barrière psychologique

Notre dégoût face aux insectes est une construction sociale et géoculturelle : les Européen.ne.s n’ayant pas une grande culture d’entomophagie, les colonisateurs n’ont pas adopté celle des communautés autochtones présentes sur le territoire. De plus, une vision négative des insectes comme étant impropres à la consommation parce qu’ils seraient « sales » reste présente dans l’imaginaire collectif, sans parler des restrictions dans certaines religions.

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Une étude comenée par l’Université Laval auprès de 700 personnes en Amérique du Nord et en Europe démontre que « plus de 90 % des gens qui ont déjà mangé des insectes sont prêts à le refaire ». Mais seul.e.s 54% des francophones européens l’ont déjà fait.

Toutefois, comme peut vous le confirmer n’importe quel enfant de cinq ans qui a trouvé un livre “Le saviez-vous ?”, nous consommons chaque année plusieurs grammes, voire jusqu’à un kilo, d’insectes sans le savoir. Des fragments se retrouvent dans nos aliments préparés comme le chocolat et le beurre d’arachides, ou encore dans des sachets de légumes congelés et nos cosmétiques.

au-delà de leurs vertus alimentaires, les insectes comestibles contiennent des protéines, des vitamines et des acides aminés essentiels

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Mais on mange toutes sortes d’autres trucs bizarres. Du miel, déjà, qui est *littéralement* des régurgitations d’insectes, mais aussi des fromages nauséabonds (qui semblent encore plus étranges que des insectes, dans des secteurs plus entomophages du monde), des escargots, des huîtres et même des homards qui, comme plusieurs insectes, appartiennent à la famille des arthropodes. (C’est d’ailleurs un bon moment pour vous mettre en garde d’éviter les insectes si vous avez une allergie aux fruits de mer, car ils peuvent provoquer des effets semblables.)

De la bouffe pour nous… ou pour notre bouffe?

Que vous le vouliez ou non, la majorité des gens qui étudient sur le futur de l’alimentation prédisent un futur où l’on en consommera. Et d’ici là, si nous refusons de le faire, les insectes serviront à nourrir nos animaux. C’est d’ailleurs la moitié du combat de l’ONUAA.

On retrouve déjà de la farine d’insectes dans la nourriture pour animaux de compagnie, et de plus en plus de gouvernements et d’entreprises se penchent sur le potentiel des insectes pour nourrir nos animaux de ferme. À l’échelle mondiale, près du tiers de la terre arable est utilisée pour produire des grains et autres aliments qui se retrouveront dans l’alimentation des animaux que nous mangeons. Des recherches de l’ONUAA démontrent que de la moulée d’insectes pourrait « remplacer entre 25 % et 100 % » de l’alimentation courante dans nos élevages, puisqu’après tout, plusieurs de nos protéines animales préférées comme le poulet et les poissons se nourrissent déjà d’insectes dans la nature.

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Avec des milliers d’espèces comestibles, il y a tout un monde gastronomique qui réside dans l’entomophagie et qui est porteur d’espoir sur les plans gustatif, sociétal et environnemental. Reste plus qu’à franchir la barrière mentale et à se laisser tenter par les textures inconnues, les goûts inattendus et les modes variés de cuisson qu’offrent les insectes.

Il a fallu des années de travail pour que des aliments comme les sushis, les huîtres et des produits fermentés comme le kimchi se taillent une place dans notre assiette, et il en faudra probablement autant pour que sauterelles et ténébrions s’implantent fermement dans nos traditions culinaires. Suffit d’en créer de nouvelles !