On savait déjà que les femmes étaient plus susceptibles de subir du cyberharcèlement sur les réseaux sociaux que les hommes. Ainsi, selon une enquête menée par Amnesty International en 2017 dans huit pays à travers le monde, environ 25% des femmes auraient déjà été victimes de harcèlement sur Internet au moins une fois, contre 19% des hommes.
Mais on découvre aussi sans grande surprise depuis quelques semaines, que la probabilité de se prendre des torrents de haine sexiste dans la tronche augmente encore davantage lorsqu’on est influenceuse, et qu’on a le malheur de sortir avec un autre influenceur célèbre. Ainsi, certaines stars des plateformes numériques ont beau avoir des carrières solidement installées et des millions de fans, leur succès ne les immunise pas contre le sexisme et la bêtise humaine.
Car dans la tête de certains mecs, elles restent avant tout les propriétés de leurs petits copains. Des sortes d’extensions de leurs personnalités favorites, qu’il convient de rappeler à l’ordre quand elles refusent de jouer les potiches, ne tiennent pas convenablement leur rôle de premières dames du Youtube Game, ou pire encore : qu’elles osent émettre un avis ! Et cet inquiétant phénomène en dit long sur le masculinisme rampant, qui gangrène la sphère virtuelle. Voyez plutôt…
SEB ET LENA SITUATIONS
En janvier dernier, Léna Situations postait une vidéo teaser de son émission Canapé six Places, dans laquelle elle dansait, accompagnée de plusieurs amies, et de son invité du jour Matt Pokora. Et il n’aura suffi que de quelques mouvements de twerk – pourtant exécutés en solo – pour déclencher un raid de commentaires bien misogynes et un tsunami d’insultes.
Car oui, danser dans une vidéo dans laquelle apparait un autre mec serait “impudique”, “indécent”, et surtout “irrespectueux” pour une partie de la communauté de fans de Seb, son illustre compagnon, également star de Youtube. Des centaines de jeunes hommes se sont d’ailleurs aussitôt empressés de le taguer dans les commentaires, en feignant la sollicitude et en convoquant la solidarité masculine face à cette prétendue humiliation publique. Léna Situations n’a pas tout de suite réagi et a laissé passer quelques jours avant de confier son ras-le-bol à ses abonné.es.
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Il faut dire que la jeune femme a désormais l’habitude de ce genre de campagne de cyberhaine. Qu’il s’agisse de body shaming pour une tenue qui dévoile son corps sur un tapis rouge, ou de moqueries ad nauseam sur Twitter à propos de sa nouvelle coupe de cheveux : au total, la jeune femme a connu près d’une dizaine d’attaques de ce type depuis le début de sa carrière !
Et parmi ces campagnes de harcèlement en ligne, trois sont directement liées à son couple avec Seb. Ainsi, avant la dernière en date, il y a eu l’épisode “Ballon d’or”, au cours duquel des cinglés – tendance vide-ordures – se sont carrément rendus au domicile de sa mère pour l’intimider. Son erreur ? Avoir plaisanté sur le fait de ne pas avoir reporté un voyage de couple à Los-Angeles afin de permettre à son copain de se rendre avec elle à la cérémonie annuelle des stars du foot, à laquelle elle (et non Seb) avait été invitée.
Mais il y a également eu le scandale de sa soirée anniversaire, lorsque ses potes ont engagé des strip-teasers pour marquer le coup, et qu’une vidéo a circulé dans laquelle on apercevait les chippendales danser quelques secondes auprès d’elle. A nouveau, Léna et sa famille ont reçu des milliers de messages d’insultes mettant en cause son attitude vis-à-vis de Seb… À votre avis, combien de raids de ce type a connu son copain depuis qu’il a créé sa propre chaîne ? Et ce malgré sa participation récente à la vidéo de Squeezie “Le Pire Date”, un jeu dans lequel des candidats s’affrontent en prétendant séduire des comédienn.es ? Indice : le chiffre rime avec machos et réseaux…
CHLOÉ GERVAIS ET SQUEEZIE
Bien qu’ils n’aient jamais vraiment confirmé officiellement leur relation, la rumeur enfle depuis quelques mois sur Internet : Squeezie serait en couple avec l’influenceuse Chloé Gervais. Et les fans du Youtubeur aux 18 millions d’abonnés ont récemment décidé de s’en prendre massivement à sa prétendue petite amie. La raison ? La jeune femme s’est exprimée sur ses réseaux pour alerter contre le nouveau hashtag à la mode “abrège frère”. Cette tendance, issue d’un compte Tiktok qui résume des vidéos en quelques secondes pour vous éviter de perdre des heures de vie à les regarder dans leur intégralité, fait fureur depuis quelques semaines sur Internet.
Si ces posts à portée humoristique ne sont pas intrinsèquement misogynes, beaucoup d’utilisatrices des plateformes leur reprochent un biais sexiste (la plupart des vidéos abrégées sont celles de femmes aux activités présentées comme futiles, c’est à dire le maquillage ou l’habillement) et tirent la sonnette d’alarme sur la récupération de ce gimmick faite par des communautés de mascus pour silencier les créatrices de contenus.
Et ce genre de prises de position, ça ne plait pas vraiment aux idolâtres de Squeezie, qui ont violemment attaqué Chloé Gervais sous prétexte qu’elle ferait honte à leur vidéaste adoré par ricochet. Morceaux choisis : « Squeezie, tiens ta meuf, on s’en bat les couilles elle dit n’importe quoi. » « Dis-lui de fermer sa gueule », « à part Squeezie, elle n’a rien pour elle ». Ils ont même été jusqu’à diffuser des vidéos d’elle en boîte de nuit, insinuant qu’elle nuisait à sa réputation, et que Squeezie méritait leur compassion, parce qu’elle commettait l’outrage suprême de boire de l’alcool en soirées… Allo le XIIème siècle, vous pouvez venir récupérer vos prix Nobel ?
Chloé Gervais aurait-elle reçu autant de critiques, si elle n’était pas la supposée compagne du premier Youtubeur de France ? Probablement pas. En effet, ce n’est pas la seule influenceuse à avoir mis en lumière ce problème, et bien que certaines d’entre elles aient également été victimes de messages sexistes, aucune n’a eu à subir un tel déchaînement de haine et un tel acharnement. Et pour cause : la jeune femme dérange doublement.
D’une part car elle tient un discours féministe, d’autre part car les meutes de machos arriérés qui constituent une partie de la fanbase de Squeezie ne peuvent pas tolérer que leur modèle aime la personne qui délivre ce discours. Autrement dit, que Squeezie ne partage pas leurs valeurs rétrogrades, et leurs stéréotypes de genre faisandés. Pire, ils ont peut-être peur d’être contaminés, par association, et de se mettre à hurler “Mort au patriarcat !” dans leur sommeil. Toujours est-il que ça les ébranle dans leurs certitudes et leur masculinité fragile, et qu’ils font donc – très logiquement – payer ce sentiment de trahison à la partenaire de leur vidéaste préféré.
UN PHÉNOMÈNE ENCOURAGÉ PAR LES PLATEFORMES
La violence sexiste sur les réseaux n’est pas un épiphénomène à prendre à la légère, qui toucherait uniquement les stars de Youtube : elle a des répercussions terrifiantes dans le monde réel. En effet, d’après le site Data & Society, en 2016, 41% des femmes américaines âgées de 15 à 29 ans confiaient s’autocensurer par crainte de subir du harcèlement en ligne.
Une angoisse qui traverse les frontières, et n’est pas prête de s’estomper, puisque selon une autre étude récente, britannique cette fois-ci, “l’effet spirale” des plateformes numériques (c’est-à-dire la sélection des vidéos recommandées de manière exponentielle par l’algorithme), encourage fortement la normalisation d’idées misogynes sur Internet. Ainsi, en seulement quelques jours, TikTok multiplie par quatre le nombre de contenus sexistes suggérés à ses utilisateurs, pour peu qu’ils aient eu le malheur de cliquer une fois sur la vidéo d’un créateur tenant ce genre de propos.
Pire encore, l’algorithme suggère très rapidement à ses nouveaux utilisateurs des vidéos masculinistes, s’ils ont des profils dont les centres d’intérêt tournent autour du sport et de la musculation, mais également de la santé mentale, de la dépression et du combat contre la solitude… Des profils plus vulnérables, et dont les comptes sont également plus susceptibles d’appartenir à des adolescents en souffrance et en quête d’identité, prêts à se tourner vers des idéologies mortifères. Il serait peut-être donc temps de contraindre les plateformes numériques à prendre leurs responsabilités sur le sujet…
ET LES MECS DANS TOUT CA ?
Dans le cas de Léna Situations et Chloé Gervais, le facteur “couple” amplifie fortement le sexisme ordinaire. Il n’est donc pas interdit de se demander si les Youtubeurs cités ont également leur part de responsabilité dans ces vagues de cyberhaine. Alors bien évidemment, ils ne sont pas coupables des agissements de certains membres de leur communauté. Mais ce serait sous-estimer leur pouvoir d’influence, que de penser qu’ils n’ont aucun moyen d’agir pour lutter contre ces déchaînements de violence.
Il ne s’agit pas de faire le procès de Seb ou de Squeezie, ce dernier s’est d’ailleurs rapidement exprimé à travers un tweet, pour faire part de son écoeurement face à l’acharnement des réseaux sur Chloé Gervais. Il avait également dénoncé le cyberharcèlement subi par Manon Lanza après le GP Explorer, un événement qu’il avait organisé.
Quant à Seb, il a apporté son soutien à Léna dans plusieurs interviews, et dénoncé le harcèlement en ligne qu’elle subit. Mais au-delà de ces réactions face à des attaques ciblées, pourquoi ne vont-ils pas plus loin pour relayer régulièrement dans leurs contenus, les idées féministes qu’ils ont pourtant l’air de partager ? A commencer par suggérer à une partie de leur fanbase de s’éduquer, quitte à prendre le risque de perdre quelques abonné.es… Ou bien à se déclarer officiellement “féministes”, sans bégayer (on notera d’ailleurs à ce propos que Léna Situation affirmait en 2020 “C’est la honte de ne pas être féministe”).
Une prise de position nette et nécessaire, qu’aucun des deux Youtubeurs ne semble pour l’instant prêt à faire, mais qui permettrait pourtant de promouvoir de nouveaux modèles de masculinité auprès des jeunes garçons composant l’essentiel de leurs communautés. Car on a le public qu’on mérite, et sur la question de la lutte contre le sexisme, dont leurs partenaires de vie sont les premières victimes, les deux jeunes hommes ne se mouillent pour l’instant pas trop. De quoi donner des envies de célibat aux influenceuses hétéros…